La mort du cardinal Martini

Oraison funèbre de l'"anti-pape" des media par le vaticaniste rouge Marco Politi. Tout est dit! (1er/9/2012)

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A relire ce billet du Père Scalese: Le Cardinal Martini, l'anti-pape? , 14/6/2009 (http://benoit-et-moi.fr/2009-II/ )

Le cardinal Martini, archevêque émérite de Milan (le plus grand diocèse du monde) est mort. Il avait l'âge du Pape, à un mois près.
Atteint de la maladie de Parkinson depuis de nombreuses années, il s'était retiré à Jérusalem. Arrivé au stade ultime de la maladie, il était revenu récemment dans son Italie natale.

L'heure n'est pas à ressasser les polémiques passées, laissons par décence sa dépouille refroidir.
Toutefois, on ne peut passer sous silence le fait qu'il était le champion des progressistes, celui que les medias avaient érigé en "anti-pape", contre Jean-Pul II, mais surtout contre Benoît XVI.
Beaucoup objecteront: ce n'est pas ce qu'il voulait, les medias simplifient tout, il n'y est pour rien.
Mais il n'a jamais opposé le moindre démenti, et lorsque les dernières tempêtes ont chamboulé la barque de Pierre, il n'a pas levé le petit doigt pour défendre son "ami". Ce ne sont pourtant pas les tribunes médiatiques qui lui ont manqué.

Humainement, donc, le cardinal ne m'inspirait pas de sympathie, et à chaque fois que j'ai été amenée à parler de lui sur ce site, ce n'était pas pour en dire du bien.
Jusque dans sa mort, il est instrumentalisé par les ennemis de l'Eglise: en Italie, les partisans de l'euthanasie parlent aujourd'hui de son "refus de l'acharnement thérapeutique".

Le Saint-Père a exprimé sa tristesse à travers un télégramme de circonstance adressé à l'actuel archevêque de Milan, Angelo Scola, rappelant que «le défunt a affronté sa longue maladie avec sérénité, en s'abandonnant avec confiance à la volonté du Seigneur». Il assure la communauté diocésaine et la famille du Cardinal Martini de ses profondes condoléances, «pensant avec affection à un frère cher, qui a servi avec générosité l'Evangile et l'Eglise. C'est avec gratitude que j'évoque sa grande oeuvre apostolique comme fils de saint Ignace, comme enseignant et bibliste reconnu, comme Recteur de l'Université pontificale grégorienne et de l'Institut pontifical biblique, et enfin comme sage Archevêque du diocèse ambrosien. Je pense tout particulièrement au beau service qu'il a rendu à la Parole de Dieu en facilitant l'accès de la communauté ecclésiale aux trésors de l'Ecriture, notamment par le biais de le Lectio Divina. J'élève une prière fervente pour qu'avec l'intercession de Marie, le Seigneur accueille ce grand serviteur et cet insigne pasteur dans la Jérusalem céleste »
(VIS).

Nouvel exemple de la grandeur et de la générosité de notre Pape.

Pas de polémiques, donc.
Contentons-nous de lire la synthèse de Marco Politi (ex-Vaticaniste de Repubblica) dans Il Fatto Quotidiano (le journal-relais des ragots sur les Vatileaks). Il n'y a rien à ajouter à ce "palmarés", véritable vademecum du catholique de gauche. Une éloge funèbre qui rend superflus tous les commentaires.
Jusqu'à sa mort, le cardinal aura divisé les catholiques. Il n'est pas exact de dire que c'était malgré lui.

Article en italien: www.ilfattoquotidiano.it
Ma traduction.

Martini, l'homme qui pouvait être pape: «J'ai rêvé d'une Église jeune. Maintenant, je prie»
par Marco Politi
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L'homme, qui pouvait devenir pape, ne divisait pas le monde entre croyants et non-croyants, mais entre pensants et non-pensants.. Il avait le don de l'intelligence, de la foi, de l'humilité et le courage de la recherche. Enraciné dans la Bible et en même temps sensible aux valeurs de la modernité, il exhortait les croyants à faire face à la «liberté individuelle et sociale, la démocratie, l'autonomie de la recherche comme liberté de l'intelligence individuelle». Il fut un temps, racontait-il, où il avait rêvé d'«une Église de la pauvreté et de l'humilité, qui ne dépend pas des puissances de ce monde. Une Eglise qui donne de l'espace à ceux qui pensent encore. Une Eglise qui donne du courage, surtout à ceux qui se sentent petits, ou pécheur. Une Église jeune» .

