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Un rugissement rouge pourpre

Celui du Cardinal Biffi, dans son dernier livre, "Brebis et Pasteurs" (25/11/2008)

Dans le prolongement du dossier que je lui ai consacré hier Un ami du Saint-Père: le cardinal Giacomo Biffi , voici une recension du livre paru dans le quotidien italien Il Foglio (http://paparatzinger2-blograffaella.blogspot.com/ )

Le cardinal Biffi ne s'exprime pas dans le langagage prétentieux et abscons qui est la marque de ceux qui n'ont rien à dire (c'est un point qui le rapproche du Saint-Père).
Mais quand il explique avec un humour ravageur le nouveau sens accepté par le "théologiquement correct", pour le mot "pastoral", j'ai pensé à un paralléle dans un monde que je connais assez bien, qui est celui des enseignants (si l'on veut poursuivre la comparaison, mais ce serait plus risqué, les enseignants seraient les pasteurs, et les élèves seraient ... les brebis, encore que certaines brebis soient devenues un peu féroces, ces temps-ci).
Notre mot-fétiche, à nous, ce n'est pas "pastorale" (!!) mais "pédagogie". Et ce mot qu'il n'y a pas si longtemps, on n'employait que rarement, (parce qu'il était tellement évident dans ce contexte, et que la plupart des professeurs faisaient de la pédagogie comme Monsieur Jourdain faisait de la prose), on le met désormais à toutes les sauces. On ne dit plus "professeurs d'une classe", mais équipe pédagogique, on a une note pédagogique, un entretien pédagogique avec l'inspection, des réunions pédagogiques, un projet pédagogique, on fait des sorties pédagogiques (plutôt que des excursions, ou des ballades), et quand un professeur veut arranger son emploi du temps, il lui arrive d'invoquer l'intérêt pédagogique des élèves !

J'ai l'impression que dans l'Eglise post-conciliaire, c'est pareil. Les mots changent de sens. Ce que les linguistes et autres sociologues appellent "glissement sémantique".
Le cardinal Biffi, lui, appelle un chat un chat.

Et puis, quand il dit « ceux qui se réfèrent assidûment à la pauvreté et la vantent avec enthousiasme sont justement les chrétiens aisés et les hommes d'Église d'extraction bourgeoise, qui n'ont jamais eu l'occasion d'en faire personnellement l'expérience », eh bien, il sait de quoi il parle..

Cela fait du bien de lire de tels propos de bon sens.

La dernière catéchèse du cardinal Biffi. Les chrétiens doivent annoncer la Vérité, et non pas s'adapter au monde

Maurizio Crippa

« Au dernier Synode auquel j'ai participé, j'ai vu beaucoup de braves gens, mais le niveau n'est plus celui des évêques du Concile. Tous sont gentils et pleins de bonnes intentions, mais il me semble qu'il manque un peu d' intelligence, qui ne gâche rien. L'intelligence du coeur ».
Ce n'est pas le cardinal Giacomo Biffi, qui le dit, mais son collègue le cardinal Godfried Danneels , évêque de Malines-Bruxelles et primat de Belgique, dans une longue interviewe au mensuel 30 Giorni (ndt: à lire sur le site http://www.30giorni.it/..; ) . A part le bonnet pourpre (barrette) et l'appartenance à la même génération (Danneels, né en 1933, est de cinq ans plus jeune), entre les deux pasteurs et cardinaux de la Sainte Église Romaine il y n'y a pas grand chose d'autre en commun. Danneels a été toujours recruté, par simplification et « malgré lui» (en français dans le texte), dans les rangs des progressistes ; il n'est pas un nostalgique de Concile par parti pris, mais il est parmi ceux pour qui son enseignement, par exemple sur la parole de Dieu et sur le rôle des évêques, devrait être mieux suivi.

Biffi a une lecture des faits presque à l'opposé, et dans son nouveau livre sorti ces jours-ci « Brebis et pasteurs. Réflexions sur le troupeau du Christ », il laisse couler une fois de plus son franc-parler, tranchant comme une lame ambrosienne, sur les dommages ecclésiaux (et plus généralement, culturels : parce que « si le sel ne sale pas, il devient de la mélasse, comme le reste du monde ») produits par la mentalité trop « conciliante » des pasteurs de l'église d'aujourd'hui. Et en ce sens, pour une fois, le théologien ambrosien qui occupa la chaire de San Petronio (la principale église de Bologne, ndt) serait probablement d'accord avec le jugement sans indulgence sur l'actuelle génération de pasteurs exprimé par son confrère théologien des Flandres.

