Catholiques- luthériens: demandons pardon ensemble

JL Restàn revient, dans son dernier billet, sur une proposition du Cardinal Koch: une célébration pénitentielle commune, pour marquer, en 2017, le 500e anniversaire de la Réforme de Martin Luther. Traduction de Carlota (22/11/2012)

>>> A propos de Luther, relire ce que Vittorio Messori écrivait dans "Pourquoi je crois" (1)

Voir aussi:
>>> Luther, révolution, pas réforme (http://benoit-et-moi.fr/ete2011/)
>>> Le Pape et Luther (http://benoit-et-moi.fr/2011-III)

* * *

En 2017, l'Allemagne célèbrera le 500e anniversaire de la Réforme.
A cette occasion, le cardinal Koch, président du Conseil Pontifical pour l'unité des chrétiens, a répondu aux questions de l’OR. (l’échange est traduit en français sur Zenit).

Il propose un « grand et beau geste » : une « célébration pénitentielle commune » où protestants et catholiques reconnaîtraient « ensemble leurs fautes » pour « se pardonner mutuellement ».
Une belle initiative (que l'on aimerait voir s'étendre à tous les domaines où les chrétiens sont divisés!)

Demandons ensemble pardon
http://www.paginasdigital.es/
José Luis Restán
21/11/2012

Le cardinal Kurt Koch est un Suisse qui a peu de l’horloger et beaucoup de l’alpiniste.
Non que je connaisse ses goûts dans le domaine sportif mais mon attention a été attirée par son goût pour monter vers les sommets, escalader les pics des problèmes qui supposent plus encore une marche forcée.
Koch a hérité du dicastère dirigé pendant des années par son collège Walter Kasper, ce qui n’est pas une responsabilité mineure. Parce que l’affaire de l’unité des chrétiens est une épine qu’il est interdit d’arracher de la chair de l’Église, une épine qui fait mal et brûle, qui invite à la purification, un travail qui semble ne jamais se terminer et pour lequel il semble vain de prévoir un délai. Mais aussi parce que le poids et l’influence de Kasper ont été très grands, et l’arrivée du Suisse marque en effet un changement d’accent (ndt: à double sens, bien sûr, puisque le cardinal Kasper était lui, allemand et non pas suisse alémanique).

Mais peut-être parce que Koch a fait l’expérience de la Croix d’une façon très claire pendant ses années comme évêque à Bâle, peut-être à cause de sa formation théologique à l’ombre du maître von Bathasar, le fait est qu’il œuvre avec une habilité pleine de charmes, apparemment peu « Europe centrale », franche et libre, sans éluder la confrontation si elle s’avérait nécessaire. Suivre son dialogue tous azimuts avec les évangéliques allemands, dans le sillage de la présence du Pape à Erfurt, était impressionnant. Un autre dans une occasion similaire aurait tenté d’être avant tout courtois et d’éluder des questions incommodes, mais il a dû penser qu’on ne l’avait pas appelé pour cela, et l’unique façon pour que l’unité avance consiste dans la possibilité de nous dire la vérité dans la charité.

Le rendez-vous est pour 2017, le cinq centième anniversaire de la Réforme de Martin Luther. Mais la marmite des préparatifs est déjà sur le feu, et la question est : sous quelle forme l’Église Catholique se fera-t-elle présente ? Un nouveau document conjoint est en préparation, après le point de repère historique de la Déclaration Commune sur la Doctrine de la Justification qui a vu le jour en 1999, dans laquelle le Préfet de la Foi de l’époque, Joseph Ratzinger, a joué un rôle décisif. Le titre en sera « Du conflit et de la communion » et d’après ce qu’en a anticipé le Président du Conseil Pontifical pour l’Unité des Chrétiens, il indique un changement de perspective pour le chemin à venir. Parmi les questions abordées, celles liées à la sacramentalité de l’Église et du ministère apostolique; et ce dernier point est un terrain rempli de ronces qui blessent et divisent, peut-être bien plus que les différences elles-mêmes autour de la Justification, qui ont été très nuancées grâce à un approfondissement de chacun dans sa compréhension propre, et en démolissant les caricatures mutuelles. En tout cas le travail continue.