Aujourd'hui, confessait-il après avoir franchi le seuil des quatre-vingt ans, «je n'ai plus ces rêves ... j'ai décidé de prier pour l'Eglise» (ndt: voir l'article du Père Scalese ci-dessous). A Dieu, il a demandé à ne pas être laissé seul, à Jésus, il voulait demander au moment de la mort «s'il m'aime malgré mes faiblesses et mes erreurs et s'il vient me prendre dans la mort, s'il me recevra».

Il est mort, en refusant l'acharnement thérapeutique , en rejetant l'idée d'un corps artificiellement maintenu en existence par la technologie.
D'ailleurs, avec le chirurgien catholique et parlementaire du Pd
(Partito Democratico = gauche) Ignazio Marino (cf. http://benoit-et-moi.fr/2009/) , le cardinal avait abordé le sujet délicat de la mort non pas procurée, mais acceptée naturellement comme refus de domination de la machine sur le corps. Des cas comme celui de Welby , avait-il averti, seront de plus en plus fréquents et il faudra réfléchir à la façon de les traiter.
Qu'il s'agisse du testament biologique (1) ou de la compréhension pour les relations homosexuelles - il reconnaissait «la valeur d'une amitié durable et fidèle entre deux personnes du même sexe» - qu'il s'agisse d'une nouvelle approche de la fécondation artificielle ou du rôle des femmes dans l'Eglise ou des couples 'de fait' (non mariés) ou de la collégialité en tant qu'expression de la participation des évêques du monde au gouvernement de l'Église universelle, Martini irritait souvent la hiérarchie officielle par ses interventions réfléchies et donc incommodes.

Il pouvait devenir pape pour ses qualités et le vaste crédit dont il jouissait dans le monde catholique et parmi les Églises chrétiennes. Un crédit qui allait bien au-delà des frontières confessionnelles, favorisé par la haute estime que lui portaient également les juifs, les musulmans et les non-croyants. Mais au conclave de 2005, Martini est arrivé déjà courbé par la maladie de Parkinson et l'Eglise catholique ne pouvait pas se permettre deux papes malades de suite. Dans tous les cas, Martini semblait trop réformiste pour un conclave, qui s'orientait sur une ligne de défense identitaire du catholicisme. Il n'aurait pas eu les voix nécessaires. Si bien qu'à la fin, il invita ses partisans à voter pour Joseph Ratzinger .

Homme d'Eglise, le cardinal a pris part de façon extrêmement «laïque» aux convulsions italiennes. Politiquement, dans les années du berlusconisme triomphant, on n'oubliera pas son opposition tacite mais claire à la ligne d'activisme politique du cardinal Camillo Ruini , alors président de la CEI. Il n'aimait pas le cléricalisme couvrant les factions politiques.

L'archevêque de Milan avait l'habitude d'intervenire périodiquement et avec une grande insistance sur les questions de la légalité, de la justice et la démocratie menacée par des intérêts privés, en préconisant une politique pour le bien commun.
Contre le discours grossier de la Ligue (du Nord)
, il parlait de respect et d'accueil des immigrés. Contre la tendance à broyer le pays, il parlait de solidarité. Ses discours pour la fête de saint Ambroise étaient une sonnette d'alarme contre la détérioration du pays. De l'opération «Mani Puliti», événement qui avait explosé dans son diocèse, il disait qu'il avait appris que la malhonnêteté ne paie jamais. Tôt ou tard arrive une explosion. Toutes les formes d'appropriation de biens publics, couvertes ou subtiles, ne peuvent durer bien longtemps».

