Un message trop dur

Dans son dernier billet, JL Restàn revient sur les polémiques ayant entouré la publication du message du Pape pour la Journée Mondiale de la Paix. Traduction de Carlota (19/12/2012)

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Trop dur est ce langage
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José Luis Restán
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Comme s’il s’agissait d’une loi inscrite de la nature, quand le Successeur de Pierre rencontre des moments de reconnaissance et de succès selon notre vision humaine, s’ensuivent des attaques brutales en provenance de différents pouvoirs de ce monde. C’est déjà arrivé des centaines de fois, cela se passait encore la fin de semaine dernière au sujet d’un paragraphe de son Message pour la Journée Mondiale de la Paix. Bien sûr il existe beaucoup de facteurs : l’existence de sujets tabous interdits par la culture dominante, « le virus anticatholique qui, comme le dit l’écrivain Pieter Viereck est comme l’antisémitisme des intellectuels » (ndt: je ne le vois que sur wikipedia anglais - et s’il ne l’était que pour les intellectuels !) ; et pourquoi ne pas le reconnaître ? L’absence d’une présentation adéquate et en amont des textes du Saint Père pou prévenir (au moins dans une certaine mesure) le copier-coller malintentionné et les prévisibles manipulations.

Ce qui est certain c’est qu’après que gros titres sur le triomphe « twitter » (il y a déjà plus de 2 millions d’abonnés au compte @Pontifex) qui ont tant ennuyé les petits délicats de la gauche et de la droite, est arrivé le coup de marteau médiatique. Le grotesque tend vers l’infini quand il s’agit d’attaquer le Pape que l’on représente comme un guerrier embarqué dans la croisade contre les homosexuels. « The Guardian » (ndt: www.guardian.co.uk ) nous a explique que, bien sûr, le Pape continue à être catholique (on comprend qu’il continue à soutenir la doctrine de l’Église) mais qu'en aucun cas il n'a dit que les homosexuels étaient un danger pour l’humanité. Merci.

Le paragraphe de la discorde dit exactement que « la structure naturelle du mariage » doit être reconnue et promue comme l’union d’un homme et d’une femme, face aux tentatives de la comparer d’un point de vue juridique avec des formes radicalement différentes d’union qui, en réalité, blessent et contribuent à sa déstabilisation, en ternissant son caractère particulier et son rôle irremplaçable dans la société ». Plus loin, il a signalé que l’Église ne pose pas cela et d’autres principes comme des vérités de foi, mais qu’elle considère qu’ils sont inscrits dans la nature humaine et qu’ils peuvent être connus par la raison ». Il explique l’action de l’Église (d’autant plus persévérante qu’elle est mal reçue) parce que lorsque l’on refuse ou que l’on ne comprend pas ces principes, on inflige une blessure grave à la justice, qui à côté de la vérité et de la liberté, est le fondement de la paix véritable.

En effet, il me semble que le nœud du Message se trouve dans l’affirmation qu’ « une condition préliminaire à la paix est le démantèlement de la dictature du relativisme moral et du présupposé d’une morale totalement autonome, qui ferme les portes de la reconnaissance de l’indispensable loi morale naturelle inscrite pas Dieu dans la conscience de chaque homme. La paix est la construction de la vie commune en termes rationnels et moraux, en s’appuyant sur un fondement dont la mesure n’est pas créée par l’homme mais par Dieu ». Il me semble écouter dans les différentes rédactions de notre monde ce bruit de voix qu’a dû entendre plus d’une fois Jésus : Trop dur est ce langage.

Benoît XVI signale comme un mal pour la justice la comparaison entre le mariage et un autre type d’unions, mais en aucun cas il ne juge la conscience ni le cœur de personne, non plus des personnes homosexuelles qui ne sont jamais mentionnées dans le Message. En effet, ce que le Pape soutient est exactement la même chose que ce qu’ont dit les évêques espagnols jusqu’à satiété, les Français avant la Loi Hollande (ndt pas encore don José Luis !) ou ceux des Etats-Unis avant la dernière dérive Obama. Plus encore, c’est la doctrine séculaire de l’Église déclinée dans un contexte dans lequel se sont lancés différents pays occidentaux d’une façon suicidaire afin de dissoudre la substance du mariage. On peut débattre de cette position chaque fois plus isolée de l’Église, on peut critiquer (avec des arguments, SVP – ndt: mais là ce n’est pas possible, donc l’invective est le seul raisonnement – ce qui a été démontré !), et il est possible que cela puisse déranger. Ce que l’on ne peut pas faire c’est mentir, ou bien quand il s’agit de l’Église catholique et en particulier du Pape, on lève l’interdiction ?

L’Église parle au cœur de l’homme et lui offre un bien qui correspond totalement à son attente. Pour cela elle continuera à être reconnue par des hommes et des femmes en tout temps et lieu, et il est nécessaire qu’elle s’efforce de témoigner avec sagesse, transparence et amour la vérité dont elle assure la garde. Mais c’est aussi la vérité et elle le sera jusqu’à la fin, cette vérité qui est souvent pour les hommes « l’étrangère » comme disait le grand T.S. Elliot. Elle est dure là où les hommes voudraient regarder d’un autre côté alors qu’elle est tolérante et bienveillante là où ils se montrent rigides et intransigeants.

