L'étrange lettre de Benoît XVI (IV)

Le commentaire de Riccardo Cascioli: il résume parfaitement l'intégralité de l'épisode (14/3/2018)

>>> Voir aussi:
¤ Une lettre qui vient bien à propos
¤ L'étrange lettre de Benoît XVI (Socci)
¤ L'étrange lettre de Benoît XVI (II) (Tosatti)
¤ L'étrange lettre de Benoît XVI (III) (Magister

 

Benoît, François, et le polar de la lettre


Riccardo Cascioli
www.lanuovabq.it
14 mars 2018
Ma traduction

* * *

La lettre du Pape émérite en faveur de François s'est révélée en réalité une opération médiatique gérée par le Préfet du Secrétariat aux Communications, Mgr Viganò, immédiatement démasquée.

Si c'est lui le "dominus" de la communication au Vatican, alors il serait bon que le Pape François commence à s'inquiéter sérieusement. Nous parlons évidemment de Mgr Dario Edoardo Viganò, puissant préfet du Secrétariat pour la Communication, qui retourne comme une chaussette tous les médias du Saint-Siège pour en faire une machine de guerre très efficace avec de multiples canons focalisés sur le même objectif.

Eh bien, pour le cinquième anniversaire du pontificat de François, Mgr Viganò avait préparé un grand coup de théâtre: une lettre de Benoît XVI qui exalte la profondeur théologique de François et souligne la continuité avec son pontificat. En fait, le coup avait réussi: hier, tous les journaux ont rapporté avec grand relief l'annonce de Benoît XVI fustigeant les détracteurs du Pape Bergoglio. La lettre a été présentée par Vatican News (le nouveau portail du Vatican créé par Mgr Viganò) comme une «contribution» que Benoît XVI «a voulu donner» pour témoigner de «l'unité spirituelle intérieure des deux pontificats». Il s'agit d'une lettre, dit encore Vatican News, reçue par Mgr Viganò à l'occasion de la présentation de la série "La Théologie du Pape François", 11 volumes publiés par la Bibliothèque Editrice Vaticana (LEV), dans laquelle divers théologiens du monde entier interprètent les lignes théologiques de ce pontificat.

Pendant la conférence de presse, Viganò a lu les passages centraux de cette lettre, qui ont indubitablement fait impression: «J'applaudis cette initiative - écrit Benoît XVI - qui veut s'opposer et réagir au préjugé stupide selon lequel le Pape François ne serait qu'un homme pratique sans formation théologique ou philosophique particulière, alors que je n'aurais été qu'un théoricien de la théologie qui aurait eu peu de compréhension de la vie concrète d'un chrétien aujourd'hui». Et encore: «Les petits ouvrages montrent à juste titre que le Pape François est un homme de formation philosophique et théologique profonde et aident donc à voir la continuité intérieure entre les deux pontificats, bien qu'avec toutes les différences de style et de tempérament».

Cela a suffi pour déchaîner l'enthousiasme des journaux laïcs et des habituels «gardiens de la révolution», avec une pointe de triomphalisme comme dans les tweets du Père Antonio Spadaro, directeur de la Civiltà Cattolica, qui n'a évidemment pas manqué l'occasion de se moquer une fois de plus des cardinaux des dubia.

En réalité, beaucoup de gens ont remarqué la singularité du message à la fois pour le style - si différent des autres discours du Pape émérite - et pour les contenus, même si la portée est beaucoup moins spectaculaire que ce qu'on a fait croire.

Mais voilà qu'hier, le blog de Sandro Magister a publié la lettre intégrale de Benoît XVI (jamais parue dans Vatican News) et là, on comprend que Mgr Viganò avait caché deux détails décisifs, en mesure d'inverser le sens de la lettre; le premier concerne les circonstances du message: la lettre est datée du 7 février (il y a plus d'un mois) et le Pape Benoît XVI répond à Mgr Viganò qui, le 12 janvier, lui avait envoyé les 11 volumes en lui demandant une contribution théologique. C'est donc une lettre de courtoisie qui n'a rien à voir avec la volonté de dire son soutien à François à l'occasion du cinquième anniversaire de son pontificat.

Mais le second détail est encore plus étonnant: Viganò citait en effet deux paragraphes de la lettre, laissant de côté le troisième qui vient peu après et qui, se référant aux 11 volumes reçus, dit ceci:

Toutefois, je ne me sens pas d'écrire sur eux une une page théologique brève et dense parce que toute ma vie, il a toujours été clair que je n'écrirais et ne m'exprimerais que sur des livres que j'avais vraiment lus. Malheureusement, également pour des raisons physiques, je ne peux pas lire les onze volumes dans un avenir proche, d'autant plus que d'autres engagements que j'ai déjà pris m'attendent.

Résumé: Viganò écrit à Benoît XVI pour lui arracher «une page théologique brève et dense» à insérer comme trophée en présentation de la série. Et le pape émérite, avec son style humble et vaguement ironique, lui envoie dire: «Non, merci. C'est très gentil, mais j'ai des choses plus importantes à faire que de lire ces contributions (qui d'après le seul sommaire ne sont pas particulièrement attrayantes) et d'écrire à mon tour un essai».
Une porte claquée au visage, donc, que Viganò a essayé d'utiliser selon le but originel.
En fait, les phrases qu'il a citées dans la conférence de presse semblent donner l'impression d'un fort soutien au pontificat de François par Ratzinger, mais presque certainement si nous pouvions lire la lettre que Mgr Viganò a envoyée à Benoît XVI le 12 janvier, nous en comprendrions mieux le sens. Dans de tels cas, en effet, il est assez habituel que l'interpelé réponde avec courtoisie en reprenant des phrases et des concepts de son interlocuteur.

En tout cas, quelles que soient les déclarations officielles, que la discontinuité du pontificat de François par rapport à son prédécesseur aille au-delà du style et du tempérament, seul un aveugle peut ne pas le remarquer, comme dirait le regretté Cardinal Carlo Caffarra. Mais ce n'est pas l'endroit pour développer ce point.

Ce que nous voulons remarquer ici, c'est la maladresse et l'idiotie de certaines opérations médiatiques: évidemment les grands médias ne se corrigeront pas et laisseront chez leurs lecteurs et auditeurs le sentiment d'un Pape Benoît XVI testimonial du Pape François. Aujourd'hui, cela les arrange. Mais il n'en demeure pas moins qu'à présent, les journalistes qui s'occupent de l'Église savent qu'ils ont affaire à une personne responsable de la communication au Vatican qui n'a pas de scrupule à manipuler l'information pour obtenir l'effet médiatique souhaité. Et ceci pourra créer beaucoup d'embarras, au Pape et à l'Église.

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