Vatileaks: Les agences qui couvriront le procès(2)

"Trop de malentendus calculés pour la voix de l'Eglise", dit Salvatore Izzo, observateur de l'intérieur, mettant directement en cause le rôle des agences dans une lettre ouverte datant de 2009. Petit historique de ces malentendus... (24/9/2012, màj)

Illustration ci-contre: www.sergeadam.net/

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Voici la traduction promise de la lettre ouverte du Vaticaniste de l'agence italienne AGI au directeur de L'avvenire.
Elle date de 2009, mais elle revient au premier plan de l'actualité avec la désignation par le Vatican des agences chargées de couvrir le procès de Paolo Gabriele.

Sans entrer dans les thèses complotistes, il est important de comprendre que ces agences ont un rôle fondamental dans la centralisation, le contrôle et la transmission de l'information (il suffit de regarder les pages actualité de Google pour constater que les dépêches d'AFP, AP et Reuters sont reprises grosso modo tel quel et sans recul par l'ensemble des medias).
Cette infographie (http://www.enuneimage.com) permet de se faire une idée de la façon dont les choses fonctionnent.

Rappelons qu'en plus de Radio Vaticano et l'OR (quand même!!!) 8 agences ont été retenues pour suivre le procès de Paolo Gabriele. Parmi les 4 "fixes", l'AFP, justement, Reuters et AP (la 4e sera, en alternance, l'une des 2 agences italiennes AGI et ANSA). Les autres alterneront avec des journalistes de la presse italienne et étrangère. Et surtout, aucune agence hispanophone, ce qui soulève un grave problème, quand la majorité des catholiques dans le monde parlent l'espagnol.
Marco Tosatti y consacre son article aujourd'hui sur Vatican Insider: vaticaninsider.lastampa.it.
Et La Repubblica, apparemment très impliquée, ayant flairé le parfum du scandale, y consacre pas moins de trois pages dans l'édition du 24.9, sous le titre fracassant "IL SANTO PROCESSO" et sous la plume de Marco Ansaldo (cf. Vatileaks: les mauvais coups de la Repubblica), dont je ne doute pas qu'il sera parmi les journalistes italiens admis, et largement cité par ses collègues étrangers: cf. rassegna.camera.it . Avant même le début du procès, et alors que rien ne permet de l'affirmer jusqu'à présent, il martèle que les fuites "ont révélé des complots internes aux Sacri Palazzi, intrigues de couloirs entre cardinaux, ambitions personnelles, carrièrisme et affaires". Ce qui laisse mal augurer de son objectivité future...

On peut se demander à ce sujet si le choix des envoyés spéciaux de l'AFP au Vatican ne pose pas un problème d'impartialité, donc de déontologie.
La précédente titulaire (voir ici son interviewe par Audrey Pulvar le 9 mars 2011 sur France Inter ), était Martine Nouaille (1), auteur d'un livre à charge contre l'influence de l'Eglise sur la politique et la société italiennes, "Benedetto, roi d'Italie : chroniques d'un pays à l'ombre du Vatican". J'en avais parlé ici: http://benoit-et-moi.fr/2011-I/, en m'efforçant d'en démonter les exagération, et les inexactitudes, preuves à l'appui.

Tout ceci pose à nouveau de façon cruciale la question récurrente: POURQUOI LE PAPE A-T-IL MAUVAISE PRESSE? (cf. Mauvaise presse)
Et il est de moins en moins certain que cela ait un quelconque rapport avec la "communication du Pape".
Ou alors, pas du tout dans le sens que l'on croit.

 

Lettre de S. Izzo au directeur de l'Avvenire

Trop de malentendus calculés pour la voix de l'Eglise
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[Salvatore Izzo commence par rappeler quelques épisodes récents - à l'époque de sa lettre - de désinformation sur le Vatican, à travers des anecdotes dérisoires ou ridicules, souvent fausses, et qui, trois ans après, n'ont plus qu'une valeur d'exemples: par exemple une information qui avait circulé sur les prêtres et des religieuses surpris en excès de vitesse au volant. Ou les chats qui étaient censés accompagner le pape dans ses vacances au Val d'Aoste (épisode qui avait été l'occasion, pour un "vaticaniste" d'une chaîne publique, de faire de l'esprit aux dépens du pape, et qui lui avait valu une mise au placard, selon moi justifiée: l'épisode est raconté ici).
Plus grave, l'absence de tout contrôle sur les informations émanant d'avocats (on était alors en plein scandale pédophile, particulièrement aux USA), presque toujours prises pour argent comptant, malgré les incohérences évidentes.]

