Le voyage au Liban, vu par John Allen

Ayant vu son nom dans la liste des accompagnateurs du pape, j'ai eu la curiosité de me rendre sur son site. Il dresse un tableau d'ensemble propre à satisfaire grosso modo les non-initiés sur la poudrière moyen-orientale (12/9/2012)

Il pourra être intéressant de suivre sa page (http://ncronline.org/blogs/all-things-catholic ), car c'est un bon journaliste - même s'il semble pencher du côté du courant dominant...

Original en anglais: http://ncronline.org/...
Ma traduction.

   

Le voyage du pape au Liban pourrait être un acte de haute voltige

27 août 2012
Par John L Jr Allen
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Dans ce qui pourrait être parmi les voyages les plus difficiles de son pontificat, Benoît XVI doit se rendre au Liban du 14 au 16 septembre, dans le contexte d'une insurrection sanglante dans la Syrie voisine, et de profondes tensions dans les relations musulmans/chrétiens dans plusieurs parties du monde .
Des responsables du Vatican ont dit à plusieurs reprises que les préoccupations de sécurité ne feront pas dérailler le voyage, mais même si le pape peut être gardé sauf, personne ne conteste que ce sera à la fois une mission diplomatique et interreligieuse de haute voltige.

En supposant qu'il ait lieu (ndt: l'article date du 27 août, mais comme Allen figure dans la liste des journalistes accrédités, je suppose qu'il a reçu des assurances), le voyage marquera la première visite de Benoît XVI au Moyen-Orient depuis le printemps arabe, et sa quatrième dans la région après la Turquie en 2006, la Terre Sainte en 2009, et Chypre en 2010. Le but officiel est de présenter les conclusions du Synode des évêques sur le Moyen-Orient d'Octobre 2010.

Le Liban est la rampe de lancement idéale, puisque les chrétiens représentent 39% de la population de 4,1 millions d'habitants, la plus grande empreinte chrétienne du Moyen-Orient en termes de pourcentage. Le Liban est le centre spirituel de l'Eglise maronite, dont les racines remontent à saint Maron, moine syrien du IVe siècle, et est la troisième plus grande des 22 Églises orientales en communion avec Rome.

Le voyage se déroule au milieu de l'inquiétude que la violence en Syrie puisse se répandre à travers la frontière.

A la mi-Août, cinq pays arabes majoritairement sunnites ont conseillé à leurs ressortissants de quitter le Liban, par crainte de violence pro-syrienne de la part de la vaste communauté chiite. En Syrie, des citoyens libanais accusés de soutenir le régime d'Assad ont été enlevés par les forces rebelles, tandis que des clans chiites au Liban ont capturé des Syriens soupçonnés de soutenir les rebelles.

Alors que Benoît XVI a appelé à plusieurs reprises à mettre fin aux effusions de sang en Syrie, le Vatican n'a pas pris une position claire sur la question controversée de l'intervention militaire. À la fin de Juillet, un porte-parole du Vatican a déclaré que le pays connaît une «lente descente aux enfers», mais a également qualifié de «très préoccupante» la perspective d'une intervention armée internationale.

Un jésuite italien qui a vécu en Syrie pendant 30 ans avant d'être expulsé pour avoir soutenu le soulèvement anti-Assad, le père Paolo Dall'Oglio, a critiqué cette ambivalence apparente. Si vous ne croyez pas les troupes étrangères ont parfois un rôle légitime à jouer dans le maintien de la paix, a-t-il dit à Radio Vatican au début d'Août, alors que font les gardes suisses sur la place Saint-Pierre (on sent bien tout ce que cet argument a d'artidficiel et de rhétorique)?

Ceux qui s'attendent à une ligne claire de Benoît sur la situation en Syrie risquent d'être déçus, en partie parce que les chrétiens libanais sont divisés. Certains, dont l'ancien général et homme politique Michel Aoun, se sont alliés avec le Hezbollah et favorable à Assad. D'autres, en particulier l'«Alliance du 14 Mars» (http://fr.wikipedia.org/wiki/Alliance_du_14-Mars ), sont fortement anti-syriens et anti-iraniens.

