Chrétiens et musulmans: la difficile cohabitation

Carlota a traduit deux entretiens avec le Père Samir Khalil Samir reproduits sur Religion en libertad (2/10/2012)

Voir aussi: Liban: l'analyse de Samir Khalil Samir

Mise en garde:

Ces textes ne sont pas destinés à donner du grain à moudre aux boutefeux et autres islamophobes primaires (qui, à l'opposé du Saint-Père, ne proposent aucune solution, mais veulent nous précipiter vers le choc), mais à offrir des éléments de réflexion sérieux, à partir d'un regard chrétien, sur un problème qui risque de nous toucher de plein fouet, à brève échéance.

Des alliances dangereuses ?
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Je vous adresse ci-dessous, la traduction de deux entretiens avec le Père jésuite Samir Khalil, l’un qui est tout récent (entretien avec Giorgio Paolucci dans le journal italien l’Avvenire et reproduit en espagnol via religión en libertad ) et un autre qui a déjà deux ans, mais qui n’a rien perdu de son actualité. Le père Samir est un jésuite et connaisseur de l’Islam de renommée internationale, il a travaillé auprès du Saint Père durant le Synode pour le Moyen Orient
(Carlota)

1. Article du 17 septembre 2012

Nous courrons le risque de passer d’une dictature politique à une autre dictature de signe religieux.
(Texte en espagnol: http://www.religionenlibertad.com)

«Un Pape qui témoigne, avec sa vie et son magistère, que ce n’est qu’en reconnaissant que tout homme a besoin de Dieu que l’on peut construire la concorde entre les peuples, vient d'arriverau Liban. Rien ne survient par hasard, et ce voyage est réellement providentiel. Après ce qui est arrivé à Benghazi (où l’ambassadeur des Etats-Unis en Libye a été tué] l’attente face aux paroles de Benoît XVI était encore plus grande », dit le Jésuite Samir Khalil Samir dont la réputation par rapport à ses études sur l’Islam est mondiale, et qui est aussi un expert qui a travaillé auprès du Pape durant le Synode pour le Moyen Orient.

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Qustion : Le Synode s’est déroulé un an avant le début du « Printemps Arabe » en Tunisie. Et durant les travaux, des thèmes ont résonné, qui ont fait ensuite partie du processus de changement. Une coïncidence ou une prophétie?
Le Père Samir: « C’est la démonstration que l’Église qui vit au Moyen Orient est profondément établie dans la société, et se rend compte des tensions et des exigences. En somme, l’Église a pris le pouls de la situation. La demande de liberté est quelque chose de présent depuis longtemps dans le monde arabe et les chrétiens rappellent que la liberté de conscience et de foi est très récente et fragile. Nous ne voulons pas de faveurs, nous voulons être reconnus comme des citoyens de plein droit, non de seconde catégorie. C’est pourquoi nous demandons la possibilité de témoigner et d’annoncer l’Évangile comme les musulmans le font avec le Coran.

Q: Par conséquent, la promesse de liberté du Printemps Arabe s’est révélée être une illusion.
Père Samir : Des milliers de jeunes sont sortis sur les places publiques poussés par des exigences partagées et largement diffusées dans la société, mais après la protestation spontanée des forces organisés se sont unies, en particulier quelques-unes de connotation islamiste, et l’esprit initial s’est perdu. En Tunisie la condition de la femme est en train de régresser, en Égypte on reçoit comme un progrès la présence d’une présentatrice avec un voile au journal télévisé (ndt : en France aussi a priori avec actuelle la chanteuse Diam’s a qui « Elle » consacre une page !) et dans beaucoup de pays il est dangereux de porter une croix au cou (ndt : et dans certains quartiers de l’Europe occidental et pas qu’au Kosovo !). Et ce qui s’est passé en Libye dénote qu’il existe une situation de grande fragilité. En général, nous courons le risque de passer d’une dictature politique qui a soumis durant de très nombreuses années le peuple, à une autre dictature de signe religieux. Les chrétiens demandent une société de genségaux, non fondée sur le « credo » religieux

Q : Le Liban, qui a une longue histoire de cohabitation entre foi et cultures diverses, peut-il représenter une référence ?
Père Samir : Ici au Liban où nous vivons la cohabitation dans la diversité, c’est la normalité. Chiites, sunnites, druzes, chrétiens de diverses confessions…vivent les uns à côté des autres, les fêtes, tant chrétiennes que musulmanes, sont reconnues, il existe un équilibre de présence au niveau politique et institutionnel. Un équilibre qui n’est pas parfait, mais qui au moins garantit la stabilité. C’est vrai que les problèmes ne manquent pas, mais les disputes ne sont pas dues à des motifs religieux mais politiques (ndt : ne pas oublier que la majorité devenue minorité chrétienne représente néanmoins encore 40% de la population et que la guerre civile déclenchée en 1975 a été terrible…).