* * *

Ces derniers temps, on a vu de trop nombreux épisodes qui ne prêtaient vraiment pas à rire.

Depuis l'accident de Ratisbonne jusqu'aux attaques présumées du Vatican contre le "décret sécurité" (2) - que même les explications répétées du père Federico Lombardi n'ont pas réussi à ramener dans leur domaine, celui des opinions personnelles respectables et bien connues d'un prélat influent interpelé si fréquemment que cela en devenait suspect, tandis que le chef du service de l'ANSA qui tentait de s'opposer à cette dérive était transféré au bureau central - se déploie une longue liste d'idées fausses et de malentendus qui ont causé de graves dommages à l'image du pape, et des conséquences pénibles au niveau international.

Le cas le plus dramatique est celui de l'extrapolation à partir du contexte de certaines paroles de Benoît XVI sur le sida - prononcées dans l'avion qui l'emmenait vers l'Afrique - qui ont provoqué de très violentes polémiques, culminant dans les prises de positions anti-pape de plusieurs parlements (3). Pour des raisons essentiellement économiques - le coût prohibitif du voyage - à cette époque, peu d'agences avaient le monopole de l'information et ce n'est qu'après plusieurs heures que le Vatican a publié le texte intégral des considérations de Benoît XVI, à partir desquelles il est apparu clairement que le pape n'avait pas exprimé de convictions nouvelles concernant l'utilisation du préservatif, mais avait simplement rappelé l'action de l'Eglise contre la maladie.

Malheureusement, le mal était fait: ces quelques lignes, en l'absence des prémisses formulées par le pape et du développement de son raisonnement, ainsi que de la référence au projet "Dream" de la Communauté de Sant'Egidio, diffusées directement depuis l'avion et immédiatement relayées par des sites Internet, ont monopolisé tout le système médiatique avec ce qui était en substance un faux message.
Quelques semaines plus tôt, des malentendus similaires avaient été alimentés par l'extrapolation - là encore hors du contexte - d'une remarque de l'observateur permanent à l'ONU à propos de la position de l'Église sur le projet de résolution français sur la question de la dépénalisation de l'homosexualité.
Et ainsi, pendant plusieurs jours, le Vatican a été accusé de vouloir la galère - si ce n'est la potence - pour les gays. Évidemment, il s'agissait d'un malentendu: Mgr Celestino Migliore avait seulement mis en garde contre le risque de sanctions pour les pays qui n'assimilent pas les couples homosexuels et le mariage, mais cette fois encore, la superficialité des rapports a provoqué des tensions dévastatrices.
En ce qui concerne l'ONU, en Juin 2007, il y a eu un autre malentendu à propos du discours du Pape aux ONG, qui confirmait les réserves connues du Saint-Siège sur les politiques démographiques, mais avait été intitulé «Benoît XVI attaque les Nations Unies», avec une déconcertante exagération, par la suite dénoncée par L'Osservatore Romano dans un article non repris par les journaux responsables de la manipulation.

Vraiment tragique, en Janvier dernier, le fait, au moment de la levée de l'excommunication des évêques lebebvristes, d'avoir ignoré dans les premières dépêches de certaines agences, la déclaration faite immédiatement par le porte-parole du Vatican, sur la portée limitée de la mesure, qui - comme l'avait dit clairement le Père Lombardi, répondant à nos questions dans la salle de presse - ne couvrait pas les positions négationistes de Mgr. Williamson.

Du reste, déjà en Septembre 2006, à Ratisbonne, le père Lombardi avait immédiatement mis les vaticanistes en garde d'une possible incompréhension sur l'islam, les avertissant contre ce risque avant même que le pape ne prononce son discours: déclaration ignorée par la plupart, avec les conséquences que l'on sait.

Ces incidents témoignent à coup sûr de la nécessité pour les sources de clarifier rapidement les positions mal comprises, mais cet effort, qui finalement est en cours (???), ne servira à rien si nous, vaticanistes des agences, ne garantissons pas une correction absolue en rapportant les mots et les textes du pape et du Saint-Siège, ainsi que de la CEI, résistant aux pression de ceux qui sont intéressés à exploiter l'Église seulement pour des raisons politiques et poussent à la représenter comme sans loi et uniquement capable de dire des "non".

