Commentaire sur l'Encyclique Spe Salvi

C'est l'analyse de quelqu'un qui connaît à fond la pensée de Joseph Ratzinger, mais elle a une froideur quasi clinique qui me gêne un peu, sur un tel sujet.
Voir ici: Spe Salvi, l'exemple de Sainte Bakhita

Un point amusant, quand même: clin d'oeil à ceux qui prétendent savoir avant les autres ce que va faire le Pape - "de source sûre", évidemment!
...les conseillers du pape travaillent sur le projet d'une autre encyclique, portant sur des thèmes sociaux, et ont été "surpris" que, dans l'intervalle, Benoît écrive une encyclique plus ou moins exclusivement personnelle.

Article original ici:
Spe Salvi a 'Greatest Hits' collection of core Ratzinger ideas

Ma traduction

Spe Salvi, le plus grand "Best of" des idées-force de Ratzinger
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Si l'on devait dresser une liste des principales préoccupations de Joseph Ratzinger, de ses idées fixes tout au long de près de soixante ans maintenant de réflexion théologique, elle pourrait ressembler à ceci:

• La vérité n'est pas une limite à la liberté, mais la condition pour que la liberté atteigne son véritable potentiel;
• Raison et foi ont besoin l'une de l'autre, la foi sans la raison devient l'extrémisme, alors que la raison sans la foi conduit au désespoir;
• Les dangers du mythe moderne du progrès, né avec les nouveautés scientifiques du 16e siècle, et appliqué à la politique grâce à la Révolution française et le marxisme;
• L'impossibilité de la construction d'un ordre social juste, sans référence à Dieu;
• L'urgence de séparer l'eschatologie, l'aspiration à un "nouveau ciel et une nouvelle terre", de son expression politique;
• La vérité objective comme seule vraie limite à l'idéologie et à la volonté de puissance aveugle.

Tous ces thèmes jouent une fois de plus un rôle prépondérant dans l'encyclique Spe Salvi, publiée aujourd'hui à Rome. En ce sens, on pourrait affirmer que le texte représente une sorte de "best-of" des idées les plus importantes de Ratzinger, développées au cours d'une vie, et présentées aujourd'hui sous la forme d'une encyclique, dans son rôle de Pape Benoît XVI.

Le Jésuite Federico Lombardi, porte-parole du Vatican, a accrédité cette lecture lors d'une conférence de presse à Rome, ce matin, en disant que, dans Spe Salvi "on voit très clairement la main et le style de l'auteur," décrivant l'encyclique comme "absolument et personnellement" la pensée intime du Pape. (En fait, dit Lombardi, les conseillers du pape travaillent sur le projet d'une autre encyclique, portant sur des thèmes sociaux, et ont été "surpris" que, dans l'intervalle, Benoît écrive une encyclique plus ou moins exclusivement personnelle.)
Il faut s'empresser d'ajouter, bien sûr, que Benoît lui-même ne voit pas vraiment cela comme "ses" idées, mais plutôt comme des principes fondamentaux de 2000 ans de doctrine chrétienne et de tradition. Pourtant, peu de personnalités, au cours des 60 dernières années ont articulé ces points avec la même force, ou les mêmes conséquences politiques et ecclésiologiques que Joseph Ratzinger.

En substance, le message de Spe Salvi peut être exprimé de cette façon: Si les êtres humains placent leurs espoirs de justice, de rédemption et d'une vie meilleure exclusivement dans les forces de ce monde, qu'il s'agisse de la science, de la politique, ou de toute autre chose, alors ils sont perdus. Les carnages du 20-ème siècle, suggère le pape, illustrent la folie d'investir l'idéologie et la technologie humaines dans l'espoir messianique.
Au lieu de cela, l'espoir ultime - ce que le pape décrit comme "le grand espoir" - se trouve en Dieu seul, parce que seulement grâce à la sagesse morale et spirituelle acquise par la foi, la technologie et les structures politiques peuvent être orientées vers des finalités véritablement humaines.

Dès 1977, dans son livre sur le thème de l'Eschatologie: Tod und ewiges Leben ( "Eschatologie: mort et vie éternelle"), que Ratzinger décrivit un jour comme son ouvrage "le plus achevé", le futur pape faisait valoir que, sous l'impact de Marx, des notions erronées sur le Royaume de Dieu ont menacé l'intégrité du message chrétien. Lorsque les gens confondent l'évangile avec un message politique, écrivait-il, la spécificité chrétienne est perdue ", laissant derrière elle rien d'autre qu'un substitut trompeur."

Dans son livre datant de 1987 'Église, Œcuménisme et Politique', Ratzinger est revenu sur ce thème: "Là où il n'y a pas de dualisme," écrivait-il, entendant par là une forte distinction entre l'eschatologie et la politique, "il y a le totalitarisme."

La crainte que la politique pourrait remplacer le jugement dernier et l'au-delà en tant que centre de l'espérance chrétienne a également pu être la plus profonde objection sous-jacente de Ratzinger à la théologie de la libération, le mouvement qui s'est développé en Amérique latine dans les années 1960, 70 et 80 et qui visait à aligner l'église avec les tentatives progressistes pour changer l'ordre social.

