C'est quoi, un vaticaniste? (I)

Angela Ambrogetti nous raconte avec sa verve habituelle comment a évolué cette profession somme toute mystérieuse, qui a connu son véritable essor avec le Concile (9/11/2012)

Imge de presse: une carte de presse italienne

     

Excusez-moi, mais c'est quoi, un vaticaniste?
Angela Ambrogetti
http://www.korazym.org/
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Aujourd'hui, quand un journaliste se présente comme «vaticaniste», il ne sait pas toujours exactement pourquoi. Oui, bien sûr, il s'occupe de faits du Vatican, d'information religieuse, il traite parfois de questions sociales. Mais la profession de «chroniqueur du Vatican» a une histoire qui au cours des 50 dernières années, s'est rapidement transformée et a changé la perception qu'a des «affaires du Vatican» le lecteur moyen qui aujourd'hui court sur internet pour les dernières nouvelles, et les plus «curieuses», peut-être même quelque détail savoureux.
Mais réellement, est-ce vraiment cela? Dans l'année où l'on commémore le 50e anniversaire de l'ouverture du Concile Vatican II, il est bon de rappeler non seulement le rôle que la presse a eu pour diffuser les informations sur les travaux, mais aussi comment le Vatican a transformé le rapport avec les journalistes jusqu'à le faire devenir ce qu'il est aujourd'hui. D'un rapport personnel à un rapport institutionnel.

Le Bureau de presse du Saint-Siège comme nous le connaissons aujourd'hui est évidemment le résultat de plus de 50 ans de relations entre les journalistes et le Vatican. Les Pontifes ont toujours eu une relation d'«amour / haine» avec les médias. Et si déjà en 1892, une interview du Pape Léon XIII dans Le Figaro déchaîna les polémiques (*) il est également vrai que, souvent, les sommets de la hiérarchie, ainsi que de nombreux évêques et prêtres ne sont pas vraiment des communicateurs en phase avec leur temps.
Pourtant, le Vatican a donné l'hospitalité aux journalistes dès la fin des années 30 et à la mort du pape Pie XI, il y avait une petite salle de presse installée dans la cour de Saint-Damase.
Impensable aujourd'hui. Mais qu'est-ce qui a changé? Les temps, sans doute.

Être journaliste, être «chroniqueur du Vatican» a toujours été un défi. Parce que bien sûr, à la Curie, il y avait ceux qui s'en réjouissaient, et ceux qui ne voulaient pas voir de journalistes dans les parages. Ainsi, le groupe de quatre, cinq «pistonnés» par Mgr Pucci (ndt: responsable de la salle de presse, il en sera question dans l'article suivant) qui avait un neveu journaliste, fut déplacé un peu plus loin. Et après la guerre, le service de presse prit place à côté de l'Osservatore Romano. Les journalistes étaient encore physiquement au Vatican. Chroniques, interviews, histoires et confidences étaient une façon parler du Vatican. A la «cour», pour ainsi dire.

Tout change cependant avec le Concile. Le monde d'après-guerre, d'ailleurs, avait déjà changé le rôle du journaliste. En était émergé le profil de quelqu'un qui transmet une expérience, qui vit une réalité, et qui sait mettre une question au centre d'un article.
Ce fut la grande expérience du Concile, toutefois, qui changea la façon de raconter l'Eglise, laquelle, du reste, n'a jamais été facile à raconter, et a souvent été réticente à se raconter.
Les journalistes sortent définitivement des murs léonins et la salle de presse du Concile est inaugurée. A l'extérieur du Vatican, loin des bâtiments de la Curie, mais plus proche des gens, des Églises locales qui avaient reçu du Concile un nouvel élan et une nouvelle dignité. Tout change. A commencer par la façon même de raconter ce qui se passait dans ces assises qui avaient pris tout le monde au dépourvu. Et si dès 61 on commença à distribuer à la presse du matériel sur les travaux des commissions, le vrai tournant survint en 1963, par œuvre de Paul VI, avec le Comité pour la presse. Mais dans l'intervalle, c'étaient les journalistes qui avaient changé.
Les journaux catholiques ne voulaient pas être un «ghetto» seulement lié au caractère officiel, et mettaient en page la vivacité du débat conciliaire. Les journaux laïcs, eux, ne pouvaient plus se limiter aux «curiosités» et aux anecdotes.
Mais peu après, le Concile s'achève. Bien sûr, pendant un certain temps, on parle de ce dont on a parlé pendant les assises, mais pas de tout. Et ainsi, seule une petite partie de ce qui s'est réellement passé dans l'Eglise catholique «passe» dans la presse. En même temps, le travail du vaticaniste se déroule de plus en plus en dehors du Vatican. Aussi parce que les Papes voyagent. On ne suit plus seulement la diplomatie vaticane, historiquement l'une des meilleures dans le monde. On suit le Pape, qui va à la rencontre de l'Eglise dans le monde. Paul VI commence à voyager et Jean-Paul II en fait un style spécifique de gouvernement. Et c'est ainsi que l'on se met à critiquer le pape en tant que tel, ce qu'il fait et ce qu'il ne fait pas, on juge ses rencontres politiques, on discute de ses discours, on évalue l'impact d'un voyage sur la vie de la nation visitée. Encore un changement de cap pour la presse, mais aussi pour l'institution.