Vieux lion en pourpre, fidèle à sa devise épiscopale « Ubi fides ibi libertas » (Là où est la foi, est la liberté, ndt), cette fois encore, Biffi ne l'envoie pas dire. Mais en même temps, se souvenant de la devise de Saint Charles, « Humilitas », dans sa « réflexion sur le troupeau de Christ », il ne s'érige pas en juge des chrétiens. Au contraire, la première évidence qu'il met en lumière à l'aide des Saintes Écritures, c'est que, dans l'église, à part le seul Bon Pasteur, « tous, avant toute autre chose appartiennent à la bergerie du Christ. Tous, du Pape au plus récent des baptisés, possèdent le vrai motif de leur grandeur non tant dans telle ou telle charge accomplie dans la communauté chrétienne, mais plutôt dans l'appartenance au `petit troupeau'. Il y a donc une parité substantielle de tous les croyants, pourvu qu'ils croient vraiment : ce n'est qu'en croyant qu'on entre parmi les brebis du Christ ».

Cela ne dispense cependant personne, et c'est un peu le sens général de cette nouvelle « catéchèse » du cardinal Biffi, de pratiquer la Vérité, sans la diluer, sans la brouiller. Et ici, les réprimandes (les savons) du cardinal concernent avant tout ses « collègues », les théologiens et, plus généralement, le clergé. Il le fait, comme toujours, avec son langage savoureux, direct, jamais technique même lorsqu'il est strictement théologique. Ou exégétique.

Ce qui est déjà en soi un trait distinctif par rapport aux courants dominants de l'église actuelle, où souvent la parole, même celle des pasteurs, s'éloigne de la franchise évangélique et se perd dans une série de "circumnavigations" et de circonlocutions qui semblent davantage destinées à obscurcir le contenu qu'à le rendre transparent.

« Une des choses qui m'impressionnent le plus, c'est qu'aujourd'hui ce n'est plus l'hérésie, mais l'orthodoxie qui fait la nouvelle », dit le cardinal. Et encore : « Aujourd'hui, de plus en plus fréquemment, nous nous étonnons lorsqu'un Pape ou un évêque dit ce que l'Église a toujours dit (et ne peut pas ne pas dire, parce que cela fait partie de son patrimoine inaliénable) ; comme s'il s'agissait de persuader pacifiquement que même l'église ne croit plus à son message de toujours ».

Ainsi le contenu du livre, dense et solidement argumenté par des citations de la Bible et des Évangiles, jusqu'à en devenir par moments une simple et littérale exégèse, est au fond l'être chrétien, l'être Eglise en tant que telle, la valeur théologique de ce fait et la discipline interne naturelle qui dérive de l'appartenance à cet « organisme ». Et le sens et la valeur de l'être dans le monde. Le monde pas facile d'aujourd'hui : « La première phrase que Jésus prononce en commençant son apostolat n'est pas : `Le monde va bien comme il va ; adaptez vous au monde et soyez crédibles à l'oreille de ceux qui ne croient pas', mais elle est au contraire : `Le règne de Dieu est proche, convertissez vous et croyez en l'Evangile'".

Difficile d'échapper à un sentiment d'actualité pressante, en lisant ces mots et beaucoup d'autres passages tranchants du cardinal Biffi. Lequel évite tout rappel de la chronique actuelle, mais identifie indirectement dans certains vices (il faudrait les appeler capitaux) de la théologie et de l'église contemporaine la racine profonde de cet insipide « allez et adaptez-vous » qui menace la foi.

Et le premier péché, s'agissant de l'annonce de l'Évangile, est justement dans le langage. De la part des pasteurs : « Nous assistons aujourd'hui à une fréquence dans l'usage du mot `pastoral' inconnue au langage ecclésial des époques précédentes. Autrefois le vocable servait principalement à désigner le bâton utilisé par l'évêque dans les célébrations pontificales et la lettre adressée, toujours par l'évêque, à son diocèse, contenant les rappels doctrinaux et les directives du successeur des Apôtres.
Aujourd'hui - après que Vatican II ait été qualifié explicitement de `Concile pastoral' et qu'il ait nommé `pastorale' sa constitution (Gaudium et spes) - le terme revient souvent dans la vie de l'Église : `conseil pastoral', `plan pastoral', `vicaire pastoral', `théologie pastorale' », raisonne Biffes : « Il arrive cependant que l'emploi réitéré d’un vocable à propos d'un thème s'accompagne de l'affaiblissement de sa compréhension effective et soit l'occasion de quelque confusion. Ainsi, par exemple, on se satisfait de parler de `communauté', presque par nostalgie, alors que sociologiquement ce qui prévaut aujourd'hui, c'est l'individualisme et le désengagement ». En somme l'identité et la tradition de l'église réduites à des mots, jusqu'aux résultats grotesques que Biffi identifie et distille ponctuellement.

