Cardinal Martini: échos d'Espagne

Traduite par Carlota, une impitoyable explication de texte de l'interviewe posthume du cardinal Martini, par un blogueur espagnol (4/9/2012)

Il est par moments d'une sévérité excessive, mais à d'autres, quels arguments!!!

>>> Document: le testament du Cardinal Martini

Évidemment, le monde hispanique progressiste a déjà canonisé l’ancien évêque de Milan récemment décédé et l’on ne s’étonnera pas de l’éditorial de José Manuel Vidal qui, sur ce sujet, est un modèle du genre (voir ici en vo blogs.periodistadigital.com/).
Au contraire, des sites catholiques conservateurs n’ont aucune indulgence pour le défunt (et ils n’ont pas forcément tort sur certains points).
Par contre je n’aime pas quand certains reprochent au Pape sa « lettre de louange » au prélat défunt (cf. Message pour les obsèques du cardinal Martini ).
En écrivant ce texte le Saint Père ne nous demande-t-il pas aussi de regarder l’avenir, plutôt que de nous occuper de ce qui est passé…
Le cardinal Martini, un bon prélat et un érudit pour les uns, un ennemi infiltré dans l’Église et un homme qui n’a pas su utiliser ses qualités et ses défauts qui l’ont entraîné vers des chemins erronés pour d’autres, peut-être un peu de tout cela. Mais la pesée des âmes ne nous appartient pas. Et puis Jésus a dit: « Laisse les morts ensevelir leurs morts; et toi, va annoncer le royaume de Dieu » Luc 9-60.

Je ne connais absolument pas l’œuvre savante de feu le cardinal Martini, par contre, ses déclarations posthumes (Document: le testament du Cardinal Martini) ne me semblent pas pertinentes par rapport à la réalité d’aujourd’hui.
J’ai retrouvé cette même impression dans un article que Jorge Soley a mis en ligne sur son blog hébergé par Religión en Libertad (original ici).
C’est féroce, mais sans doute assez juste (disons que l’auteur juge surtout l’attitude publique du prélat et pas forcément ses travaux pointus sur les Écritures).
Soley est journaliste économique, il est bien loin de la génération de ceux qui ont fait et connu le concile Vatican puis qu’il a la quarantaine. Il est marié et père de six enfants, mais aussi originaire de Barcelone, la ville la plus progressiste et déchristianisée (pardon, sécularisée) d’Espagne. Il se déplace également beaucoup en Amérique hispanophone. Son expérience de la réalité du monde n’est pas négligeable.

Carlota, 4 septembre

 

Le cardinal Martini ou l’autisme progressiste
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Vendredi dernier, nous est arrivée la nouvelle du décès du Cardinal Martini, l’ancien évêque de Milan décédé à 85 ans. Ma première réaction, comme je suppose celle de nombreux frères dans la foi, a été de prier pour son repos éternel, dans la confiance de ce Dieu l’accueillera bientôt en son sein et qu’il aura la jouissance là-bas de la vision du bonheur éternel.

Ensuite tout au cours de la fin de semaine, ont commencé à apparaître des commentaires divers, puis, dans le «Corriere della Sera », journal dans lequel Martini a maintenu pendant de nombreuses années une rubrique, un entretien-bombe posthume où le Cardinal livrait son testament spirituel (Document: le testament du Cardinal Martini ).
Et qu'y trouvons-nous ? Un ensemble de banalités progressistes, spécialement pensées pour flatter la culture dominante antichrétienne, qui ont démontré plus d'une fois leur stérilité, et qui résonnent, en 2012, d’une façon terriblement empoussiérée et vieillie.

Mais, que propose le Cardinal Martini exactement ?
Il commence par affirmer que l’Église « vit 200 ans en arrière par rapport à son temps » et qu’elle a besoin d’une profonde rénovation. En ce qui concerne la rénovation, on ne peut pas répondre autrement que, évidemment, dans l’Église, l’on doit appliquer le « de Ecclesia semper reformanda est » pour se libérer des contaminations de ce monde qui inévitablement vont adhérer à elle dans notre cheminement dans cette vallée de larmes.
Une autre question est de savoir ce qu’entendait Martini par la rénovation de l’Église, quelque chose qui à la lumière de l’entretien était assez confus et en forme de lieu commun. Quant à la référence au retard de l’Église, Martini se trompe, et mérite un zéro pointé : L’Église vit de ce qui est arrivé il y a 2000 ans, qui a commencé à Bethlehem et s’est terminé au Calvaire. Tout le reste est chronolâtrie, culte du présent, une maladie très ancienne et qui a le grave inconvénient de se rendre malade elle-même très vite.