Ainsi, il n'est pas étonnant dans Spe Salvi de voir Benoît XVI tracer une nette distinction entre Jésus et les sociaux-révolutionnaires de son époque tels que Spartacus et Bar-Kochba, ni avertir, une fois de plus que l'"erreur fondamentale" du matérialisme de Marx conduisit à "un chemin de destruction effroyable. "

Le lien nécessaire entre la raison et la foi est aussi une des préoccupations favorites du pape, c'est le coeur, par exemple, de sa célèbre conférence à l'Université de Regensburg en Bavière, le 12 septembre, 2006, qui a soulevé une vague de protestation dans la Monde musulman en raison de la citation par Benoît d'un empereur byzantin du 14e siècle, à propos de Mahomet.

"La raison a besoin de la foi si elle veut être complètement elle-même", écrit Benoît dans Spe Salvi. "Raison et foi ont besoin l'une de l'autre afin de remplir leur véritable nature et leur mission."

Tout au long des 19.000 mots de l'encyclique, il y a plusieurs autres "touches-Ratzinger" typiques.

Par exemple, Ratzinger a depuis longtemps insisté sur la nécessité de présenter à nouveau les concepts de base de la foi à un monde moderne qu'il considère comme blasé par une sorte de familiarité lasse avec le christianisme. Ainsi, dans Spe Salvi, nous trouvons écrit: "Nous qui avons toujours vécu avec la conception chrétienne de Dieu, et qui en avons l'habitude, nous avons pratiquement cessé de nous rendre compte que nous possédons l'espoir qui résulte d'une vraie rencontre avec ce Dieu. "

De même, à la fois comme théologien et comme pape, Benoît a depuis longtemps dit qu'il n'a pas d'objection à la théorie de l'évolution en tant que telle, mais il est très préoccupé par une philosophie radicalement matérialiste qui verrait les êtres humains comme exclusivement produit par le hasard d'un processus évolutif .

"Ce n'est pas la loi de la matière et de l'évolution qui a le dernier mot," écrit-il dans la nouvelle encyclique, "mais la raison, la volonté, l'amour - une Personne… la Vie ne sont pas le simple produit de lois et du caractère aléatoire de la matière, mais à l'intérieur de tout et en même temps au-dessus de tout, il existe un Esprit qui en Jésus s'est révélé comme l'Amour. "

De nombreux observateurs ont noté que, parfois, Benoît le Pasteur suprême et Joseph Ratzinger le théologien exigeant cohabitent dans une tension inconfortable , et que ces éléments contrastés de sa personnalité sont bien visibles une fois de plus dans Spe Salvi.

À certains moments, Benoît peut être presque poétique, comme dans ce passage pour tenter d'exprimer l'idée de la vie éternelle: "Ce serait comme de plonger dans un océan d'amour infini", écrit-il, "un moment où le temps - l'avant et l'après - n'existe plus. "

Dans d'autres passages, cependant, Spe Salvi peut se lire comme un essai qu'on pourrait trouver dans une revue théologique d'études bibliques. Benoît critique par exemple la traduction œcuménique du Nouveau Testament, celle approuvé par les évêques catholiques allemands, parce qu'elle offre ce qu'il considère comme une lecture trop subjective du mot grec hypostasis. Le pape préfère le terme "matière" en faisant valoir que ce qui est signifié ici n'est pas une intime conviction de la foi, mais plutôt son fondement objectif. Benoît consacre également un temps considérable à la réflexion sur deux paires de termes grecs: hypostasis / hyparchonta et hypomone / hypostole.

Benoît peut aussi être étonnamment œcuménique dans son érudition; pour corriger la traduction susmentionnés, le pape cite en les approuvant les travaux d'un exégète libéral protestant allemand, Helmut Köster. (Köster, par ailleurs, a été l'élève de Rudolf Bultmann, l'exégète libéral, qui a développé l'idée de "demythologiser" la Bible, de longue date la bête noire de Ratzinger.)

Benoît est, de son propre aveu, un augustinien convaincu, et nul ne peut manquer de constater que dans Spe Salvi, Augustin est cité pas moins de 13 fois, souvent assez longuement.

Enfin, Benoît l'intellectuel est aussi un homme profondément respectueux de la tradition de piété populaire, et cela aussi brille à travers Spe Salvi. Par exemple, vers la fin de l'encyclique, Benoît recommande un retour à la coutume d' "offrir" ses petit souffrances quotidiennes dans la prière à Dieu, écrivant que, même s'il y avait "des exagérations et peut-être des applications malsaines " de l'idée, elle offre néanmoins un moyen pour les chrétiens d'insérer ces petits inconvénients "dans la grande compassion du Christ."

Benoît XVI est un amateur de musique classique qui, à 80 ans, aime encore passer du temps au clavier de son piano. Pour évoquer une autre métaphore musicale, Spe Salvi équivaut à une "variation Ratzigérienne sur un thème", le remaniement et l'affinement des principaux leitmotiv de sa pensée. La question est de savoir si la nouvelle partition de Spe Salvi va aussi atteindre les oreilles de ceux qui, à ce jour, n'ont pas encore commencé à fredonner l'air.



Consistoire: J1
Spe Salvi, second volet d'un tryptique?