Que restera-t-il de Vatican II?

La réponse de l'historien italien Roberto de Mattei, auteur d'une monumentale histoire du Concile (Il Concilio Vaticano II. Una storia mai scritta) est sévère mais maleureusement sous les yeux de tous. Un entretien avec Vatican Insider (3/11/2012).

>>> Son site internet:
http://www.robertodemattei.it/ (cliquez sur l'image)

Roberto de Mattei (je laisse mes lecteurs faire leurs propres recherches, mais il y a peu de références en français), né en 1948, historien catholique italien, est une personnalité "clivante". Nous l'avons croisé à plusieurs reprises dans ces pages, et de ma part, ce n'est pas par hasard.
Au journaliste de La Repubblica (cf. http://www.repubblica.it/cronaca/2011) auquel il a accepté de répondre avec une grande dignité, malgré l'insolence des questions, qui l'interroge: "Vous êtes un catholique intégriste?", il répondait crânement, en 2011:"J'aimerais me définir comme catholique tout court. Mais aujourd'hui, c'est insuffisant. Je suis un catholique intransigeant" .

«Le Concile est vivant s'il est uni à la tradition de l'Eglise»

Entretien avec Roberto de Mattei; professeur d'Histoire de l'Église et d'Histoire moderne à l'Université Européenne de Rome, il est l'auteur de «Le Concile Vatican II. Une histoire jamais écrite» (Lindau 2011).
http://vaticaninsider.lastampa.it/inchieste-ed-interviste/dettaglio-articolo/articolo/concilio-19386/
LUCA ROLANDI
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- Cinquante ans après son ouverture, qu'a légué le Concile à l'Église aujourd'hui? Célébrer ou vivre Vatican II?
- L'Eglise vit aujourd'hui une des périodes les plus difficiles de son histoire, au point que Benoît XVI a ressenti la nécessité de déclarer une Année de la foi, pour faire revivre le message éternel de l'Évangile, non seulement à la société occidentale sécularisée, mais à l'Eglise elle-même. Il s'agit de comprendre quelles sont les causes de cette crise dans l'Eglise et dans quelle mesure elles sont reliés au Concile Vatican II. Je crois que les racines de la crise morale et religieuse contemporaine préexistaient au Concile, mais en lui, elles ont eu un indubitable instant de déflagration. À cet égard, le Concile nous a laissé un lourd héritage. L'heure est venue, il me semble, de prendre acte de l'échec de la méthode pastorale de Vatican II.

- Les interprétations historiques, les herméneutiques, rupture, discontinuité, ou réforme, le temps de réception. Votre évaluation?
- Il y a un risque de se perdre dans des discussions inutiles. Benoît XVI, dans son discours à la Curie romaine le 22 Décembre 2005, a déclaré qu'à l'herméneutique de la discontinuité ne s'oppose pas une herméneutique de la continuité 'tout court' (en français dans le texte) , mais une «herméneutique de la réforme» dont la vraie nature est constituée d'un ensemble «de continuité et de discontinuité à différents niveaux». Tout le monde accepte l'existence de différents niveaux de continuité et de discontinuité du Concile Vatican II par rapport à l'Eglise précédente. Il s'agit toutefois de comprendre sur quel plan on se place. Je pense qu'il est important de distinguer l'événement historique des documents, et avant de lire et d'évaluer les documents, il est nécessaire de reconstruire la vérité historique de ce qui s'est passé à Rome entre 1962 et 1965. Certains m'accuseront d'utiliser la même méthode que l'École de Bologne, alors qu'il y a une différence de fond. L'École progressiste de Bologne transforme l'histoire en un locus theologicus, confiant à l'historiien le rôle du théologien. Moi, au contraire, j'affirme la distinction des rôles et je pense que l'interprétation des textes ne revient pas à l'historien, mais au Magistère de l'Eglise,

- Un concile œcuménique: quelles ont été les grandes nouveautés qui ont changé la manière d'être l'Église, en particulier pour ceux qui ont vécu le Concile et ceux qui en ont seulement entendu parler. Lorsque les témoins auront disparu, que restera-t-il?
- Je suis tenté de répondre qu'il restera les ruines. Les ruines des autels dévastés, des églises dépeuplées, des séminaires abandonnés, et surtout, les ruines de la désertion, autrement dit de l'abandon des tranchées dans lesquelles l'Eglise pré-conciliaire combattait le monde pour l'évangéliser. La nouvelle méthode de «la main tendue» n'a pas converti le monde, mais elle l'a rendu plus agressif. Les ennemis de l'Eglise, qui ont toujours existé et qui existeront toujours, manifestent à l'égard de l'Eglise du dialogue une intolérance beaucoup plus grande qu'ils ne nourrissaient envers l'Église «intransigeante». Quand les témoins auront disparu, restera la question de fond: pourquoi tout cela est-il arrivé?