Martini poursuit en constatant que « nos églises sont vides », et il en rend fautive la hiérarchie qui n’a pas su se mettre en contact avec son temps. Étonnant commentaire de la part de celui qui a été un grand prince de l’Église, influent et avec des charges d’une très grande importance.
Et il donne le coup de grâce : « nos rites religieux et les vêtements que nous portons sont pompeux », alors que nous avons assisté à un appauvrissement criant ces dernières décennies. Des vêtements pompeux, alors qu’aujourd’hui beaucoup de prêtres se mettent à peine en aube pour célébrer la messe? Martini donne l’impression d’être comme un disque rayé qui en est resté à la fin des années 1960 et qui depuis est demeuré complètement autiste à la réalité de la vie de l’Église, répétant le même mantra progressiste encore et encore. Parce que pour sûr, là où le rite s’est re-sacralisé nous trouvons que les jeunes accourent, tandis que moins c’est « pompeux » plus nous offrons aux jeunes des églises désertes.
Peut-être que Martini n’a pas contemplé ce qui est arrivé durant les dernières JMJ quand a été exposé le Saint Sacrement dans l’ostensoir de Tolède (1) [qui selon son critère, doit être en retard de bien plus que 200 ans sur son temps] ?

Dans l’entretien, l’on trouve tous les lieux communs, du plutôt banal, du cliché, d’un cardinal dont le but semble avoir été de satisfaire l’opinion dominante antichrétienne ou tout au moins de ne pas s’en faire l’ennemi. Et il l’a bien obtenu. L’article du journaliste italien Antonio Socci, « Io non sono martiniano, sono cattolico » (cf. Le cadeau posthume à L'Eglise du cardinal Martini ), est dévastateur et on peut difficilement ajouter quelque chose de plus à ses commentaires.
Les efforts de Martini pour trouver le côté positif de presque tout (ndt il n’était pas le seul parmi les prélats de sa génération ou de la génération suivante) seraient louables si ce n’était parce que, au lieu de montrer la vérité avec une plus grand splendeur, ils étaient toujours là pour camoufler l’erreur et ils trompaient les gens. À l’occasion en frisant l’obscène, comme lorsqu’il affirme que la législation de l’avortement (celle qui a banalisé l’avortement et l’a multiplié) est positive car elle élimine les avortements clandestins. La pauvreté de l’argument qui en résulte est évidente.

Mais au delà des nombreux dérapages de Martini, ce qui m’intéresse, c’est que dans son attitude se trouvent enfermées diverses clefs du progressisme ecclésial.
Nous avons déjà signalé la chronolâtrie, le culte du présent, et sa disposition à s’attirer les bonnes grâces de la pensée dominante, même si cela l’entraîne à déformer le message évangélique, ainsi que son aveuglement devant la réalité qui nous entoure et qui démontre maintes et maintes fois la stérilité du progressisme. Ce qui a pu être une position bien intentionnée et naïve (ndt l’auteur emploi le mot français « naïf » qui est passé à l’espagnol à partir du dénominatif d’un style de peinture dont le Douanier Rousseau fut l’une des figures emblématiques à la fin du XIXème) dans les années 1960, , est à ce niveau d’une énorme malhonnêteté intellectuelle, qui ne se comprend que par un orgueil qui n’admet pas la possibilité de se tromper et qui lance tout son fiel sur l’Église et le Pape, qu’il rend coupables de son échec. C’est une attitude d’autosuffisance, loin de l’humilité évangélique, qui va donnant des leçons pédantes et qui est incapables de faire son examen de conscience. Ce n’est pas étonnant que le modèle des réformes que propose Martini soit Luther, de qui il dit dans un entretien qu’il a été l’inspirateur du Concile Vatican II (2). Cette attitude se voit aggravée en outre par l’avancée en âge de ceux qui la défendent, ces réformateurs octogénaires qui n’ont rien réformé mais qui ont beaucoup détruit et qui constituent une gérontocratie particulière, similaire au Politburo du temps de Brejnev en Union Soviétique,