D’une très belle façon, Benoît XVI affirme dans ce Message que « La paix n’est pas un songe, elle n’est pas une utopie, la paix est possible ». Mais elle ne s’obtiendra pas avec de simples proclamations de tolérance générale mais au moyen d’une reconstruction de l’humain. C’est à cela que contribue le témoignage de Pierre au milieu de cette noria de mots privés de sens que devient si souvent notre débat public

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Remarques complémentaires (Carlota)

JL Restán parle d’une présentation adéquate et en amont des textes du Saint Père, pour prévenir (au moins dans une certaine mesure) le copier-coller malintentionné et les prévisibles manipulations ».
Je ne crois que médiocrement à la nécessité de ce travail et à son efficacité pour « déminer le terrain ».
D’abord il faudrait une armée de personnes, il les faudrait qualifiées pour ne pas parler à la place du Pape et en plus en risquant de se tromper, tout en ayant suffisamment de connaissance pour aborder les sujets.
Ensuite ce n’est pas le texte du Pape qui est le problème, c’est le Pape et ce qu’il représente. Il pourrait même parler dans le sens du système, que cela ne suffirait pas. Le but c’est de rendre inaudible son discours, donc on emploie tantôt le canon type grosse Berta, tantôt le commando infiltré, tantôt des agents doubles ou triples, ou des manipulés, tantôt la diplomatie…
Bref tous les tactiques et stratégies sont bonnes pour ce seul but.
Je crois même que ce travail préparatoire serait finalement contre-productif car il mettrait des intermédiaires et affadirait le message.
Ce qu’il faut par contre c’est tous les catholiques derrière le Pape, des plus hauts prélats aux évêques des plus petits diocèses ainsi que les curés qui regardent d’abord Rome plutôt que le « supérieur » local en cas de désaccord, et que tous les fidèles, aient accès aux vrais messages du Pape et qu’ils leur soient bien indiqués et expliqués par leurs pasteurs de proximité.
Pourquoi se plaindre des journalistes alors que les messages du Pape n’arrivent même pas dans le fond (voire dans la forme) jusqu’aux catholiques de base qui peuvent même par l’attitude de certains pasteurs avoir des témoignages de résistance. Sur un navire l’on parlerait de manque d’esprit d’équipage, voire de mauvais esprit et dans certains cas de mutinerie larvée ! Parce que honnêtement comment un catholique ou un homme sensé tout court peut croire à un tel titre qui annonce une bénédiction publique et papale d’une femme à responsabilité politique tueuse d’homosexuels?

     

Je me permets de compléter l'observation de Carlota (que je partage absolument) en citant un texte que j'avais écrit en 2007, suite à un article de John Allen qui, peu après le discours incompris de Ratisbonne, titrait "Qui dira non à Benoît XVI?" (à lire en entier ici http://beatriceweb.eu/ ).
On verra que les choses n'ont pas bougé d'un iota en 6 ans. Sauf que le contrôle du Pape a été plus au moins mis en place, via le spin doctor. Sans réduire les polémiques et les attaques.

La théorie [de J. Allen] est la suivante: les discours du Pape devraient passer à travers le filtre d'une pré-censure "soft" mise en place par quelqu'un de son entourage, suffisamment proche de lui, pour oser lui dire en substance 'Si vous en donnez l'ordre, je ferais immédiatement ce que vous souhaitez. Mais en conscience, je suis obligé de vous dire que c'est une erreur'.
En gros, placer le Saint-Père sous contrôle; mettre ses propos au diapason de la langue de coton du politiquement correct. Et anihiler par la mollesse de l'expression la force de ses arguments. Bref, l'aligner sur n'importe quel politicien.

Je n'aime pas cette interprétation.
D'abord, elle impute au Saint-Père la violence des réactions musulmanes, jusqu'aux destructions de bâtiments et au meurtre. En tant que pasteur responsable du peuple de Dieu à lui confié, cela revient à lui interdire toute prise de position: cela s'appelle du chantage.
Surtout, elle fait totalement l'impasse sur la manipulation médiatique, particulièrement violente cette fois-là, mais aussi toutes les autres, y compris passées (avec Jean-Paul II, par exemple à propos de la 'repentance') et futures, hélas!
...

J'ai finalement l'intime conviction qu'elle est aux antipodes de son sentiment personnel, comme il s'en est déjà expliqué à plusieurs reprises (par exemple, à propos de à ceux qui seraient tentés d'assouvir une ambition humaine personnelle par l'accès à la prêtrise, en se pliant aux diktats de l'opinion, il écrivait: "... c'est se condamner à devenir l'esclave de l'opinion publique, ... devoir s'adapter aux différents courants d'opinion et dire aux gens ce qu'ils veulent entendre. C'est devoir condamner demain ce dont on aura fait l'éloge hier. C'est finalement ne plus vraiment aimer ses interlocuteurs, mais seulement soi-même tout en finissant par se perdre au profit de l'opinion momentanément dominante").
...

Pour moi, l'idée qu'on puisse seulement imaginer "filtrer" ses discours est impensable.
Le Pape devrait-il être muselé -médiatiquement réduit au silence- par la "peur"?
Cela renvoie une fois de plus à la phrases si émouvante et désormais si riche de résonnances prophétiques, prononcée durant l'homélie de la messe d'inauguration: 'priez pour moi afin que je ne me dérobe pas par peur devant les loups'.