Document: le testament du Cardinal Martini

J'ai traduit le texte de l'interviewe accordée par lui le 8 août dernier, et que le Corriere della Sera a publiée le lendemain de sa mort. Elle rappelle la lettre posthume de l'Abbé Pierre, en 2007 (3/9/2012, mise à jour)

La nouvelle a été reprise par le NYT, la BBC, et Le Monde.
Pas franchement la presse catholique, donc. Et même une presse notoirement impliquée dans TOUTES les attaques récentes contre Benoît XVI.
Le procédé rappelle étrangement la lettre posthume de l'Abbé Pierre (1)

Voir aussi:
>>> La mort du cardinal Martini
>>> Le cadeau posthume à L'Eglise du cardinal Martini

C'est un catalogue que ne renieraient pas Hans Küng, et ses "versions du pauvre" hexagonales.

Il n'y a que deux options.

¤ Soit le cardinal était parfaitement lucide au moment où il a prononcé ces paroles, et alors, il était bien LE grand diviseur que certains ont soupçonné. Il lègue à l'Eglise, et au Saint-Père, une véritable bombe. Quel que soit le fond de vérité que recèlent ces propos (il y en a certainement), c'est un acte ultime de vanité et de désobéissance, ou au moins, d'incitation à la désobéissance. Il ne rend pas service à l'Eglise, mais contribue à la lacérer, en la livrant sur un plateau aux critiques de ses pires ennemis, à l'intérieur et à l'extérieur. (2)

¤ Soit le vieil homme, à la dernière extrémité, s'est vu extorquer (ou attribuer) ces propos par des gens peu scrupuleux, poursuivant un but précis. Une fois qu'il est mort, l'opération est sans rique.

Texte en italien ici: http://www.corriere.it
Ma traduction - les caractères "(...)" sont dans le texte original.

 

L'adieu à Martini
«L'Eglise a 200 ans de retard»

La dernière interview: «Pourquoi ne se secoue-t-elle pas, pourquoi avons-nous peur?»

Le père Georg Sporschill, le confrère jésuite qui l'a interviewé dans «Conversations nocturnes à Jérusalem» et Federica Radice, ont rencontré Martini le 8 Août: «Une sorte de testament spirituel. Le cardinal Martini a lu et approuvé le texte».
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- Comment voyez-vous la situation de l'Eglise?
«L'Eglise est fatiguée, dans l'Europe du bien-être et en Amérique. Notre culture a vieilli, nos Eglises sont grandes, nos maisons religieuses sont vides et l'appareil bureaucratique de l'Église en augmentation, nos rituels et nos vêtements sont pompeux. Ces choses expriment-elles ce que nous sommes aujourd'hui? (...) Le bien-être pèse. Nous nous trouvons là, comme le jeune homme riche qui s'en alla tout triste quand Jésus l'a appelé pour faire de lui son disciple. Je sais que nous ne pouvons pas tout laisser avec facilité. Mais au moins nous pouvons essayer de chercher des hommes qui soient libres et plus proches d'autrui. Comme Mgr Romero et les martyrs jésuites du Salvador. Où sont chez nous les héros auxquels nous inspirer? En aucun cas nous ne devons les limiter avec les contraintes de l'institution. »

- Qui peut aider l'Eglise aujourd'hui?
«Le Père Karl Rahner utilisait volontiers l'image des braises cachées sous la cendre. Je vois dans l'Eglise d'aujourd'hui tellement de cendres sur les braises qu'il me vient souvent un sentiment d'impuissance. Comment peut-on libérer la braise des cendres de manière à raviver la flamme de l'amour? Premièrement, nous devons chercher cette braise. Où sont les gens simples pleins de générosité comme le bon samaritain? Qui ont la foi, comme le centurion romain? Qui sont enthousiastes comme Jean-Baptiste? Qui osent le nouveau, comme Paul? Qui sont fidèles comme Marie-Madeleine? Je conseille au Pape et aux évêques de chercher douze personnes "hors-piste" pour les postes de direction. Des hommes qui sont proches des pauvres et qui sont entourés par des jeunes et qui expérimentent des choses nouvelles. Nous avons besoin de la confrontation avec des hommes qui brûlent, pour que l'esprit puisse se répandre partout.