Mais les gestes seront aussi très importants. Koch vient d’expliquer qu’une célébration pénitentielle commune serait une forme belle et significative. Certains s’exclameront : « Mais oui, bien sûr ! À la place des lumières et de la joie, la pénitence ».
Mais l’argument du cardinal suisse me paraît non seulement correct mais très suggestif : « ce serait une célébration pénitentielle commune dans laquelle nous reconnaîtrions ensemble nos fautes… Martin Luther a introduit des aspects très positifs, il cherchait passionnément Dieu, il était totalement dédié à Dieu et il ne cherchait pas une division mais une rénovation de toute l’Église ; le fait que la réforme n’ait pas atteint sa finalité, c'est-à-dire, la rénovation de l’Église, est de la responsabilité des deux parties, et a été dû à des raisons d’ordre théologique et politique… le reconnaître et se pardonner réciproquement serait un grand et beau geste » [cf. (1) ] .

Évidemment le cardinal Koch ne prétend pas résoudre en quatre phrases un dialogue qui durera encore des générations - et Dieu veuille qu’il dure.
Il s’agit bien plus de souligner une analyse vraiment authentique qui pourrait nous unir, catholiques et luthériens, à cette occasion. Parce qu’il serait difficile de comprendre, et encore plus de prendre part à une célébration (nous savons qu’elle peut être polémique aussi pour nos frères luthériens) entendue comme simple auto-satisfaction pour un événement qui, bien au-delà de ses intentions d’origine, a provoqué une blessure amère dans le corps de l’Église.
On ne peut nier le bien qui a surgi de la foi sincère de tant de fidèles de la Réforme en ces 500 ans, un bien que nous devrions reconnaître sans équivoques et qui nous enrichit nous aussi les catholiques. Mais nous ne pouvons pas non plus éluder qu’entre nous se sont déployées une violence et une incompréhension mutuelle, et que s’est produit un éloignement progressif par rapport au centre commun de l’Église indivise des premiers siècles.
Ainsi, reconnaître ensemble que nous avons commis d’immenses erreurs les uns et les autres, répond à la vérité et nous aide dans le chemin de l’unité. Cela Koch l’a dit aussi, un cardinal dont les épaules comme « catholique » (universel) sont aussi larges que son cœur.

“L’histoire ne peut s’annuler, a dit le théologien allemand Stephan Horn ( religieux salvatorien et président de l'Association des anciens élèves de Benoît XVI, cf. Conclusion du Ratzinger Schülerkreis), mais on peut changer son interprétation, la façon de juger les faits ».

En cela, le passage du temps, la connaissance mutuelle et le témoignage commun sur le totalitarisme, et maintenant le nihilisme de la société sécularisée, peuvent en effet nous aider. Il est impossible de ne pas se rappeler les mots de Benoît XVI dans l’ancien couvent des Augustins d’Erfurt, en octobre 2011 :

« … la chose la plus nécessaire pour l’œcuménisme est par-dessus tout que, sous la pression de la sécularisation, nous ne perdions pas presque par inadvertance les grandes choses que nous avons en commun, qui en elles-mêmes nous rendent chrétiens et qui sont restées comme don et devoir. C’était l’erreur de l’âge confessionnel d’avoir vu en majeure partie seulement ce qui sépare, et de ne pas avoir perçu de façon existentielle ce que nous avons en commun dans les grandes directives de la Sainte Écriture et dans les professions de foi du christianisme antique… Comme les martyrs de l’époque nazie nous ont conduits les uns vers les autres, et ont suscité la première grande ouverture œcuménique, ainsi aujourd’hui encore, la foi, vécue à partir du plus profond de nous-mêmes, dans un monde sécularisé, est la force œcuménique la plus forte qui nous réunit, nous guidant vers l’unité dans l’unique Seigneur.».
(http://www.vatican.va)

Je ne sais pas si la belle proposition du cardinal se concrétisera en un acte, ni, surtout, si elle se réalisera en 2017. Mais elle aiderait sûrement à la purification dont nous avons besoin les uns et les autres pour garder, alimenter et professer ensemble face au monde « les grandes choses que nous avons en commun ».

