Liban: il devait y aller

Le commentaire de José-Luis Restan sur son blog Paginas Digital. Traduction de Carlota (13/9/2012)

Texte original en espagnol: http://www.paginasdigital.es

>>> Voir aussi: Liban: l'analyse de Samir Khalil Samir

Il devait y aller
José Luis Restán
12/09/2012
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« Ce voyage est en lui-même un message par le fait même qu’il se réalise ».
Ce sont les mots du Père Khalil Samir, qui n’a pas l’habitude de mâcher ses mots. « Si du fait des risques le Pape avait annulé le voyage, cela aurait été un contre-témoignage».
La formule est audacieuse mais elle est logique. Si le Synode pour le Moyen Orient a envoyé un message clair aux chrétiens de ces terres c’est précisément qu’ils ne se retirent pas, car ils ont une mission en ces lieux. Pierre ne peut laisser ses fils les plus vulnérables sans la consolation et la force de sa présence. Et évidemment, Benoit XVI connaît les dangers, mais il n’a pas peur. En vérité, comme l’a dit le Père Lombardi, le voyage n’a jamais été remis en question dans les appartements pontificaux.

Beyrouth est à la vieille de l’arrivée du Pape, une ville bruyante et pavoisée, prospère à sa manière, même si les cicatrices de la terrible guerre civile sont encore visibles. Là-bas, on commerce, on construit, on cohabite… et cependant la peur grandit. Les gens sont conscients du précaire (et presque miraculeux) équilibre qui soutient tout l’édifice. On ne parle plus de la « Suisse du Moyen Orient » mais le Pays des cèdres continue à être une anomalie pour beaucoup de choses. C’est le seul endroit dans le guêpier moyen-oriental où l’on peut vraiment parler de démocratie, de pluralisme et de liberté religieuse. Il s’est même accompli, dans une certaine mesure, une réconciliation qui paraissait impossible après les horreurs d’une guerre pleine de vengeances sans fin.

Mais tout cela ne dissipe pas les nuages noirs, accrus par la guerre en Syrie, par l’arrivée de milliers de réfugiés, par le sempiternel conflit entre Israël et la Palestine, par l’onde des révolutions arabes qui ont fini par se développer jusqu’à l’islamisme, et les fils que tire Téhéran à travers le Hezbollah, la milice armée chiite que beaucoup identifient comme un « état dans l’État » (*).
Pour que personne ne se fasse d’illusions sur le précaire équilibre parlementaire actuel, le Patriarche maronite Béchara Rai a parlé ces jours-ci de « la dureté des cœurs, de l’hypocrisie et du mensonge qui enveniment les relations, de la profondeur de la haine entre les uns et les autres, prête à exploser au plus petit prétexte ». Ce sont des paroles dures que l’autorité chrétienne la plus qualifiée du pays n’a pas voulu s’épargner quelques jours avant que le Pape atterrisse sur sa terre. Et il fait bien, parce que cela donne la véritable mesure du voyage, qui bien qu’il se déroulera sûrement dans l’enthousiasme du peuple, est loin d’être un chemin de roses.

La division interne de la communauté chrétienne en cette difficile croisée des chemins est sans doute une épine particulièrement douloureuse. Il est bien de professer le légitime pluralisme des options temporelles, mais dans le Liban de 2012, il est angoissant qu’une partie des responsables politiques chrétiens s’associent au Hezbollah tandis que d’autres se sont ralliés à la large coalition anti-syrienne avec les musulmans sunnites. Le Patriarche a réussi à les réunir autour de sa table après des années de non communication entre eux, et c’est déjà un pas. Il a aussi réussi à ce que différents responsables religieux chrétiens et musulmans des différentes confessions signent une déclaration sur les fondements de la nation : le caractère démocratique, le vivre ensemble entre chrétiens et musulmans, et la répartition de la gestion publique entre les différentes communautés.

Avec toutes ses difficultés, le Liban est un miroir dans lequel d’autres pourraient se regarder. L’évêque de Batroum (ndt ville portuaire au nord du Liban, fondée trois millénaires avant Jésus Christ), Mounir Khairallah, avertit qu’un véritable printemps arabe n’aura lieu que quand la liberté d’opinion, d’expression et de conscience sera garantie, et que des droits et des devoirs identiques à ceux de leurs voisins seront reconnus aux chrétiens.
Khairallah a dit au journal L'Avvenire que les chrétiens libanais n’ont pas peur et que leur présence ne dépend pas tant du nombre que de la qualité du témoignage. Peut-être ce chemin de la mission à travers le témoignage et le dialogue sera-t-il un des grands paris de l’Exhortation post-synodale que Benoît XVI signera dans la basilique Saint Paul, à Harissa. C’est un chemin différent de la simple autodéfense et de l’exil. Mais il faut un peuple conscient, nourri et soutenu.
Espérons.
En atttendant dans la nuit méditerranéenne de Beyrouth, on respire l’espérance. C’est un espace singulier où alternent le son des cloches et les appels du muezzin. Tous veulent recevoir et écouter le Pape qui arrive le 14 septembre, fête de l’Exaltation de la Sainte Croix : le signe des chrétiens qui est en même temps amour et pardon, victoire sur la mort.

Note de traduction

(*) Dans cet Orient compliqué, les présidents syriens au pouvoir, père et fils, et donc alaouites syriens (10% population de la Syrie et essentiellement du Nord du Pays, notamment du côté du port de Lattaquié) ont imposé une terrible situation au Liban. Néanmoins cette terrible Syrie était le dernier pays musulman de la région (sans parler des deux exceptions que sont Israël et le Liban), depuis l’invasion de l’Irak, où une minorité chrétienne n’avait pas encore presque complètement disparu (comme ce fut le cas pour la Turquie du XXème siècle) et où elle pouvait encore à peu près vivre dans la dignité et une certaine « laïcité ».

Actuellement il semble peu probable que ce régime alaouite attaqué de tous bords avec des infiltrations d’éléments extérieurs et notamment de musulmans radicaux et soutenus par des puissances musulmanes sunnites venant renforcer les populations déjà très majoritairement sunnites, puisse durer sur le très moyen terme. On peut néanmoins penser qu’il va se défendre jusqu’au bout. En effet les alaouites qui sont d’une conception religieuse de l’islam proche de celle des Iraniens chiites, ne peuvent espérer aucune clémence de ceux qui les combattent. Cette guerre « civile » contre la minorité alaouite au pouvoir, contribue également à l’encerclement d’un pays actuellement désigné comme l’ennemi numéro Un par la puissance numéro Une de la planète. Guêpier donc mais aussi terrible poudrière. L’apaisement serait-il possible si les « grands États » de la planète se mettaient vraiment autour d’une table et comptaient aussi parmi eux aussi une puissance régionale, l’Iran, et quels que soient les torts des uns et des autres dans un passé plus ou moins proches. Pas sûr que ceux qui claironnent le mot de paix dans tous les discours télévisés soient ceux qui veulent vraiment un apaisement raisonnable pour tous, et d’autant plus pour les chrétiens du Liban ou de la Syrie actuels qui étaient là bien avant les invasions arabes puis turques.