Q : L’équilibre libanais est mis en danger par la crise syrienne?
Père Samir : Il existe des risques: la frontière se traverse facilement, tant par des fugitifs que par ceux qui veulent faire circuler des armes et du personnel militaire, spécialement des groupes d’extrémistes sunnites. Les chrétiens qui arrivent ici ont un soutien chez des familles et amis. Si les rebelles gagnen,t on court le risque de l’arrivée massive d’alaouites, mais le problème le plus grave est le passage de gens armées sur lesquels l’armée libanaise exerce la surveillance qu’elle peut.

Q : Le synode pour le Moyen Orient a donné aux chrétiens deux mots-guide : communion et témoignage. Á votre avis ont-ils été donnés ces deux dernières années ?
Père Samir : En considérant que l’unité des chrétiens est la conditio sine qua non sans laquelle ils disparaîtraient du Moyen Orient, je dois dire qu’à un niveau de base, je vois un œcuménisme (ndt : donc entre chrétiens, et non pas entre membres de différentes religions y compris de islam comme fréquemment entendu dans les médias) dans la vie quotidienne, les différences théologiques ou liturgique entre les différentes confessions ne créent pas de problèmes. Parmi le clergé, la relation entre les groupes est plutôt faible, il n’y a pas d’opposition mais par contre une différence. Les divisions entre chrétiens surgissent au niveau politique, mais cela se passe aussi en Italie (ndt et en France, cf les maires, notamment ceux, majoritairement catholiques aux Antilles françaises, mais ayant majoritairement voté M. Hollande et qui s’étonnent de son programme sur le « mariage » des homosexuels…). Pour donner un témoignage, il reste encore beaucoup de chemin, nous devons avoir plus de vaillance, être un témoignage de l’Évangile aussi devant les musulmans. C’est un témoignage qui se donne par l’amour, non pas pour avoir plus d’adeptes, mais pour que nos frères musulmans puissent aussi découvrir la beauté de l’Évangile, sa force libératrice. Ces jours derniers j’ai été avec un groupe de jeunes pour présenter le voyage du Pape, il y avait quelques convertis au christianisme, y compris un ex-terroriste qui, quand il a rencontré Jésus Christ, a compris qu’il devait changer de vie.

 

2. Un entretien d'avril 2010

"L’Europe est stupide si elle ne sait pas que l’islam utilise sa tolérance pour islamiser"
Un entretien de José Ángel Agejas et Pablo Cervera de Religión en Libertad, réalisé en 2010 - original ici.

Égyptien, jésuite, professeur d’Histoire de la culture arabe et d’islamologie à Beyrouth et à Rome, le père Samir Khalil est aujourd’hui l’un des plus grands spécialistes des relations entre les chrétiens et l’islam. Il propose des Solutions pour arriver à la compréhension entre les musulmans et les Européens (ndt : comprendre Européens qui ne sont pas d’origine musulmanes plus ou moins récentes) mais il considère que l’islam recherche le pouvoir politique.

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Q : Croyez-vous que les musulmans puissent changer leur façon de vivre leur religion musulmane?
Père Samir : Oui, toujours et quand l’Europe s’affirmera pour défendre son identité, la charte universelle des droits humains. Cette charte est universelle, non pas comme celle que plusieurs pays musulmans ont faite il y a quelques années, une charte musulmane des droits humains. Avec cette identité, l’Europe peut avoir une ouverture. Et les musulmans doivent accepter de vivre dans une Europe, avec les conditions de l’Europe, en ne venant pas promouvoir en Europe un projet musulman utilisant le schéma européen de tolérance, [attitudde] qui est très étendu chez les musulmans. L’Europe est stupide si elle ne voit pas cela, si elle ne se rend pas compte qu’ils peuvent utiliser la tolérance pour islamiser l’Europe (ndt: les peuples d’Europe au contact direct, l’ont compris évidemment, mais cet aveuglement des « élites et des élus » n’est malheureusement pas stupidité mais volonté pour les meneurs et passivité de lâchetés et d’intérêts sur le court terme pour les suiveurs).