(1) Note sur Luther

Vittorio Messsori est interrogé par Andrea Tornielli (http://benoit-et-moi.fr/2008/)

Les idées ne s'imposent pas toujours et de toutes façons (envers et contre tout), mais seulement lorsqu'elles trouvent des temps favorables.

A Worms, en Rhénanie-Palatinat, j'ai vu le monument, si souvent reproduit dans les livres, qui évoque la convocation de Luther devant la Diète impériale, en 1521, lorsque l'empereur en personne lui demanda de renoncer à ses doctrines, vu l'usage qui en était fait. Luther aurait répondu avec une phrase qui est devenue tellement proverbiale qu'elle est gravée sur le soubassement de la statue qui le représente. L'empereur, en effet, dit au bouillonnant religieux : « Ou tu te rétractes, ou bien nous en tirons les conséquences et nous te livrons à l'Inquisition ». Le moine augustinien (il l'était encore) répondit, si l'on s'en tient à la tradition : « Ici je suis, je ne peux rien d'autre », ajoutant aussitôt: « Que Dieu m'aide. Amen ».
Naturellement, l'élite des savants teutons s'est disputée pour établir les paroles exactes: mais il s'agit là d'une anecdote, qui ne touche pas à la substance.
Évidemment, je ne prends en rien Martin Luther pour exemple, ni en bien ni en mal : comme cela se produit, au fond, pour tous les personnages vraiment grands de l'histoire, et pas seulement ceux religieux, plus on cherche à approfondir l'homme et plus on comprend pourquoi Jésus nous a imposé de ne pas juger et de lui laisser le verdict final.

Les idées peuvent, et même doivent être passées au crible de l'examen, et, si nécessaire, condamnées.
Il n'est pas vrai du tout que toutes les opinions soient à respecter, comme le veut la vulgate du bien-pensant actuel, qui désire se sentir gratifié et bon. Il y a des idées, et même beaucoup, qu'il est juste de contester, et peut-être de combattre durement.

Mais que savons-nous, au fond, des personnes qui expriment ces idées et les incarnent? Tu sais, je suis convaincu que l'oecuménisme, pour être authentique et (à Dieu ne plaise) profitable, a besoin de vérité et pas de déclarations "buonistes", évidemment toutes en faveur des « frères séparés », tandis que des catholiques, et seulement d'eux, on attend toujours les mea culpa.
Permets-moi de constater, alors, que sur le plan de la vérité objective, l'oeuvre de ce moine fut à coup sûr désastreuse : il rompit pour toujours l'unité, pas seulement religieuse mais aussi culturelle, de l'Occident; et si l'Europe n'est plus une seule patrie, comme aux temps de la christianitas médiévale, c'est aussi à lui qu'on le doit.
Il provoqua une multitude de morts, dévastations, cruauté dans les guerres de religion qui, par l'horreur causée en presque deux siècles, furent la graine qui porta à l'agnosticisme et à l'athéisme de l'Occident; proclamant vouloir redécouvrir la « liberté » du chrétien, en réalité il le soumit à ces mêmes Princes devenus entre-temps évêques et papes, détruisant la distinction libératrice de Jésus entre Dieu et César ; en choisissant la rupture violente il entraîna le raidissement de l'Église, alors qu'il aurait fallu continuer dans la purification lente, déjà en oeuvre en profondeur, en la favorisant avec l'arme chrétienne la plus puissante. Qui est certes la réforme continue: mais celle que chacun commence avec lui-même, le désir et la recherche de la sainteté personnelle.

Rien n'est moins chrétien que le révolutionnaire politique, qui veut changer tout et tous, sauf lui-même.
Cet homme, qui épousa une nonne comme ultime provocation au pape, porta avec lui encore bien d'autres malheurs. Ces fruits, cependant, on peut les constater, dans les faits, dans l'histoire, sur un plan objectif; sur le plan subjectif, le chrétien, en tant que tel, laisse au Père Eternel le jugement sur l'homme.