Ainsi « ceux qui se réfèrent assidûment à la pauvreté et la vantent avec enthousiasme sont justement les chrétiens aisés et les hommes d'Église d'extraction bourgeoise, qui n'ont jamais eu l'occasion d'en faire personnellement l'expérience ».
Il passe ainsi en revue « au-delà de toute rhétorique, les contenus authentiques et exacts des mots qui jouissent d'une si large préférence ».

L'intérêt central du cardinal n'est cependant pas de se livrer à une revue thématique ou linguistique. Même à présent qu'il n'occupe plus la chaire épiscopale, il ne cesse certes pas de se sentir un pasteur et de frémir de l'impatience (cela affleure dans certaines pages) de communiquer aux fidèles le sens le plus vrai de l'« appartenance » au « troupeau du Christ » ce qui, pour lui, est l'exact contraire d'avoir des opinions plus ou moins personnelles, plus ou moins adaptables à la situation, avec lesquelles « traduire » le message évangélique.
« Juste pour nous comprendre (même avec le risque de paraître provocateur) - dit-il à un certain moment, en commentant un passage d'un Évangile - nous pourrions parler de conception `cléricale'. Ce qui compte est qu'il y ait le groupe conscient et motivé des Douze (et des disciples désignés), pour assurer l'annonce ; ensuite les hommes répondront à leur mesure. Ce qui compte, c'est que l'évangile soit prêché par les responsables, ensuite la graine bourgeonnera comme elle pourra ». Et c'est de là, de cette « nécessité de prédication de l'Évangile », et non pas d'une présumée nécessité de communiquer avec le monde, que doit descendre dans l'église la responsabilité des pasteurs : « Personne n'est pasteur par lui-même - dit Biffi à un autre endroit - mais tous ceux qui le sont légitimement, le sont parce qu'ils réfléchissent le `pastoralité' du Christ et du Père ». Cela signifie, pour Biffi, que « celui qui exerce - à n'importe quel niveau légitime - le ministère pastoral, doit vérifier quotidiennement sa correspondance avec le `Pasteur suprême’ ».
Au centre de toute la « réflexion » du cardinal, le point central est cependant, peut-être, encore autre chose. Et c'est un point qui concerne non seulement « les règles du troupeau » (si nous pouvons les appeler ainsi), mais son rapport, sa raison d'être dans le monde. On le voit de façon évidente dans les passages où Biffi parle de « dimension ontologique de la vérité ». Et où on comprend, par exemple, que même la « charité », pour les chrétiens, peut être seulement une « épiphanie (au sens manifestation) de la vérité ». Ce qui revient à dire qu'on ne peut pas avoir une conception droite de l'agir « charitable », si on ne se fonde pas sur la Vérité.
Et ainsi, on en revient encore au problème du langage, et même, surtout, écrit Biffi, « celui du `non langage', c'est-à-dire celui d'un monde chrétien qui est réticent à présenter une conception de la réalité et un enseignement existentiel trop différents de ceux qui sont universellement proclamés. Le problème principal est celui de récupérer la foi dans la foi et dans sa capacité de toucher les coeurs ».