Un autre aspect qui appelle avec force l’attention, c’est la capacité de Martini à parler en profitant de sa condition de cardinal de l’Église catholique mais, en même temps, comme si c’était en dehors de lui. Ainsi il affirme que l’ « Église a besoin d’un vent frais », mais lui, il résistait avec force pour ne pas laisser le pas à de nouvelles réalités ecclésiales que ne rentraient pas dans ses préjugés; il déclare que « si Jésus revenait il lutterait contre les actuels responsables de l’Église », probablement en commençant par Martini lui-même, ajoutons-nous, et il fait l’invocation suivante : « Seigneur, donne toujours à ton peuple des pasteurs qui agitent la fausse paix des consciences », quelque chose qu’il n’a jamais mis en avant, préférant toujours justifier tout comportement sur l’autel du dialogue et de la coexistence. Martini ne se rendait-il vraiment pas compte des contradictions dans lesquelles il tombait ? Je crois que le plus probable est que non, tant peut nous aveugler l’orgueil intellectuel.

En définitive, l’entretien posthume de Martini nous confirme l’échec et l’autisme de toute une génération de clercs progressistes (ndt j’ajouterai d’une élite en général. Regardons autour de nous. Des rois nus qui s’accrochent à leurs privilèges, parce qu’ils ne leur restent plus que cela), leur incapacité à voir les signes du temps et la réalité qui les entoure, ainsi que la stérilité d’une attitude qui cherche toujours à s’attirer les bonnes grâces des puissants. Comme l’écrit Giuliano Ferrara , avec Martini disparaît un réformateur qui a échoué, qui a pris le chemin qui est celui de satisfaire le monde.

Assurément, que quelqu’un comme Martini ait été président de la Conférences des Évêques européens est symptomatique et aide à comprendre la crise de la foi qui détruit notre continent et que le Pape veut combattre avec l’Année de la Foi qui commence dans peu de temps.

Que le Cardinal Martini repose en paix en compagnie des anges et des saints, mais par honnêteté intellectuelle et amour de l’Église, qu’on ne nous vende pas comme réformateurs ceux qui ont démoli la Maison du Père (3).

Notes de traduction

(*) L’ostensoir de la cathédrale de Tolède (siège du Primat d’Espagne) est l’une des plus précieuses orfèvreries du monde chrétien et un énorme symbole en Espagne, hormis son usage religieux stricto senu. Il comprend l’ostensoir proprement dit qui est abrité dans une « tour » d’environ 2 mètres de haut et qui sort pour la procession du Saint Sacrement, une fois l’an par les rues de Tolède. La partie la plus ancienne a été commandée par la Reine Isabelle de Castille, et confectionnée avec le premier or ramené d’Amérique par Christophe Colomb, alors que l’Espagne venait de retrouver son entière indépendance après 700 ans d’occupation étrangère et musulmane. Cet extraordinaire œuvre d’art et d’histoire fut mis à l’abri à Cadix par le cardinal Louis Marie de Bourbon et Vallabriga (1777-1823), seul membre de la famille royale espagnole à avoir pu rester en Espagne entre 1808 et 1814, et qui était devenu régent du Royaume durant la guerre contre les Français alors que les Espagnols refusaient le Roi Joseph Bonaparte mis en place par Napoléon. Pendant la guerre civile (1936-1939), il fut également mis à l’abri à Cadix. Depuis il n’a quitté que trois fois Tolède et dernièrement donc pour les JMJ et la fameuse veillée sous le terrible orage.

