Benoit XVI, un Pape qui gouverne

C'est ce que révèle une autre lecture, plus approfondie, et peut-être involontaire de la part de l'auteur, du livre à l'origine du scandale. Un article d'un journaliste mexicain, traduit par Carlota (23/8/2012)

Andrés Beltramo Álvarez (déjà rencontré dans ces pages) est un jeune journaliste de 33 ans, né en Argentine, formé au Mexique, actuellement correspondent de presse en Italie et accrédité auprès du Vatican. Il anime notamment un blogue « Sacro y Profano » sur « Religion en Libertad ».
Il essaie malgré tout de tirer le côté positif du livre de Gianluigi Nuzzi obtenu à la suite des documents dérobés chez le Pape.
Article original: infocatolica.com/blog/sacroprofano.php/

Comment gouverne Benoît XVI ?
Andrés Beltramo Álvarez
Texte original: http://infocatolica.com
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Benoît XVI est un Pape qui gouverne. Nous l’avons répété en de nombreuses occasions sur cet espace [médiatique], parce que c’est ce que les faits confirment.
Mais, à un moment ou à un autre, depuis le début de son ministère apostolique, on a voulu répandre (plus ou moins artificiellement) l’idée d’un Joseph Ratzigner comme un souverain pontife, seulement souffrant, et incapable de conduire d’une façon adéquate les rênes de l’Église catholique.

Nous allons maintenant présenter un document qui démontre justement le contraire.
Le livre « Sa Sainteté. Les lettres secrètes de Benoît XVI » du journaliste italien Gianluigi Nuzzi, n’est pas seulement l'emblème concret du scandale connu comme les «vatileaks» par le fait qu’il contient la plus grande fuite de documents «confidentiels » sur des affaires du Saint Siège.
C’est aussi une précieuse source d’information.
Les rapports contenus dans ce volume ne sont pas tous embarrassants, quelques textes même laissent apparaître des détails méconnus et positifs du travail de l’évêque de Rome.

De plus, en feuilletant les 326 pages de l’ouvrage, on ne trouve pas de grandes conspirations internationales, de honteux blanchiments de capitaux , ou des liens évidents avec la mafia, comme on pourrait le penser. Le livre reflète des affaires (quelques unes graves, d’autres moins) de l’administration pontificale ordinaire. Et la majorité des documents sont des lettres et des messages que des personnes de diverses parties du monde ont fait transmettre au responsable catholique, pour solliciter son intervention dans des situations concrètes.
Mais il existe des plusieurs rapports intéressants. Sous-estimés par Nuzzi, peut-être par sa méconnaissance du milieu ecclésiastique [il n’est pas un « vaticaniste », en réalité, c’est un chroniqueur judicaire (ndt: sic ! L’on peut voir d’autres explications à cette sous-estimation…)]. Et comme ils ont été mis à la fin du livre, ils ont manqué de publicité dans les médias. Il s’agit des notes de Benoît XVI lui-même sur des affaires-clefs. On peut y apprécier la façon dont le Pape gouverne, et analysés dans leur ensemble, ils offrent le profil d’un pasteur attentif, préoccupé, patient, informé et en rien fragile, malgré toutes les pressions réelles qu’il reçoit.

Comme preuve, nous allons citer le cas de William M. Morris, évêque du diocèse australien de Toowoomba.
Le 2 mai 2011, la salle de presse du Vatican a annoncé la « destitution » de cet ecclésiastique par ordre du Pape. Comme c’est habituel, officiellement le Saint Siège n’a pas donné d’explications à une décision peu commune, prise face à un problème grave. De toutes manières la situation était connue. Morris n’a jamais caché ses positions progressistes (ndt: novlangue, car il ne s’agit pas d’être ou non moderne mais d’être en conformité avec la doctrine de l’Église, i.e catholique !). En 2006 il avait publié une lettre pastorale dans laquelle il avait défendu l’ordination sacerdotale des femmes et l’implication de pasteurs anglicans dans les sacrements catholiques. En outre il procédait à des absolutions collectives des fidèles, sans la confession individuelle. Tout cela justifié par le manque de prêtre dans son très vaste diocèse de 487 456 km2 (ndt: effectivement c’est presque la surface de la France, d’après wikipedia en anglais, qui n’a toujours pas mis en ligne le nom du nouvel évêque, environ 66 000 catholiques soit 30% de la population présente dans cette région d’Australie – voir ici le site du diocèse http://www.twb.catholic.org.au/).