- Rencontre universelle de l'Église, perspective pastorale, réconciliation avec le monde et la modernité, respect de la tradition, mise à jour par rapport aux signes des temps. Des concepts souvent exprimés, que beaucoup ont du mal à comprendre aujourd'hui.
- Le Concile Vatican II a été le premier concile de l'Eglise, qui s'est autoproclamé pastoral. Les vingt Conciles précédents avaient exprimé en des termes pastoraux adaptés au monde de leur temps les dogmes et les canons disciplinaires qu'ils avaient promulgués. A Vatican II, l'«aggiornamento» a élevé la «pastoralité» en principe alternatif à la «dogmaticité». La dimension pastorale, en elle-même accidentelle et secondaire par rapport à celle doctrinale, est devenue de fait une priorité, opérant une révolution dans le langage et la mentalité. Mais s'exprimr en des termes différents du passé, signifie faire une transformation culturelle plus profonde qu'il n'y paraît .. Selon le Père John O'Malley, Vatican II fut avant tout un «événement linguistique». La nouveauté linguistique selon les progressistes était en réalité doctrinale, parce que, pour eux, la façon dont on parle et agit, c'est la doctrine qui se fait pratique.

- Le vécu de l'Église et le Concile: La plupart des différends historiques et théologiques concernent les expériences des communautés, le témoignage de laïcs et des religieux, des hommes qui ont appliqué le Concile dans leur vie.
- Beaucoup d'hommes qui ont appliqué le Concile dans leur vie ont quitté l'Eglise. Pensons, par exemple, à l'ancien abbé de Saint-Paul (ndt: abbé du monastère bénédictin de Saint-Paul-hors-les-Murs à Rome), Giovanni Franzoni, l'un des derniers Pères Conciliaires italiens en vie, encore point de référence pour la théologie progressiste. Franzoni se distingua comme animateur de la «communauté de base» néo-marxiste de l'Abbaye Saint-Paul, prit ouvertement position pour le divorce, adhéra à la théologie de la libération en Amérique latine, se maria civilement avec un journaliste japonaise (1). D'autres protagonistes du Concile, comme Hans Küng, l'un des derniers «experts» théologiens du Concile survivants, ne sont pas mariés et restent dans l'Église, célèbrant la messe régulièrement, mais ne professent plus la foi catholique. A l'inverse, là où l'on a tourné le dos à la méthode pastorale du Concile et où l'on a fait l'expérience de la tradition, la foi renaît, les vocations religieuses fleurissent et les familles, nombreuses et stables, croissent. C'est cela le «vécu» de l'Eglise que je connais.
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(1) Giovanni Franzoni, ex-abbé bénédictin, théologien catholique qui a beaucoup écrit, père au Concile Vatican II, a tenu une conférence au Trente-et-unième Congrès de l’Association des théologiens et théologiennes Jean XXIII à Madrid en début septembre 2011.
A lire ici: http://www.culture-et-foi.com/dossiers/vatican_II/giovanni_franzoni.htm

Faisant une synthèse, je dirais que le cœur du contraste qui opprime l’Église catholique, depuis des décennies, est le suivant : pour Wojtyla et Ratzinger, Vatican II est regardé à la lumière des Conciles de Trente et de Vatican I. Pour nous, au contraire, ces deux Conciles doivent être lus et relativisés à la lumière de Vatican II. Puisqu’il y a des façons différentes de voir les choses, les contradictions ne peuvent pas être éliminées. Chaque jour, et en cascade, nous voyons la Curie romaine établir des normes, prendre des décisions et donner des interprétations qui, à notre opinion, sont en conflit radical avec Vatican II.