Pourquoi le Pape attire les foules

J'ai été intriguée par une page du Courrier International, résumant en quelques lignes un article, ou une tribune (?) paru sur le site allemand taz.de, et signée d'une certaine Isolde Charim.
J'ai donc cherché l'article d'origine sur son site, et obtenu qu'on me le traduise.
On peut supposer que l'auteur n'est pas catholique, sans doute même agnostique; elle tente de faire une lecture sociologique du succès qu'a rencontré le Saint-Père lors de son pélerinage en terre autrichienne, son but étant d'insinuer dans l'esprit du lecteur qu'il a peu à voir avec un quelconque retour à la foi ... ce qui, somme toute, de sa part, est de bonne guerre. En gros, "il y avait du monde, mais ce n'est pas ce que vous croyez...".
Ce qu'elle dit n'est pas inintéressant, à plusieurs titres.

Je résume ce que j'ai compris de son propos parfois un peu confus,.
D'abord, dans notre société qui a symboliquement tué le père, les gens ont besoin d'un substitut d'autorité , mais une autorité sans contraintes, ou "soft" si j'ose m'exprimer ainsi; ils veulent aussi un point de repère intemporel, qui témoigne de la continuité, et qui satisfait leur attachement aux institutions.
Le Pape, à travers le "catholicisme événementiel" dont la manifestation est essentiellement les grands voyages apostoliques avec leur couverture médiatique, est le personnage idéal pour incarner ce besoin.
"Il donne l'occasion de pouvoir "consommer" l'institution de l'Eglise, sans pour autant s'y intégrer".
Ce qui est réjouissant, dans cette analyse, c'est que les catholiques "libéraux" en prennent pour leur grade, ils n'ont rien compris, puisqu'ils persistent à reprocher à l'Eglise de ne pas être une démocratie. Elle ne l'est pas, évidemment, et c'est un hommage à la vérité que de le dire, même si, sous la plume de l'auteur, ce n'est pas un compliment.

Ce qui est nettement moins agréable (mais ce n'est pas inattendu non plus), c'est le regard d'entomologiste vaguement condescendant qu'Isolde Charim pose sur la catholicité, une de ces institutions qu'elle prétend "inadaptées au monde actuel lorsqu'elles proposent des modèles utiles aux besoins quotidiens". Sur ce catholicisme prétendument événementiel, ignorant délibérément les vraies raisons qui font se déplacer les gens, dont je crois avoir été personnellement le témoin. Et sur le Pape, qu'elle qualifie de point de référence étranger .
Etranger à quoi? Inversant son propos, c'est ce monde dans lequel nous vivons qui nous est devenu étranger, à notre civilisation, à notre culture, à nos coutumes. Et qui cherche à les exclure, ou à se substituer à elles.

Cela illustre, une fois de plus, que le monde dit "moderne" et ce qu'on pourrait appeler la planète catholique, sont des univers strictement parallèles, destinés à ne jamais se rencontrer.

Elle conclut par ce constat, que je réfute avec conviction, évidemment:
C'est pour cela que les églises sont vides, et que les messes célébrées par le Pape attirent les foules.

Le fait que le Pape attire les foules a bien sûr de tout autres causes. Elles sont souvent évoquées ici.

L'analyse d'Isolde Charim

Comment le Pape fait pour donner à l'Eglise un rôle inadapté à son époque
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Evènement catholique de Vienne
Commentaire Isolde CHarim, traduction Vincent B.

Durant trois jours, la semaine passée, le Pape Benoît XVI a séjourné en Autriche, et il y a développé ses thèses habituelles.

Il a rappelé que le Continent européen ne doit pas renier ses racines chrétiennes, et il a confirmé son refus strict de l'avortement et de l'aide à mourir.
Chez les catholiques libéraux, la critique du Pape prédomine actuellement. Ils lui reprochent de refuser le dialogue, de ne faire aucune concession à la base, et de brusquer les partisans de l'oecuménisme.
Pour eux, il est insupportable qu'il pratique un "catholicisme évènementiel".