Cette division offre un contraste évident avec la dernière visite d'un pape au Liban.
Quand Jean-Paul II est arrivé en 1997, le pays était sous occupation syrienne, et les chrétiens étaient considérés comme le bastion de la résistance. Le leader maronite de l'époque, le patriarche Nasrallah Sfeir, comparait la situation à celle des catholiques en Pologne sous les Soviétiques, invoquant le défi héroïque du cardinal Stefan Wyszynski face à la domination communiste.
Jean-Paul II encouragea l'analogie, soutenant les dirigeants de l'opposition et approuvant leurs aspirations à la «liberté, la souveraineté et l'indépendance». Jean-Paul souhaitait faire jouer au chrétien un rôle politique plus grand.

Compte tenu de la confusion des voix chrétiennes en compétition aujourd'hui, il serait difficile pour Benoît XVI d'émettre une feuille de route similaire, même s'il y était enclin. Le leader maronite actuel, le patriarche Béchara Boutros Rahi, est une figure différente de Sfeir, maintenant âgé 92 ans, et en retraite. Rahi a plongé dans le bain chaud l'année dernière, en s'opposant à un changement de régime en Syrie, et en semblant accepter le refus du Hezbollah de désarmer. Rahi a par la suite fait marche arrière, en essayant de suivre une route plus neutre.

La plupart des experts s'attendent à une ligne largement apolitique de Benoît, soulignant un rôle humanitaire pour les chrétiens comme réconciliateurs, artisans de paix, et distributeurs de charité à travers les divisions sectaires et idéologiques.
En ce qui concerne les suites du printemps arabe, peu s'attendent à ce que le pape expose une vision explicite du futur des sociétés du Moyen-Orient, à part encourager le pluralisme religieux et les droits des minorités. Tous deux sont considérés comme essentiels pour la modeste mais symboliquement importante présence chrétienne dans la région, déjà menacée par des décennies d'émigration.

Le Liban offre également à Benoît une tribune pour aborder la relation chrétiens/musulmans au sens large.
Depuis le déclenchement d'une tempête de protestations musulmanes, en 2006, avec un discours à Ratisbonne, en Allemagne, qui semblait relier Mahomet à la violence (!), Benoît XVI a essayé de remettre les relations sur les rails. Lors de son passage en Jordanie en 2009, Benoît a proposé une «Alliance des civilisations», des chrétiens et des musulmans comme des alliés naturels dans la lutte contre le laïcisme.

Certains dirigeants musulmans au Liban ont appelé à une «grande bienvenue», mais tout le monde ne semble pas vouloir dérouler le tapis rouge. Le cheikh Omar Bakri, islamiste radical a lancé à la mi-Août un appel aux musulmans pour empêcher le pape «qui a insulté votre religion», d'entrer dans le pays.
Se référant au discours de Benoît XVI Regensburg, Bakri a dit: «Il ne fait aucun doute les propos du pape ... visaient à monter le monde occidental contre l'Islam et les musulmans».

En plus de ces ressentiments, les relations entre chrétiens et musulmans sont également tendues par divers conflits à travers le monde, tels que le mouvement de Boko Haram au Nigeria (http://fr.wikipedia.org/wiki/Boko_Haram ). Le groupe militant islamique est considéré comme responsable de 10.000 décès au cours de la dernière décennie, et s'est fait une spécialité d'attaquer des cibles chrétiennes, y compris les églises, bombardées pendant la messe du dimanche.

Au cours de sa rencontre avec les dirigeants islamiques, le 15 septembre, on s'attend à ce que Benoît XVI expose une vision positive de la collaboration Chrétien / musulmans, mais aussi fasse pression pour le rejet de la violence à motivation religieuse.

Enfin, Benoît est confronté au défi œcuménique de promouvoir l'harmonie entre le patchwork notoirement grincheux des confessions du pays, incluant les Maronites, l'Église gréco-orthodoxe grecque, l'Eglise apostolique arménienne, l'Eglise orthodoxe syrienne et l'église assyrienne d'Orient.

Au Liban, comme ailleurs dans le Moyen-Orient, il y a aussi la persistance des rivalités intra-catholiques. Au cours du Synode des Évêques de 2010, les dirigeants des Eglises orientales ont appelé à mettre fin au «confessionnalisme», qui signifie luttes entre elles, mais ont également protesté contre ce qu'ils considèrent comme un manque de respect envers la tradition dominante latine.

Tout en tentant tout ce qui est possible, en ce moment certains responsables du Vatican disent tranquillement que tant que Benoît entre et sort du Liban sans alerte de sécurité majeur, et sans que sa présence n'ajoute en quelque sorte de l'huile sur le feu de la Syrie, ils considéreront que c'est une victoire.