En 2007 le Saint Siège avait envoyé l’archevêque nord-américain Charles Chaput pour qu’il fasse une visite apostolique (un audit) dans le diocèse.
Avec tous les éléments en main, Ratzinger a convoqué l’évêque à Rome qu’il a rencontré en privé. Celui-ci lui a assuré qu’il présenterait sa démission mais finalement il ne l’a pas fait et s’est déclaré en rébellion. Il est allé vers la presse et il a créé un scandale.
Pendant ce temps Benoit XVI a suivi l’affaire d’une façon méticuleuse, comme en témoigne la note dont la reproduction figure intégralement plus bas.
De cette note, il ressort un souverain pontife bien informé, qui connaît l’affaire et est très clair sur l’exigence doctrinale propre à tout évêque. En résumé, un Pape qui fait son travail mais le fait avec diplomatie et respect. À aucun moment il ne met en doute les intentions d’un évêque dans une attitude évidente de désobéissance et jusqu’à « s’accuser de ne pas bien comprendre l’anglais » quand il le manie plus que d’une manière satisfaisante.
Le message a été adressé à celui qui était alors le préfet pour la Congrégation pour les Évêques du Vatican, le cardinal Giovanni Battista Re, et date de décembre 2009. Le renvoi de Morris s’est fait 17 mois plus tard. Même la patience du Pape a ses limites.

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Le texte de la lettre en italien se trouve à la page 218 du livre "Sua Santità"
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Cité du Vatican
11-12-2009
Note pour son Éminence le Cardinal Re
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Merci pour le projet de lettre à S.E. Mons. Morris. J’ajouterais les éléments suivants :
- Le prélat parle toujours d’un « procès » (ndr: le mot italien utilisé est "processo", ambigu, mais dans le contexte, il s'agit bien de procès), de « defect in process » (page 1, paragraphe 5) ; il dit «I have been denied natural justice and due process » (page 2, paragraphe 6); « there has not been a canonical process » (ibid), etc.
Il faudrait dire qu'en réalité, il n’y a eu aucun procès, mais un dialogue fraternel et un appel à sa conscience pour renoncer librement à la charge d’évêque diocésain. Nous sommes convaincus que sa formation doctrinale n’est pas en adéquation avec ce poste et c’était notre intention de lui expliquer les raisons de notre conviction.
- Le prélat parle de «a lack of care for the truth » (un manque de respect pour la vérité) de notre part (page 1, paragraphe 4).
Cette affirmation est inacceptable. Mais il existait évidemment un malentendu, créé, il me semble, par ma connaissance insuffisante de la langue anglaise. Lors de notre rencontre j’avais essayé de le convaincre que sa démission était souhaitable, et j’avais compris qu’il avait exprimé sa disponibilité pour renoncer à sa charge d’évêque de Toowoomba. D'après sa lettre je vois que cela a été un malentendu. Je prends note, mais je dois décidément dire qu’il ne s’agit pas de « a lack of care for the truth ».
- le prélat affirme qu’il ne s’agirait que de différences culturelles qui ne toucheraient pas la communion. En réalité dans sa lettre pastorale, - en plus de choix pastoraux très discutables - on trouve au moins deux propositions incompatibles avec la doctrine de la foi catholique :
- La lettre dit qu’on pourrait aussi procéder à l’ordination des femmes pour suppléer au manque de prêtres. Mais le Saint Père Jean-Paul II a dit d’une façon infaillible et irrévocable que l’Église n’a pas le droit d’ordonner les femmes dans le sacerdoce.
- Il dit en plus que les ministres des autres communautés (anglicanes, etc.) pourraient aussi aider l’Église catholique. Mais selon la doctrine de la foi catholique les ministères de ces communautés ne sont pas valides, ne sont pas « sacrement » et pour cela ne permettent pas des actions liées au sacrement du sacerdoce.
Il ny a pas de doutes sur ses excellentes intentions pastorales, mais il apparaît clairement que sa formation doctrinale est insuffisante. Mais l’évêque diocésain doit aussi et surtout être Maître de la foi, la foi étant le fondement de la pastorale. Pour cela je l’invite à réfléchir en conscience devant Dieu sur sa renonciation libre à son actuel ministère en faveur d’un ministère plus compatible avec ses dons.
L’assurer de ma prière.
BXVI.