Pendant ce temps, la Salle de Presse est devenue une structure institutionnelle, le nombre de journalistes accrédités croît de façon démesurée et on en arrive à des dizaines, des centaines de journalistes qui suivent le pape sur son avion, le rencontrent, lui parlent directement. Sensationnel, oui, mais savent-ils vraiment mettre au centre de leurs articles, les questions qui sont au centre de la vie de l'Église? Comme toujours dans les moments de splendeur maximale commence le déclin. La relation entre l'Eglise et les médias, entre le Vatican et la presse vit son âge d'or avec la force de la personnalité de Jean-Paul II, mais lentement perd en profondeur. Tant de choses à raconter, discours, rencontres, événements qui se succèdent, créent un tourbillon médiatique. La Salle de presse change une fois encore. Après avoir eu des directeurs qui dans la pratique sont encore des exécutants, voilà qu'arrive le «style Navarro».

Joaquin Navarro-Valls, correspondant d'ABC (chaîne de télévision espagnole), sécularise le style vatican. Il met la salle de presse sous la dépendance directe de la Secrétairerie d'État, mais en réalité de l'«Appartement», de l' entourage du Pape: un hasard qui, par moments, lui rendra la vie difficile. Il fait du lobbying pour faire passer les nouvelles de façon informelle et «communiquer» avec le monde éloigné du Vatican et de l'Eglise catholique. Le succès médiatique est assuré.
Mais dans l'intervalle, cependant, on ne voit pas se former une nouvelle génération de vaticanistes. Peu nombreux sont ceux qui continuent à «étudier» le Vatican, le Saint-Siège. Les journalistes s'ennuient à lire les documents pour essayer de trouver «la nouvelle». A présent que les textes sont là, que la plupart des documents sont publics, que les bulletins arrivent avec facilité, les questions qui animent l'Eglise ne semblent plus intéresser. On préfère les «créer». Paradoxalement, on revient en arrière, aux rumeurs de «cour», aux intrigues et aux petites histoires. Les grandes questions sont laissées de côté. Trop difficile à affronter, trop difficile à raconter, trop difficile à faire comprendre aux directeurs occupés à se faire inviter sur les plateeaux de télévision.
Ainsi, il est plus facile de raconter le drame de l'abus sexuel par des prêtres comme un simple problème de sexe plutôt que comme une crise de l'identité et de la formation sacerdotale que l'Eglise affronte depuis des décennies (il y avait un synode en 1990 consacré à ce sujet). Il est plus facile de parler de «messe en latin» pour décrire le phénomène du «traditionalisme» qui oublie l'annonce missionnaire fondamentale de l'Eglise en faveur d'une dangereuse dérive formaliste. Et ce ne sont que des exemples.
Alors, quel rôle a aujourd'hui la communication institutionnelle de la salle de Presse du Saint-Siège? Quelle place a-t-elle dans la vie de l'Église et quelle relation avec les journalistes qui vivent la crise del'autorité et de l'identité?
« La naissance et le développement de la Salle de Presse du Vatican du Concile à nos jours» a été le sujet d'une conférence devant les étudiants de la LUMSA (Libera Università Maria Santissima Assunta), en présence entre autre de Joaquin Navarro-Valls, Gian Maria Vian et Federico Lombardi. Le directeur de la Salle de Presse a parlé de transparence dans l'information institutionnelle, rappelant certains événements «ouverts» sur des thèmes médiatiquement importants comme les histoires financières et le problème de la pédophilie dans l'Eglise. Le fait est que chacun a un style, une façon d'aider l'Eglise à se raconter, et pour les journalistes, de la raconter.
Mais ceci est un chapitre de l'histoire que nous sommes encore en train d'écrire, et dans lequel nous, les femmes qui nous occupons d'information vaticane, pourrions jouer un rôle déterminant. Peut-être en repensant à cette pionnière qui interviewa Léon XIII (ndt: on pardonnera aisément la conclusion, qui n'est pas le meilleur de l'article!!).
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La suite demain: le récit de Benny Lai, le premier vaticaniste "historique".

Note (*)

Caroline Rémy:
Définie comme la grande prêtresse du dreyfusisme, Caroline Rémy qui affirma, dans l'Affaire, sous son nom de plume de Séverine, « le goût des hardiesses et l'honneur de l'impopularité », était née à Paris en 1855.

Fille d'un chef de bureau à la préfecture de police, mariée deux fois, Séverine est la première femme journaliste à vivre de sa plume en publiant dans de multiples journaux du Gaulois à La Libre Parole. Formée au journalisme par Jules Vallès, elle dirige Le Cri du peuple et devient assez célèbre pour être envoyée à Rome par Le Figaro et y obtenir un entretien avec le Pape Léon XIII publié le 4 août 1892 - l'antisémitisme y est condamn
é. (http://www.dreyfus.culture.fr)
Ci-contre (cliquez sur la vignette): Les Chrétiens et l'affaire Dreyfus, Pierre Pierrard (http://tinyurl.com/cwpc8e6 )