Si l’on croit à l’acte d’adoration du Corps du Christ, présence réelle du Christ, un mystère sans doute, mais un pilier de notre foi de catholique, il n’y a pas à s’étonner de la splendeur d’un ostensoir qui abrite Notre Seigneur mais rend aussi hommage au savoir faire des hommes créés à Son image et qu’Il a rendus capables de réaliser de tels chefs d’œuvre, ce chef d’œuvre est aussi la témoignage de la longue file de chrétiens qui nous ont précédés dans l’amour de Dieu. Et enfin pourquoi les pauvres ne pourraient-ils pas eux aussi avoir la possibilité de s’approcher du beau qui aide à se tourner vers Dieu ?

(2) Si cette remarque est véridique, elle est vraiment révélatrice du personnage, car même si le Concile Vatican II n’a pas été du goût de tous les participants, il est malhonnête de s’exprimer ainsi.
Petit rappel : Martin Luther (né en 1483 à Eisleben - Saint-Empire romain germanique et mort dans la même ville en1543), fut d’abord moine augustin. En 1521, il publie le De votis monasticis, où il déclare que rien dans les écritures ne justifie l'existence du monachisme et que les vœux prononcés par les religieux n'ont aucune valeur. À Pâques 1523 Katharina von Bora (Catherine de Bore) nonne cistercienne s’échappe de son couvent, avec d’autres consœurs. Accueillie par la femme du peintre Lucas Cranach à Wittenberg, la «Rome» de la nouvelle religion, elle y rencontre Martin Luther qu’elle épouse en juin 1525.
Côté français : En 1522, un premier moine français se marie à Wittenberg. D'autres ecclésiastiques vont suivre ses traces et se forment à la doctrine nouvelle. Ils reviennent en France comme « Ministre de la Parole de Dieu » pour enseigner leur doctrine et arracher les catholiques à leurs anciennes croyances. L’acte d’abjuration que ces derniers prononcent déclare qu’ils «font la promesse de vivre pour l’avenir, selon l’ordre de l’Église Réformée, et renoncent à suivre l’idolâtrie » (la consultation des archives départementales en ligne où l’on trouve des registres des « paroisses » protestantes permettent de lire aisément ces éléments). La Sainte Messe devient la sainte Cène. Dans la nuit du 18 octobre 1534, des proclamations contre la messe sont placardés en différents lieux du royaume de France et jusque sur la porte de la chambre de François 1er, à Amboise. Ces placards avaient été rédigés par Antoine Marcourt, un pasteur de Neuchâtel, en Suisse et imprimés dans la même ville. Ils s'intitulaient : «Articles véritables sur les horribles, grands et insupportables abus de la messe papiste, inventée directement contre la sainte Cène de Notre Seigneur, seul médiateur et sauveur Jésus-Christ». […] «Il ne peut se faire qu'un homme de vingt ou trente ans soit caché en un morceau de pâte».
Ceux qui veulent « protestaniser » l’Église catholique de l’intérieur aujourd’hui sont tout sauf loyaux. La loyauté est pourtant une des premiers vertus évangéliques…

(3) Sans vouloir minimiser la faute des pasteurs et encore plus des évêques dont la crosse est là pour protéger et morigéner les brebis à l’occasion, je crois que l’homme de la deuxième partie du XXème s’est trouvé, parce que sans doute dans une période d’euphorie liée à l’abondance de biens et de plein emploi, bien sourd à certaines paroles. Et il aurait fallu des légions de curés d’Ars pour essayer de garder les gens sur le droit chemin. Cette société enfant gâté puis adolescente qui se croit tout permis, a cassé son jouet. Elle est en train aujourd’hui de découvrir le champ de ruine qu’elle a provoqué. Mgr Martini voulait-il seulement savoir que des centaines de jeunes prêtres aujourd’hui célèbrent la messe aujourd’hui avec ses ornements et vêtements liturgiques « pompeux ». Les temps changent effectivement…
La Réforme Luthérienne avait mis elle aussi l’austérité dans les lieux de prière, la Contre-Réforme redonna aux hommes assoiffés de beau, les splendeurs de l’art religieux tant liturgique, que sculptural et musical. Le progressisme contemporain a de nouveau voulu tout remisé au nom de la modernité, enlevant leur «âme » aux pierres…et aux hommes, avec les conséquences que l’on sait. De Ecclesia semper reformanda est .