La faute de Vatican II (suite)

Une mise au point... (15/12/2012)

>>> La faute de Vatican II (Edward Pentin)

     

Le long article en anglais d'Edward Pentin, publié sur le site Catholic World Report, était consacré à un thème qui reste aujourd'hui encore, pour reprendre une expression à la mode, largement tabou: pourquoi Vatican II, qui prétendait aborder les rapports de l'Eglise avec le monde moderne, n'a-t-il nulle part fait allusion explicitement au cancer du communisme, alors au sommet de sa puissance, et dont les métastases sont encore très présentes dans la société aujourd'hui?

Le titre provocateur que j'ai choisi pour ma traduction n'était pas dû au hasard: La faute de Vatican II.
Cet épisode a été rapporté par Jean Madiran dans un ouvrage paru en 2006 qui semble devenu un classique dans certains milieux: L'Accord de Metz.

Le site ami Belgicatho a mis hier en lien mon article, et s'est attiré les foudres d'un lecteur, l'accusant de semer la zizanie parmi les catholiques, autrement dit de "critiquer ... telle ou telle position de l'Eglise contemporaine, en s'alimentant à n'importe quelle source (merci!!) et offrant ainsi des raisons d'éloignement à un certain nombre".
Des foudres dont je dois prendre ma part:

Il faut avoir lu distraitement Gaudium et spes ou ne pas l'avoir lu ou l'avoir lu avec des oeillères, il faut n'avoir rien compris à la pédagogie de l'Eglise depuis PIE XII (inclus!) pour proférer de telles âneries!

Un autre commentaire renvoyait directement à Gaudium et Spes, où l'on lit effectivement une condamnation... qui reste malgré tout implicite et générique:

(§27-3) De plus, tout ce qui s’oppose à la vie elle-même, comme toute espèce d’homicide, le génocide, l’avortement, l’euthanasie et même le suicide délibéré ; tout ce qui constitue une violation de l’intégrité de la personne humaine, comme les mutilations, la torture physique ou morale, les contraintes psychologiques ; tout ce qui est offense à la dignité de l’homme, comme les conditions de vie sous-humaines, les emprisonnements arbitraires, les déportations, l’esclavage, la prostitution, le commerce des femmes et des jeunes ; ou encore les conditions de travail dégradantes qui réduisent les travailleurs au rang de purs instruments de rapport, sans égard pour leur personnalité libre et responsable : toutes ces pratiques et d’autres analogues sont, en vérité, infâmes. Tandis qu’elles corrompent la civilisation, elles déshonorent ceux qui s’y livrent plus encore que ceux qui les subissent et insultent gravement à l’honneur du Créateur.

(§73-4) On rejette au contraire toutes les formes politiques, telles qu’elles existent en certaines régions, qui font obstacle à la liberté civile ou religieuse, multiplient les victimes des passions et des crimes politiques et détournent au profit de quelque faction ou des gouvernants eux-mêmes l’action de l’autorité au lieu de la faire servir au bien commun.

Mais on lit aussi ce qui peut être par la force des choses interprété comme une justification du communisme (et qui rest encore d'actualité!), par exemple:

(§29-3) .. les inégalités économiques et sociales excessives entre les membres ou entre les peuples d’une seule famille humaine font scandale et font obstacle à la justice sociale, à l’équité, à la dignité de la personne humaine ainsi qu’à la paix sociale et internationale.

Et d'autres paragraphes, que l'on peut interpréter dans le même sens.
Bref, ce n'est pas clair. Une sorte d'auberge espagnole, dont on peut tirer tout et son contraire.

Je ne crois pas remettre en cause l'autorité du Saint-Père, et ma loyauté envers lui, en citant "l'accord de Metz", et en donnant la parole à des historiens aussi respectés que Jean Madiran et Roberto de Mattei. Et si je reconnais qu'il était extrêmement difficile à l'époque de prévoir ce qui devait se passer un quart de siècle plus tard, et surtout de ne pas tenir compte du risque qu'une idéologie monstrueuse faisait peser directement sur la vie de millions de personnes, je persiste à regretter que la condamnation de l'Eglise n'ait été qu'entre les lignes.

Belgicatho a fait une mise au point bienvenue, à laquelle je renvoie: belgicatho.hautetfort.com/.../nous-ne-sommes-pas-de-bons-petits-soldats.html.

Il cite en particulier l'historien suisse Philippe Cheneaux, professeur d'histoire de l'Eglise moderne et contemporaine à l'université du Latran, à Rome, "peu suspect d'intégrisme", interrogé récemment par la vaticaniste du Monde, Madame Le Bars!! Toutes les garanties, donc.
Ce dernier dit:

Benoît XVI était notamment très critique sur Gaudium et Spes. Avec d'autres, il jugeait le texte trop optimiste, trop ouvert, théologiquement faible et ne prenant pas en compte la dimension eschatologique du christianisme : l'espérance du christianisme ne se confond pas avec le progrès technique ou la défense des droits de l'homme, car il porte un message de salut, de vie supranaturelle. Longtemps, discuter de Vatican II a été tabou. Il y avait une position positive du concile, à part chez les intégristes. Ce tabou est levé. Aujourd'hui, des appréciations plus critiques du concile et de ses effets se font jour, notamment dans les milieux conservateurs.
(www.lemonde.fr)

Roberto de Mattei ne disait pas autre chose:

De tous les documents de ce Concile, le plus emblématique et peut-être le plus discuté, est la constitution Gaudium et spes, qui ne plut pas au théologien Joseph Ratzinger. Dans ce document était célébrée avec un optimisme irénique l'étreinte de l'Eglise avec le monde contemporain. C'était le monde des années soixante, imprégné de consumérisme et de sécularisme; un monde sur lequel se projetait l'ombre de l'impérialisme communiste, dont le Concile ne voulut pas parler. (benoit-et-moi.fr/2012(II))

En guise de conclusion:
Déplorer un manquement (très grave) du Concile, ce n'est pas manquer de respect au Saint-Père, ni fomenter la division. Bien loin de là. C'est au contraire crever l'abcès, pour repartir sur des bases saines.
Je ne suis pas un catholique adulte, mais je suis catholique, et adulte, et je sais me servir de ma tête.
Je laisse le mot de la fin à Belgicatho:

Il serait donc requis, de la part des catholiques, d'adhérer sans aucune liberté critique à tous les textes de Vatican II ainsi qu'à toutes les prises de position des papes depuis un demi-siècle sous peine d'être considérés comme des gens néfastes alimentant la zizanie et les divisions au sein de l'Eglise. Bref, d'être de bons petits soldats et de nous taire même lorsque notre conscience nous dicte le contraire. Ceux qui nous en intiment l'ordre sont en même temps les premiers à considérer que les libertés de conscience et d'expression sont de grands acquis qu'il faut défendre. Allez comprendre.