Personnellement, je vis cela comme un défi, bien conscient des limites de mes possibilités personnelles, mais encouragé par les signes d'honnêteté intellectuelle que je saisis chez certains jeunes collègues.
Salvatore Izzo

© Copyright Avvenire , 24 Juillet 2009, pour le texte en italien. Ma traduction.

Notes

(1) Journaliste à l’AFP, Martine Nouaille a travaillé sur les questions sociales en France. Elle a ensuite été à Moscou, puis elle a suivi les questions religieuses à Paris, avant d’être en poste pendant quatre ans en Italie. Elle est aujourd’hui rattachée au bureau Afrique.
(http://www.editions-stock.fr/auteurs/)

(2) D'après le Nouvel Obs:
Les députés italiens (ndlr: gouvernement Berlusconi) ont adopté jeudi 14 mai 2009 une loi controversée sur la sécurité intérieure et l'immigration qui va faire de l'Italie l'un des pays les plus sévères en Europe dans la lutte contre l'immigration clandestine.
Le vote a été acquis par 297 voix contre 255 avec 3 abstentions.
La loi crée un délit "d'immigration et de séjour" clandestins, puni d'une amende de 5 à 10.000 euros et rend possible la dénonciation à la justice de tout immigrant en situation irrégulière. Elle porte de deux à six mois la durée de rétention des immigrants dans les centres d'identification et d'accueil.

La Repubblica (Orazio La Rocca) titre, le 3 juuillet 2009 «Décret sécurité. Le Vatican rejette le tour de vis: "Des règles qui apporteront beaucoup de douleur"» (http://www.feltrinellieditore.it)

È una legge che criminalizza e demonizza i tanti stranieri che arrivano qui chiedendo solo di essere aiutati”. È severa ed immediata la bocciatura del mondo cattolico sul disegno di legge che ha introdotto il reato di immigrazione clandestina. Tra i primi richiami, quelli della Cei, che col portavoce del cardinale-presidente Angelo Bagnasco, monsignor Domenico Pompili, ricorda - “senza entrare nel merito della nuova legge” - che proprio all´assemblea Cei di maggio Bagnasco “ha parlato del dovere dell´accoglienza per chi invoca aiuto e del diritto di emigrare in cerca di un´esistenza migliore e di chiedere asilo politico. Ma sempre nel rispetto della legalità”. Principi - avverte Pompili - “validi in qualsiasi momento e in ogni circostanza”.
Il vescovo Agostino Marchetto, segretario del Pontificio consiglio dei migranti, esprime, invece, “tristezza” e “preoccupazione” e accusa la legge di “ignorare i diritti umani” e di “mettere a rischio l´integrazione” e per questo “porterà solo dolore”. Secondo il presule - ma fonti della Segreteria di Stato dicono che “parla a titolo personale” - “il reato di clandestinità porterà solo alla criminalizzazione degli irregolari...”. Anche il presidente dello stesso dicastero vaticano, il vescovo Antonio Maria Vegliò, in un editoriale scritto per il mensile dei gesuiti, Aggiornamenti sociali, chiede che “non vengano demonizzati o criminalizzati gli stranieri”.

(3) Historique complet ici: http://benoit-et-moi.fr/2009-I
C'est l'un des épisodes les plus pénibles de l'histoire de mon site!

Le 17 mars 2009, c'est-à-dire le jour-même, Gian Guido Vecchi , l'envoyé du Corriere della sera, publiait la transcription intégrale de la Conférence de presse.
Dès le 18, j'en publiais sur mon site la traduction en français (j'étais la première à le faire, et j'avais pu contôler directement grâce à la video sur le site de mon ami russe Benedict XVI tv), et si on la compare avec la version officielle qui figurera plus tard sur le site du Vatican, elle était fidèle, notamment sur le passage incriminé. Plus tard, d'autres traductions (toutes approximatives, il était notamment question de "slogans publicitaires" totalement absents du discours papal, voir ici) ont été publiés sur des sites semi-'officiels', et de nombreux sites les ont reprises sans contrôler, en titrant: "ce que le Pape a vraiment dit dans l'avion".
>>> Voir aussi la discussion (acharnée!) sur un blog de La Croix, dont l'auteur était dans l'avion du Pape, et avait certes dénoncé les "bien-pensants" d'Occident, mais s'était bien gardé de rétablir la réalité des propos du Pape.