La barrette rouge du cardinal

... et la "proposition" de prière dans les églises de France pour le 15 août. Quel contraste entre le rouge du sang, et les propos lénifiants de nos pasteurs! (4/8/2012)

Le cardinal Vingt-Trois

lors de la remise de la barrette cardinalice par le Pape Benoīt le 24 novembre 2007

Dans un article récent (pardon de me citer, mais comme les autres ne le font pas...) je parlais de la "bien-pensance présente dans une partie de notre épiscopat, qui n'ose pas refuser ouvertement l'enseignement de l'Eglise sur le plan de la morale personnelle, car ils n'ont pas encore franchi le Rubicon, mais qui s'emploie jour après jour à la relativiser, à la vider de sa substance, la relèguant au second plan, pour mettre au premier celui de la morale collective".

Un exemple typique de cette attitude est la prière pour l'Assomption qui devrait ête lue le 15 août dans toutes les églises de France. Pardon, la "proposition de prière". La nuance est importante. Dans une démocratie, comme une certaine frange de fidèles, et même de clercs l'appelle de ses voeux, il est juste de discuter une proposition, avant de l'adopter en totalité - ou seulement en partie, ou même de la rejeter.
Le document officiel est accessible ici (mais pas franchement mis en évidence) sur la page d'accueil du site de la CEF .
A la rubrique "A la une", on lit aujourd'hui "Hommage au cardinal Lustiger" (disparu il y a juste 5 ans).
Il faut donc avoir l'idée de cliquer sur le lien très discret "La lettre d'information de www.eglise.catholique.fr". Autant dire que la prière peut parfaitement passer inaperçue à un visiteur, même pas distrait.

Selon ce document, voici l'ordre de priorité des préoccupations de l'Eglise:

1. En ces temps de crise économique, beaucoup de nos concitoyens sont victimes de restrictions diverses et voient l’avenir avec inquiétude ; prions pour celles et ceux qui ont des pouvoirs de décision dans ce domaine et demandons à Dieu qu’il nous rende plus généreux encore dans la solidarité avec nos semblables.
2. Pour celles et ceux (ndlr: le comité de la jupe semble avoir été entendu!!!) qui on été récemment élus pour légiférer et gouverner ; que leur sens du bien commun de la société l’emporte sur les requêtes particulières et qu’ils aient la force de suivre les indications de leur conscience.
3. Pour les familles ; que leur attente légitime d’un soutien de la société ne soit pas déçue ; que leurs membres se soutiennent avec fidélité et tendresse tout au long de leur existence, particulièrement dans les moments douloureux. Que l’engagement des époux l’un envers l’autre et envers leurs enfants soient un signe de la fidélité de l’amour.
4. Pour les enfants et les jeunes ; que tous nous aidions chacun à découvrir son propre chemin pour progresser vers le bonheur ; qu’ils cessent d’être les objets des désirs et des conflits des adultes pour bénéficier pleinement de l’amour d’un père et d’une mère.

Ce ne sont pas les intentions, certes toutes bonnes et justes, qui sont discutables ici, mais bien, en effet, leur ordre (la crise économique passera, tandis que le bouleversement sociétal induit par la nouvelle définition du mariage risque d'avoir des effets dévastateurs sur le très long terme). Et aussi - et surtout! - leur formulation.
On ne peut en effet qu'être stupéfait par la disproportion entre le caractère vraiment insignifiant de cette prière, au ton consensuel et lénifiant, soucieuse de ne pas heurter, qui ne dit pas les choses explicitement, et qu'on est forcé de lire entre les lignes (les enfants, lit-on, ont droit à "bénéficier pleinement de l’amour d’un père et d’une mère": après tout, les parents pourraient bien être un homme et un femme, et l'enfant n'être pas aimé des deux, c'est ainsi que cette phrase aurait été comprise il y a seulement 20 ans!!! Aurait-ce été trop demander que cette prière énonce noir sur blanc, comme le fait à chaque fois le Saint-Père, que le mariage est l'union entre un homme et une femme?) , et le tollé de la presse laïciste (1) dont une partie crie d'avance - uniquement pour la galerie, car elle sait à quoi s'en tenir et s'en moque éperdument - à l'atteinte à la laïcité et dénonce l'attitude rétrograde de l'Eglise. Les autres sont plutôt sur le registre "cause toujours!", reconnaissant à l'Eglise le droit de s'exprimer sur la question du mariage gay, avec comme corollaire évident la quasi-certitude qu'elle prêchera dans le désert.

L'Eglise en France a parfaitement compris ce message "gare à vous si vous parlez!" par anticipation, et fait donc le dos rond.
On est loin de Mgr Salvatore Cordileone, dont la récente nomination par Benoît XVI à la tête du diocèse de San Francisco, a été "saluée" par la communauté gay comme une provocation, et qui parlait du mariage entre personnes du même sexe comme d'une "oeuvre du diable" (cf. Paolo Rodari).

