En visite officielle en Italie, il s'est livré à une énième provocation, avec un succès inespéré. Belle réflexion de Vittorio Messori, dans Il Corriere della Sera (30/8/2010)

En visite officielle en Italie, Kadhafi s'est livré à l'une des provocations dont il est coutumier (1).
Je ne pense pas qu'il veut être pris au sérieux, tellement c'est énorme. Il doit bien s'amuser.
L'ensemble de la presse italienne, en particulier de gauche, s'étrangle de rage parce que le chef lybien, après avoir réuni, moyennant rétribution, un pannel de jolies filles et leur avoir distribué le Coran en les exhortant à la conversion, aurait promis à brève échéance une Europe musulmane.
Quand je vois l'attelage bancal rassemblé pour l'occasion contre lui - Amnesty International, militants des droits de l'homme, extrême-gauche, mouvements féministes, etc. - je me méfie.
De qui se moquent-ils, ces gens-là? Comme si cette Europe-là, ils n'étaient pas les premiers à l'appeler de leurs voeux, et à tout faire pour qu'elle voie le jour, quitte à la quitter quand ils auront atteint leur but.
En réalité, c'est pour La Repubblica et consorts l'occasion de s'en prendre à Berlusconi, accusé de sacrifier les convictions du peuple italien pour une fois unanime à de vulgaires intérêts économiques, par exemple la signature de contrats commerciaux (on avait vu exactement la même chose en France en 2007, il suffisait de remplacer le détesté Berlusconi par le honni Sarkozy: voir ici).
Et surtout, les gens ont la mémoire courte. Le Salon Beige rappelle à juste titre que c'est la deuxième fois en moins d'un an que Kadhafi fait exactement le même cirque, en Italie (ici).

A ce choeur hypocrite de vierges effarouchées, je préfère la sereine mais désabusée réaction de Vittorio Messori (encore lui, décidément) qui signe cet éditorial dans il Corriere d'aujourd'hui.
Lui ne croit pas aux rodomontades du dictateur lybien - c'est-à-dire à une Europe qui tomberait sous la coupe de l'islam. Et il oppose des arguments à la fois historiques et sociologiques.

Ma traduction.

 

Kadhafi veut une Europe musulmane ? Essayons de ne pas déchirer nos vêtements
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Pas de vêtements déchirés, ni d'invectives scandalisées, pas d'appels à des croisades à cause des prophéties de Kadhafi.
Nul autant que le chrétien ne doit respecter le caractère imprévisible de l'histoire . Et cela dès le début : qui, à l'apogée de l'Empire romain aurait pris au sérieux l'annonce que les fastes païens allaient faire place à l'adoration d'un prédicateur juif, condammné à la peine infamante des criminels sans citoyenneté ? Puis, le christianisme ayant triomphé , comment croire à ceux qui annonçaient que les lieux mêmes de Jésus , que la ville convertie par Paul , le pays des grands Pères de l'Eglise, seraient envahis par des hordes surgies à l'improviste du fond du désert d'Arabie, et que le Christ serait rétrogradé au rang de simple annonciateur de Mahomet , le dernier prophète ?
La Providence , dans la perspective chrétienne , a des parcours souvent incompréhensibles , les voies de Dieu ne sont pas les nôtres. Par conséquent, aucune possibilité historique n'est incompatible avec la foi en l'Evangile: même celle annoncée par Kadhafi, c'est-à-dire que ce qui reste du christianisme dans l'Europe sécularisée doit céder à la foi qui a conquis Jérusalem, Constantinople, Alexandrie, et Tolède.
Nul scandale face aux déclarations du raïs de Tripoli, du moins pour ceux qui croient en ce Nazaréen, qui a refusé d'être roi, qui a empêché l'utilisation des armes pour sa défense , qui a annoncé à ses disciples qu'ils seraient un « petit troupeau » et qu'ils feraient fonction de «sel » et de « levure » . Matières indispensables, certes, mais seulement en petites quantités .
A bien y réfléchir, l'habitat naturel des croyants en Celui qui a fini sur la croix n'est pas la chrétienté de masse mais plutôt la diaspora . Benoît XVI lui-même semble suggérer un avenir de communautés chrétiennes petites , mais ferventes et créatives : que vienne un destin minoritaire, à condition qu'il ne soit pas marginal. Sel et levure , souvenons nous-en . Donc, pas à l'extérieur de l'histoire, mais au plus profond de la pâte des événements humains pour leur donner saveur et sens . Sans prétendre s'affirmer , sinon avec la faiblesses de l'annonce pacifique et de la persuasion fraternelle.