Jean-Paul II l'avait lancé, poussant le spécialiste bibliste à assumer en 1979 la charge exigeante d'archevêque de Milan et le faisant cardinal en 1983. Jean-Paul II, ensuite, le revit à la baisse. Wojtyla n'aimait pas la tranquille charge réformiste de Martini, que pourtant il estimait. Wojtyla n'acceptait pas que la vision de l'Église, dont Martini était le porteur tenace, puisse devenir un modèle alternatif à sa ligne. Par conséquent, lorsque l'archevêque de Milan devint trop influent comme président du Conseil des Conférences épiscopales (catholiques) d'Europe, Jean-Paul II fit changer le statut de l'organisation, imposant que seul le président d'un épiscopat national puisse le diriger. Ainsi, Martini dut quitter le poste en 1993.
Mais le cardinal n'était pas une personnalité à se décourager. En 1999 - au cours du Synode international des évêques convoqué par Jean-Paul II pour analyser l'Europe après la chute du mur de Berlin - l'archevêque de Milan surprit ses confrères en évoquant un «rêve». Le rêve d'un nouveau Concile, qui aurait le courage de discuter des problèmes les plus épineux: l'«ecclésiologie de communion de Vatican II», la pénurie de prêtres déjà désastreuse, la position des femmes dans la société et dans l'Église, la participation des laïcs à certaines responsabilités ministérielles, le thème de la sexualité, de la discipline catholique du mariage, l'œcuménisme et les relations avec les «Eglises sœurs» de l'orthodoxie.

Un ordre du jour crucial, que Wojtyla hier et Ratzinger aujourd'hui n'ont jamais voulu affronter.

Quelques années plus tôt, en se référant spécifiquement à l'encyclique du pape Jean-Paul II Ut unum sint repensant la fonction des Pontifes, le cardinal avait proposé de »remodeler» dans un sens œcuménique la primauté papale à la lumière de l'autonomie des différentes Églises chrétiennes. «On pourrait - me dit-il dans une interview - commencer d'une manière simple. Avec une consultation de toutes les communautés chrétiennes convoquées par le pape ... Une table ronde où l'on affronte les grands problèmes de l'humanité pour trouver une ligne d'action au service de l'homme».
Martini était une mine d'idées réformatrices. Ou plutôt il avait le courage d'exprimer ce que beaucoup de gens dans le monde catholique pensent secrètement ou enveloppent dans des écrits spécialisés. Mais ce n'était pas un exhibitioniste du réformisme. Il était profondément convaincu de la valeur essentielle de la prière, de l'étude, de la méditation. A Milan, il avait créé la «Chaire des non-croyants» pour dialoguer avec la culture contemporaine, mais il avait aussi institué un jour de la semaine dans la cathédrale dédiée au «silence», afin que les jeunes de l'ère du bavardage apprennent à plonger au fond d'eux-mêmes. Route maîtresse pour rencontrer Dieu.

De ses nombreux écrits et discours, reste vivante l'idée d'un Concile fécond de nouvelles réformes. Et que le fait chrétien ne se mesure pas à son succès de masse, mais à la capacité de témoigner. «La question est: vivons-nous authentiquement l'Évangile?». Pensivement, il se plaisait à souligner: «On ne peut pas rendre Dieu catholique ... les hommes ont sans doute besoin de règles et de limites ... mais le cœur de Dieu est toujours plus grand»

Il Fatto Quotidiano, 1er Septembre 2012

Note

(1) Testament biologique, ou DAT: La déclaration anticipée de traitement est l'expression de la volonté d'une personne (le testateur), fournie dans un état de lucidité mentale, sur les thérapies qu'il entend ou n'entend pas accepter, dans l'éventualité où il se trouverait dans l'incapacité d'être en mesure d'exprimer son droit à consentir ou non au traitement proposé pour des maladies ou lésions traumatiques cérébrales irréversibles ou invalidantes, maladie qui contraignent à des traitements permanents avec des machines ou des systèmes artificiels qui empêchent une vie normale de relations.
La volonté sur le sort de la personne passe aux parents de premier degré, ou au représentant légal lorsque la personne elle-même n'est plus en mesure de comprendre et de vouloir pour des motifs biologiques (wikipedia en italien)