Q : «L’islam ne recule jamais» - Comment s’islamise une société non islamique?
Père Samir : Quand ils acquièrent une force sociale, les musulmans exigent que les lois les reconnaissent comme une minorité distincte, et quand d’une minorité de cinq à dix pour cent ils en arrivent à avoir déjà la présence de quelque trente pour cent, comme c’est le cas de la Malaisie ou de Mindanao aux Philippines, ils exigent l’islamisation de la société. Et quand l’islam acquiert des zones de pouvoir et d’influence, jamais il ne recule. L’Espagne a été le cas unique dans l’Histoire. L’unique possibilité que je vois de moderniser l’islam c’est quand les générations suivantes en Europe verront qu’elles peuvent vivre leur foi sans modifier le cadre social et politique, accepteront cette possibilité (ndt: donc si cet islam existe un jour, ce sera un « islam dilué », « pollué » ? Certains dirigeants de certains pays, en Turquie, en Iran, Égypte, Tunisie… s’y sont essayés. Qu’en est-il aujourd’hui ? Un changement sans heurt est-il possible, même avec les nouvelles générations ? Mais évidemment le Père Samir, en bon catholique a raison d’espérer).

Q : Comment vit la minorité chrétienne dans un pays musulman?
Père Samir : La religion islamique est magnifiquement pensée comme contrôle social et politique. La cohabitation est toujours entendue comme minorité et avec la tendance à disparaître, même si quelques responsables islamistes se rendent compte que c’est négatif pour eux. Nous les chrétiens arabes nous sommes pleinement arabes même si nous ne partageons pas la foi musulmane. Nous sommes plus libres que les musulmans parce que nous pouvons apporter un regard critique sur la réalité. Actuellement ils nous voient comme de possibles alliés ou espions de l’Occident et ils nous adressent les mêmes accusations qu’ils adressent à l’impérialisme occidental. La ligne de compréhension avec eux, qui est celle de Jean-Paul II, est celle de la défense des droits humains, de la justice sociale. En matière sociale il y a une compréhension profonde entre musulmans et chrétiens parce qu’il y a une vision de l’homme qui correspond en beaucoup d’éléments (ndt: si le père Samir le dit…).

Q: «L’Espagne est un symbole”. Que signifie l’Espagne pour un arabe chrétien?
Père Samir : Pour nous, l’Espagne est un symbole. L’Europe et l’Occident n’ont pas l’expérience de vivre avec un groupe dominant de pression constante au nom de la religion. En outre l’islam, historiquement, n’a jamais reculé dans les lieux où il s’est affirmé, à l’exception de l’Espagne (ndt : c’est vrai que pour ne parler que de l’Europe, même dans les Balkans libérés du joug ottoman au XIXème, des zones musulmanes importantes sont restées et on en a vu les conséquences à la fin du XXe). L’Espagne est l’unique cas où un peuple chrétien a récupéré ce que les musulmans lui avaient arraché. En outre, la Reconquête ne fut pas une « croisade », nous les arabes, - et aussi les musulmans, nous ne parlons jamais de « croisades », nous parlons et ils parlent des guerres des Francs, des Amalfitains (ndt: tout petit royaume du sud de l’Italie qui finalement se plaça au XIème siècle sous la protection de petits seigneurs normands originaires du diocèse de Coutances, Tancrède de Hauteville mais surtout son fils Robert Guiscard, qui vont finalement reconquérir la Sicile qui étaient devenue un émirat et empêcher que les musulmans s’installent dans le sud de l’Italie que l’empire byzantin n’arrivait plus à défendre), et les Vénitiens ensuite. Cela se voit comme la succession normale des événements et des relations entre les peuples à ce moment de l’histoire. Pour moi, l’Espagne représente la réaction catholique d’un peuple, conscient de son identité, qui met les moyens indiqués pour la récupérer.

Q : Alors que pensez-vous des révisions historiques qui rejettent ce fait ?
Père Samir : Cela me surprend que les Occidentaux et surtout les Espagnols le nient. L’Histoire est faite de flux et de reflux. Aujourd’hui l’Europe ne fait pas une autocritique, qui est une bonne chose, mais elle fait une autodestruction parce qu’elle ne veut pas assumer son histoire. Assumer son histoire c’est distinguer le bien du mal mais se sentir fier de ce qu’elle soit sa propre histoire, sans la rejeter.


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