Lorsque l'archevêque émérite de Bologne écrit avec une réalisme rugueux que « se faire comprendre est nécessaire, et qu'il faut donc parler avec clarté et simplicité ; mais la difficulté majeure n'est pas de se faire comprendre. Nos contemporains ne sont pas obtus : lorsqu'ils entendent annoncer que Jésus Christ est ressuscité (c'est-à-dire qu'il est passé de la mort à la vie), ils comprennent très bien de quoi il s'agit », ils est probable que les oreilles de beaucoup de ses collègues commencent à leur siffler, qu'ils soient encore en charge de leur chaire, ou émérites: « Parce que même les plus naïfs connaissent la différence entre un homme mort et un homme vivant ».
Par contre, écrit encore le cardinal, dans l'actuelle « vie pastorale » de l'église « ce qui est répréhensible est l'emploi du `théologais’ (en italien 'teologhese', il s'agit d'un néologisme que j'ai traduit comme j'ai pu): c'est-à-dire une façon de parler et d'écrire qui fuit de la clarté sans réussir pour autant à être vraiment substantiel et profond ».
Il y a les pasteurs, il y a les brebis, et il y a ceux qui diluent l'annonce évangélique et « d'habitude ce n'est pas parce qu'ils ne le comprennent pas ; c'est parce qu'il ne leur plaît pas ».

Biffi rappelle que seule la vérité rend libre, et que toute autre « libération est illusoire ».
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© Copyright Il Foglio, 23 novembre 2008

Dans l'Avvenire (cité par Raffaella), un article signé Giacomo Biffi reprend à peu près les mêmes thèmes, sous le titre "Teologhese, giù dal pulpito!" (descendez de la chaire).
S'y ajoutent ses réflexions (toujours sur le ton de l'humour décapant) sur un travers de notre temps que le cardinal, lucide, citant Jacques Maritain, nomme "chronolâtrie".

(traduction)



Lorsque dans nos milieux il est question, et on discute d'évangélisation, ce qui prévaut aujourd'hui est une attention à la réalité concrète des destinataires, juste et louable en soi, mais qui cependant se conjugue parfois à une anxieté excessive de s'emparer d'une capacité adéquate de communication, avec le risque qu'ainsi, on se préoccupe un peu moins de la substance de l'annonce et de son integrité.
Ce n'est pas qu'il soit mauvais de chercher par tous les moyens à atteindre l'esprit et le coeur des personnes qu'il nous arrive de rencontrer ; et de réussir ainsi à se poser efficacement dans un dialogue correct avec la culture dominante et avec la sensibilité la plus diffuse. Pourvu, toutefois qu'on ne se laisse pas aller, même sans le vouloir, à ce culte exagéré de l'actualité, que Maritain a même condamné comme "chronolâtrie".
On trouve aussi quelques traces de ce 'culte' dans certains 'tics' linguistiques - par ailleurs innocents - de notre langage ecclésiastique. Par exemple, pendant la messe nous sommes souvent invités à prier pour les « hommes de notre temps », comme si quelqu'un était jamais tenté de recommander au Seigneur les Assyro- babyloniens ; ou à nous engager à vivre dans le « monde d'aujourd'hui », contre le danger de se confiner par inadvertance dans l'époque carolingienne.

Il me semble à moi que notre problème ne soit pas d'être 'modernes' (nous n'avons pas d'autre choix, à moins qu'en disant 'modernes', nous ne voulions signifier 'victimes de la mode'. Le problème préalable et fondamental est plutôt de réussir à faire attention à ce qui est éternel et à être conforme au dessein de Dieu.
Quant à la question qui nous intéresse ici, je voudrais proposer une perspective insolite, et pourtant d'un grand intérêt. L'interlocuteur du Dieu qui se révèle est l'homme en tant qu'homme, pas l'homme dans sa détermination historique : l'homme d'aujourd'hui, l'homme progressiste ou conservateur, l'homme scientifique ou l'homme lettré. Le destinataire de l'annonce évangelique est l'homme dans sa vérité impérissable.
Du reste, en visant non pas l'homme d'aujourd'hui mais l'homme de toujours, on cueille ce qui demeure toujours substantiel et fondamental dans l'homme, y compris l'homme d'aujourd'hui. Précisément en réfléchissant à l'evangélisation dans sa nature éternelle et dans ses lois intrinsèques, on arrive à comprendre ce qu'il faut avant tout valoriser dans l'annonce chrétienne, et même dans l'annonce chrétienne du 21ème siècle. Précisément en cherchant à contempler le Christ comme il est en lui-même, on peut espérer vérifier ce qu'est le Christ pour le monde, et même pour le monde de notre époque.
La réflexion sur la vie ecclésiale durant ces années m'a convaicu que la question du "comment" - d'habitude privilégiée dans nos débats - est beaucoup moins urgente et décisive que la question du "quoi".
© Copyright Avvenire, 21 novembre 2008

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Dialogue inter-culturel, dialogue inter-religieux Les durs propos du Cardinal Stafford