Mais, redescendonsdes cieux de la théologie à la réalité du présent: pour ce qui nous est donné de voir, y a-t-il vraiment les conditions qui pourraient mener au remplacement des clochers par des minarets ?
L'historien sait bien que les conquêtes islamiques des premiers siècles ne peuvent pas nous aider à envisager l'avenir: en Afrique et au Moyen-Orient , entre les septième et huitième siècles , l'arrivée des musulmans (souvent pris pour des chrétiens hérétiques) fut facilitée par les sectes chrétiennes en lutte les unes contre les autres et unies par la haine contre Byzance, et par les communautés juives persécutés. L'histoire, encore , nous dit que l'islam n'a jamais été en mesure de s'installer en Europe : il a fallu des siècles , mais il a finalement été repoussé en Espagne , dans les Balkans , en Sicile, à Malte . Et dans le cœur de l'Afrique déjà chrétienne , en Égypte , des siècles de flatterie et d'intimidation n'ont pas suffi à éradiquer la foi en l'Evangile. On oublie également trop souvent que l'hostilité islamique au christianisme est bénigne par rapport à la véritable haine qui oppose les deux principales traditions : le sunnite Kadhafi peut prêcher librement à Rome, mais personne ne garantirait sa vie s'il essayait de pontifier dans l'Iran chiite .
Pour autant que cela ait de l'importance, nous sommes parmi ceux qui pensent que la radicalisation actuelle de l'islam n'est pas déterminée par la sécurité du triomphe mais par la peur - inexprimée , et peut-être inconsciente - de la pollution, de l'assimilation. Comme le montre de manière exemplaire la parabole de l'Iran - conduite à tirer de son exil un vieil ayatollah qui semblait oublié, et à chasser le Shah parce qu'"occidental" - le monde musulman , dans cette unité , est parcouru par l'inquiètude qui conduit au fanatisme . Il n'a pas peur de nos vertus , il craint nos vices . Ce n'est pas notre religion qui l'inquiète, mais par notre sécularisme. Si quelque disciple du Coran immigré chez nous tue sa fille parce qu'elle veut s'habiller, manger , boire, flirter comme ses camarades d'école , il n'y aucune famille musulmane, en occident qui ne constate avec angoisse combien notre "way of life" est dévastateur pour ses enfants .
L'Islam est fondé sur le légalisme, il ne peut pas vivre sans le respect - par tout le monde , absolument tout le monde - d'un ensemble de règles : tout ce qui est impossible d'attendre dans une Europe et une Amérique, non seulement libres, mais de plus en plus "libertines". Notre "société liquide" ne supporte désormais aucun précepte chrétien . Pourrait-elle accepter ceux du Coran , encore plus rigoureux, et imposé comme loi garantie par les lapidations , décapitations , pendaisons ?

Vittorio Messori
30 août 2010

 

Note

(1) Article de l'AFP
Polémique dès le début d'une visite du colonel Kadhafi à Rome
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ROME — Le dirigeant libyen Mouammar Kadhafi effectuait lundi à Rome une visite officielle haute en couleurs et marquée par des polémiques dont l'une a commencé dès son arrivée, quand il a affirmé que l'Islam devait devenir "la religion de toute l'Europe".
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Venu célébrer avec son ami Silvio Berlusconi le deuxième anniversaire du traité d'amitié du 30 août 2008, qui a mis fin au contentieux sur la période coloniale, Kadhafi a donné dimanche une longue leçon sur l'Islam à son auditoire féminin, sélectionné par une agence d'hôtesses et rémunéré à hauteur de 80 euros.
La présidente du Centre italien féminin, Maria Pia Campanile, a dénoncé le "spectacle inacceptable" de cette "rencontre entre le dictateur-sultan libyen Kadhafi et un groupe consistant de jeunes filles recrutées par une agence à condition d'être jeunes, belles et muettes".
L'une des phrases prononcées par le leader libyen s'étale en une de toute la presse: "L'Europe doit se convertir à l'Islam", titre la Repubblica, "l'Islam doit devenir la religion de toute l'Europe", écrit la Stampa.
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La presse a évoqué l'achat de matériel de défense italien par la Libye qui a déjà récemment accru sa présence au capital du groupe bancaire italien Unicredit. Pour l'Italie, le traité d'amitié prévoit 5 milliards de dollars d'investissements en compensation de la colonisation, dont une autoroute littorale de 1.700 km en Libye. Et le groupe Eni a prévu 25 milliards d'euros d'investissements en Libye...
La section italienne d'Amnesty International a également demandé à Berlusconi d'évoquer les "graves violations" des droits de l'homme en Libye dans ses discussions avec Kadhafi.