L'Epītre (oubliée) aux Romains

Très loin aussi du cardinal Biffi (cf. Sandro Magister), citant dans ses mémoires l'épître de Saint-Paul aux Romains (2) - et prévenant par avance d'éventuels censeurs en ces termes: "le livre inspiré qu’aucune autorité terrestre ne peut nous obliger à censurer. Et, si nous voulons être fidèles à la parole de Dieu, nous n’avons même pas droit à la lâcheté de passer cette page sous silence par crainte de ne pas paraître politiquement corrects".

Le "rugissant" cardinal écrivait :
Comment se fait-il que, dans l’actuel climat de valorisation quasi obsessionnelle de la Sainte Écriture, le passage de l’épître aux Romains 1, 21-32 de saint Paul ne soit jamais cité par personne ? Comment se fait-il que l’on ne se préoccupe pas un peu plus de le faire connaître aux croyants et aux non-croyants, malgré son évidente actualité ?

Manifestement, le cardinal Vingt-Trois est un brave homme, mais pas un homme brave: il a oublié ce que Benoît XVI lui a dit en lui remettant la barrette rouge vif, le 24 novembre 2007:
"En entrant dans le Collège des Cardinaux, le Seigneur vous demande le service de l'amour et il vous le confie: amour pour Dieu, amour pour son Eglise, amour pour nos frères dans le plus grand et inconditionnel dévouement 'usque ad sanguinis effusionem', comme le récite la formule pour l'imposition de la barrette et comme le montre la couleur rouge des vêtements que vous portez". (homélie ici)
Il est vrai que le cardinal Vingt-Trois porte rarement le vêtement rouge d'apparat - ce qu'on ne peut lui reprocher - ... mais pas non plus la soutane noire sobrement filetée de rouge qui indique son ministère. Il ne l'avait pas, lorsqu'il s'est rendu à l'Elysée pour consultation, le mois dernier.
Je sais, je suis dure. Mais aussi, les fidèles catholiques attendent plus de leurs pasteurs. C'est normal.

Notes

(1) Le site Rue89 reproduit sobrement la prière. Le but est évidemment uniquement d'ouvrir le robinet aux commentaires. Il y en a 131 à ce jour (je n'ai pas eu le courage de lire), dont 5 sélectionnés sur la 1ère page, sans doute pour leur représentativité. Les trois premiers résument assez bien le ton du débat:

¤ Puisque l’article parle de « foules de catholiques », j’avais lu un autre article (dans Le Monde, je crois) indiquant que le poids électoral des catholiques est équivalent à celui... de l’électorat homosexuel.
Autant dire que ça n’est pas gagné pour Madame Marie et sa chouette bande de potes.


¤ Le point 1 est très clairement un appel à maintenir voire augmenter le niveau des dépenses sociales. Le 2 est une critique radicale de la baisse de l’ISF et du bouclier fiscal. Le 3 défend le quotient familial et le 4 approuve l’accent mis sur l’éducation. Monseigneur est donc un fervent partisan de François Hollande.
À moins que ce ne soit l’inverse, on ne sait jamais avec ces cathos.

¤ C’est intéressant de voir comment, sans placer une seule fois les mots mariages, homosexualité, homoparentalité, adoption... l’auteur réussi très clairement à donner son avis sur le sujet (
il manie la litote avec un certain talent).

(2) Romains 1:21-32 (Louis Segond)
21 puisque ayant connu Dieu, ils ne l'ont point glorifié comme Dieu, et ne lui ont point rendu grâces; mais ils se sont égarés dans leurs pensées, et leur coeur sans intelligence a été plongé dans les ténèbres.
22 Se vantant d'être sages, ils sont devenus fous;
23 et ils ont changé la gloire du Dieu incorruptible en images représentant l'homme corruptible, des oiseaux, des quadrupèdes, et des reptiles.
24 C'est pourquoi Dieu les a livrés à l'impureté, selon les convoitises de leurs coeurs; en sorte qu'ils déshonorent eux-mêmes leurs propres corps;
25 eux qui ont changé la vérité de Dieu en mensonge, et qui ont adoré et servi la créature au lieu du Créateur, qui est béni éternellement. Amen!
26 C'est pourquoi Dieu les a livrés à des passions infâmes: car leurs femmes ont changé l'usage naturel en celui qui est contre nature;
27 et de même les hommes, abandonnant l'usage naturel de la femme, se sont enflammés dans leurs désirs les uns pour les autres, commettant homme avec homme des choses infâmes, et recevant en eux-mêmes le salaire que méritait leur égarement.
28 Comme ils ne se sont pas souciés de connaître Dieu, Dieu les a livrés à leur sens réprouvé, pour commettre des choses indignes,
29 étant remplis de toute espèce d'injustice, de méchanceté, de cupidité, de malice; pleins d'envie, de meurtre, de querelle, de ruse, de malignité;
30 rapporteurs, médisants, impies, arrogants, hautains, fanfarons, ingénieux au mal, rebelles à leurs parents, dépourvus d'intelligence,
31 de loyauté, d'affection naturelle, de miséricorde.
32 Et, bien qu'ils connaissent le jugement de Dieu, déclarant dignes de mort ceux qui commettent de telles choses, non seulement ils les font, mais ils approuvent ceux qui les font.