- Quels instruments conseillez-vous contre la fatigue de l'Eglise?
«J'en recommande trois très forts.
. Le premier est la conversion: l'Eglise doit reconnaître ses erreurs et doit parcourir un chemin radical de changement, à commencer par le pape et les évêques. Les scandales de pédophilie nous poussent à nous engager dans un chemin de conversion. Les questions sur la sexualité et sur tous les thèmes concernant le corps en sont un exemple. Elles sont importantes pour tout le monde et parfois peut-être qu'elles sont même trop importantes. Nous devons nous demander si les gens continuent à écouter les conseils de l'Eglise sur les questions sexuelles. L'Eglise, dans ce domaine, est-elle toujours une autorité de référence ou seulement une caricature dans les médias?
. Le second est la Parole de Dieu. Le Concile Vatican II (...) a rendu la Bible aux catholiques. Seul celui qui perçoit dans son cœur cette Parole peut faire partie de ceux qui aideront au renouveau de l'Eglise et sauront répondre aux questions personnelles avec le juste choix. La Parole de Dieu est simple et cherche comme compagnon un cœur qui écoute (...). Ni le clergé, ni le droit ecclésial ne peuvent remplacer l'intériorité de l'homme. Toutes les règles externes, les lois, les dogmes, nous sont donnés pour clarifier la voix intérieure et pour le discernement des esprits.
. Pour qui sont les sacrements? Ceux-ci sont le troisième instrument de guérison. Les sacrements ne sont pas un instrument pour la discipline, mais une aide pour les hommes dans les moments de chemin et dans les faiblesses dans la vie. Portons-nous les sacrements aux hommes qui ont besoin d'une nouvelle force? Je pense à tous les couples divorcés et remariés, aux familles élargies. Ils ont besoin d'une protection spéciale. L'Église soutient l'indissolubilité du mariage. C'est une grâce quand un mariage et une famille réussissent (...). L'attitude que nous prenons à l'égard des familles élargies déterminera la proximité de l'Église à la génération des enfants. Une femme a été abandonnée par son mari et trouve un nouveau compagnon qui prend soin d'elle et de ses trois enfants. Le second amour réussit. Si cette famille est victime de discrimination, c'est non seulement la mère, mais aussi ses enfants, qui sont rejetés. Si les parents se sentent hors de l'Eglise, ou n'en ressentent pas le soutien, l'Eglise va perdre la prochaine génération. Avant la communion, nous prions: «Seigneur, je ne suis pas digne ...» Nous savons que nous ne sommes pas dignes (...). L'amour est grâce. L'amour est un don. La question de savoir si les divorcés peuvent recevoir la communion doit être inversée. Comment l'Église peut-elle apporter son aide par la force des sacrements à ceux qui ont des situations familiales complexes?

- Vous, que faites-vous personnellement?
«L'Eglise est restée en retard de 200 ans. Pourquoi ne se secoue-t-elle pas? Avons-nous peur? La peur plutôt que le courage? Pourtant, la foi est le fondement de l'Eglise. La foi, la confiance, le courage. Je suis vieux et malade et je dépends de l'aide des autres. Les personnes bonnes autour de moi me font sentir l'amour. Cet amour est plus fort que le sentiment de méfiance que je ressens parfois envers l'Église en Europe. Seul l'amour vainc la lassitude. Dieu est Amour. J'ai encore une question pour Toi: que peux-Tu faire pour l'Eglise?.

Georg Sporschill SJ, Federica Radice Fossati Confalonieri

La lettre posthume de l'Abbé Pierre

(1) Il m'est revenu en mémoire une autre lettre posthume, celle de L'Abbé Pierre, décédé en janvier 2007. Le procédé est rigoureusement identique!!
J'écrivais alors (cf. article en entier http://beatriceweb.eu )
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COMMENT FAIRE PARLER LES MORTS

Une bonne partie de sa vie, l'Abbé Pierre a été récupéré par les ennemis de l'Eglise.
Eh bien, il semble que cela continue même après sa mort.
En témoigne cette dépêche de l'AFP, publié dans LA CROIX. ...


L'abbé Pierre avait demandé au pape l'ordination de prêtres mariés
L'abbé Pierre avait écrit au pape Benoît XVI pour recommander l'accès à la prêtrise d'"hommes mariés, fervents et capables", annonce le Monde des religions qui publie jeudi ce document.
L'abbé Pierre, décédé le 22 janvier, avait écrit cette lettre le 1er novembre 2005 et demandé qu'elle ne soit rendue publique qu'après sa mort, indique le rédacteur en chef du magazine, Frédéric Lenoir, à qui l'abbé avait confié ce document.
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Désobéissance

(2) Lors de la Messe Chrismale de cette année, s'adressant aux prêtres, le saint-Père a médité sur la désobéissance (cf. benoit-et-moi.fr/2012-I):

Récemment, un groupe de prêtres dans un pays européen a publié un appel à la désobéissance, donnant en même temps aussi des exemples concrets sur le comment peut s’exprimer cette désobéissance, qui devrait ignorer même des décisions définitives du Magistère – par exemple sur la question de l’Ordination des femmes, à propos de laquelle le bienheureux Pape Jean-Paul II a déclaré de manière irrévocable que l’Église, à cet égard, n’a reçu aucune autorisation de la part du Seigneur.
La désobéissance est-elle un chemin pour renouveler l’Église ? Nous voulons croire les auteurs de cet appel, quand ils affirment être mus par la sollicitude pour l’Église ; être convaincus qu’on doit affronter la lenteur des Institutions par des moyens drastiques pour ouvrir des chemins nouveaux – pour ramener l’Église à la hauteur d’aujourd’hui. Mais la désobéissance est-elle vraiment un chemin ? Peut-on percevoir en cela quelque chose de la configuration au Christ, qui est la condition nécessaire de tout vrai renouvellement, ou non pas plutôt seulement l’élan désespéré pour faire quelque chose, pour transformer l’Église selon nos désirs et nos idées ?
Mais ne simplifions pas trop le problème. Le Christ n’a-t-il pas corrigé les traditions humaines qui menaçaient d’étouffer la parole et la volonté de Dieu ? Oui, il l’a fait, pour réveiller de nouveau l’obéissance à la vraie volonté de Dieu, à sa parole toujours valable. La vraie obéissance lui tenait justement à cœur, contre l’arbitraire de l’homme. Et n’oublions pas : il était le Fils, avec l’autorité et la responsabilité singulières de révéler l’authentique volonté de Dieu, pour ouvrir ainsi la route de la parole de Dieu vers le monde des gentils. Et enfin : il a concrétisé son envoi par sa propre obéissance et son humilité jusqu’à la Croix, rendant ainsi sa mission crédible....