Même si ces reproches sont justifiés, ils négligent un point essentiel, qui fait sa force. Ce n'est pas en se commettant avec le Peuple de l'Eglise et en tendant la mains aux partisans de l'oecuménisme, que le Pape se rend populaire. Sa force tient précisément en ce qu'il ne le fait pas!

Avant d'invoquer précipitamment un retour à la foi et une 're-spiritualisation', il conviendrait avant tout de souligner la nostalgie de l'autorité.
Il ne s'agit cependant pas d'une nostalgie dangereusement servile, mais plutôt d'une nostalgie éclairée, car elle ne recherche pas une autorité patriarcale ou paternelle, sous quelque forme que ce soit.
La société sans père s'est peu à peu installée, elle aspire à présent à la recherche d'une nouvelle forme d'autorité, car ce qui est recherché aujourd'hui, c'est une autorité sans violence, qui ne fonctionne que comme un panneau d'orientation.
Le Pape est le candidat idéal pour remplir ce rôle, précisément parce qu'il ne représente pas une puissance contraignante.
Et le Pape est acclamé pour son intemporalité.

Sa réussite n'est pas celle d'un "Pape des messes à grand spectacle", des "jazz messen", mais celle d'un professeur de dogmatique.
C'est un double paradoxe.

Non seulement l'"anti-esprit" du temps est devenu chic, mais aussi, son intemporalité s'exprime sous sa forme la plus actuelle au cours des grandes manifestations du catholicisme événementiel. Ainsi le Pape, en tant qu'archonte, conservateur du dogme, peut-il être acclamé comme une popstar.
Mais si le Pape est une Pop Star, il nous faut préciser que le concept de pop star a beaucoup évolué. On a acclamé les Rolling Stones, parce qu'on s'est identifié aux sentiments qu'ils exprimaient. Pour le Pape, au contraire, on est saisi par l'étrangeté de son monde, donc par une non-identification.
En conséquence, nous recevons régulièrement par les medias des informations sur les prescriptions d'habillement, les rites, et les formules latines. Cela a commencé avec le rituel de l'enterrement de son prédécesseur.
Ainsi, ce Pape constitue un point de référence "étranger", qui assure une continuité du temps depuis longtemps oubliée par son public.

Benoît XVI accentue le phénomène en refusant d'adapter le catholicisme à la sémantique actuelle, allant jusqu'à célébrer la messe en latin.
Il positionne l'Eglise comme une institution hors du temps, au grand désespoir des catholiques de gauche, mais pour la joie du public.
Car tandis que les chrétiens libéraux critiquent le manque, et même le recul, de la démocratisation de l'Eglise, les autres ont depuis longtemps accepté l'idée qu'elle est une institution non démocratique et dogmatique.
Là encore, la "pop star" papale est un paradoxe. Alors que les popstars d'autrefois étaient fêtées pour la rupture avec les structures sociétales imposées, le Pape, lui, est fêté en tant que représentant d'une institution.
Et nous trouvons peut-être là le point le plus marquant: la nostalgie du public pour les institutions.
Au niveau théorique, cela se traduit par la redécouverte des fondateurs de l'Eglise, de l'apôtre Paul.
Comme phénomène de masse, il est remarquable que cette nostalgie d'une institution, comme de l'autorité, fasse défaut dans la manière de penser actuelle.
La quête du public s'oriente vers des institutions non démocratiques, inadaptées au monde actuel lorsqu'elles proposent des formes utiles aux besoins quotidiens.
Le "catholicisme évènementiel" sert de manière idéale cette nostalgie pour les institutions.
Il donne l'occasion de pouvoir "consommer" l'institution de l'Eglise, sans pour autant s'y intégrer. Pour cel, il ne suffit pas d'une institution dogmatique, mais l'efficacité sera d'autant plus grande que la "dogmatisation" sera plus élevée.
C'est pour cela que les églises sont vides, et que les messes célébrées par le Pape attirent les foules.

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