François est en ligne avec Benoît

Messori répond aux questions de Riccardo Cascioli (et à nos propres interrogations) sur la Bussola (20/3/2013)

A l'occasion de l'élection du Pape François, Messori a écrit un "instant book", que les lecteurs italiens du Corriere ont pu recevoir avec l'édition hebdomadaire.
A cette occasion, il répond aux questions de Riccardo Cascioli, sur la Bussola, et il donne toutes les réponses rassurantes que l'on peut imaginer.
Je livre la tradution comme un document, n'ayant pas - et de loin - autant d'éléments que lui pour juger.
Tout ce qui concerne l'apport de Benoît XVI dans le domaine de l'apologétique, est très beau.

Original ici: http://www.lanuovabq.it

     

Messori: «François est en ligne avec Ratzinger»
Riccardo Cascioli
19/03/2013
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«La lune de miel avec le pape François d'une certaine culture cléricale agnostique, athée, qui déborde dans tous les médias et dont Eugenio Scalfari (ndt: fondateur de La Repubblica, cf. ici) est le pape sera brutalement interrompue quand le Pape commencera à parler des choses sérieuses et abordera les questions éthiques».
Vittorio Messori, l'écrivain catholique italien le plus traduit au monde, ami personnel de deux papes précédents, est absolument certain de la continuité du pape Bergoglio avec le pape Ratzinger, bien que les styles personnels soient différents

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- Messori, Benoît XVI, en renonçant au Pontificat, s'est référé aux défis que l'Eglise a devant elle, et qui nécessitent une grande force pour y faire face. Quels sont ces principaux défis da va devoir affronter le pape François?

- Tout d'abord, je dois commencer par dire que, contrairement à Eugenio Scalfari, ce n'est pas mon intention de suggérer au Pape ce qu'il faut faire. Simplement, comme humble journaliste, je peux vous dire que j'ai toujours été d'accord avec Ratzinger qui a toujours dit, comme cardinal et en tant que Ppape, que le vrai problème est que la foi, surtout en occident, s'éteint comme une bougie qui n'est plus alimentée. Le vrai problème, dont tout naît est celui-ci: l'éclipse de la foi, le fait que nous ne croyons plus. Nous ne sommes plus disposés à parier sur la divinité du Christ, l'au-delà qui nous attend. Et en cela, l'intelligentsia cléricale ne nous aide pas. Pensons par exemple aux spécialistes de la Bible: ils ont accepté sans broncher la méthode inventée par le protestantisme, disons, agnostique, ladite méthode historico-critique pour laquelle, la seule chose qui est vraie dans l'Evangile, ce sont les notes du bibliste. Si vous prenez l'Evangile au sérieux, vous êtes considéré comme un réactionnaire, mais gare à vous si vous ne prenez pas au sérieux les notes érudites du bibliste.
Ce n'est pas un hasard si après tant d'années j'ai toujours pensé qu'au fond, la chose à rédécouvrir, c'est une apologétique vraiment sérieuse, faite comme Pierre le dit dans sa Lettre: avec mansuétude et respect, une apologétique sereine et en même temps rigoureuse.

- En fait, Benoît XVI a dépoussiéré le mot «apologétique»
- Les raisons de croire, les raisons de la foi sont la première tâche que l'Eglise et, par conséquent, un pape doivent se poser. Et je le répète: ce n'est mon conseil à la Scalfari pour le Pape, c'est ce qui a été répété durant toute une vie par Ratzinger, d'abord cardinal, puis pape, et c'est aussi ce que lui, un pauvre homme, a essayé de faire. Par exemple, les trois volumes sur Jésus sont de l'apologétique pure, dans le meilleur sens du terme: essayer de confirmer les racines de l'arbre, parce que le christianisme semble aujourd'hui un chêne sans racines.

- Tandis que le monde, et même les catholiques, sont plus disposés à écouter les paroles sur l'engagement social, sur les pauvres.
- C'est le christianisme dit secondaire: l'engagement, l'aide sociale, sont autant de bonnes choses, mais si elles ne descendent pas de la foi, elles n'ont pas de sens. Le plus grand cadeau que Ratzinger nous a fait - en dehors de ces trois livres, précieux car d'un côté, ils acceptent les méthodes modernes d'exégèse, et de l'autres, ils montrent qu'elles ne détruisent pas les fondements du christianisme - c'est l'Année de la Foi, qui a débuté en octobre et que ce pape devra conclure.
Pour le cléricalement correct, le terme «apologétique» sonne mal car il semble une régression. Dans les séminaires, même, le mot a disparu et a été pudiquement remplacé par théologie fondamentale. Mais dans cette théologie fondamentale qui est enseignée - j'ai essayé de regarder les textes - il n'y a rien qui fortifie la foi. On donne, comme d'habitude, la foi pour acquise et on fait de belles considérations autour. Mais comme disait Papa Ratzinger dans le document proclamant l'Année de la Foi, c'est qu'aujourd'hui, on voit les devoirs du catholique sur le plan social, caritatif, et ainsi de suite, donnant pour acquise une foi sur laquelle on ne se pose pas de questions et qui, très souvent, n'existe plus.
En somme, il faut rétablir l'ordre: d'abord la foi, ensuite la morale; d'abord le christianisme primaire, qui est la proclamation du kérygme, et ensuite le christianisme secondaire, qui sont les oeuvres - y compris sociale - qui résultent de l'acceptation du kérygme.

- Pensez-vous que le pape François sera en continuité avec Benoît XVI?
- Oui. Ces jours-ci, on a beaucoup souligné les éléments de discontinuité, jusqu'au grotesque; tous d'écrire qu'il est allé à Sainte Marthe dans le même bus que les autres cardinaux, qu'il a voulu payer la facture de la pension où il se trouvait avant l'élection (oubliant, cependant, que la pension est propriété du Vatican). Mais ce sont précisément des choses grotesques, et je suis sûr que cette lune de miel entre une certaine culture dont Scalfari est le pape, cette culture et ce cléricalisme agnostique, athée qui déborde dans tous les médias, cette lune de miel va bientôt être brutalement interrompue lorsqu'il commencera à parler sérieusement, par exemple, d'éthique, de morale, et ainsi de suite. L'homme est âgé de 76 ans, ce n'est pas une nouveauté, il a dit un tas de choses, sur le plan moral et catéchétique. Sur le plan de la foi, il était en parfaite harmonie avec Ratzinger. Et donc cette lune de miel est manifestement destinée à prendre fin.

- Il y a pourtant cette grande emphase mise sur son engagement envers les pauvres.
- Sur cela, il y a un malentendu spectaculaire, parce que l'on oublie que tous les saints sociaux du XIXe siècle - rien que pour Turin (ndt: dont Messori est originaire), don Bosco, Cottolengo, Faa di Bruno - tous ceux qui se sont retroussé les manches pour aider les pauvres, tous ceux qui ont essayé de donner le pain du corps aux malheureux qui se trouvaient autour d'eux, ont été classés comme théologiens réactionnaires. Ils étaient tous les enfants très dévoués de Pie IX et Léon XIII. L'engagement social ne signifie pas être un prêtres à la don Gallo (ndt: figure médiatique et peu orthodoxe du clergé italien), ou d'être d'accord avec les théologiens à la Hans Kung: toute la sainteté sociale, est une sainteté qui se salit les mains, pour l'assistance, matérielle auusi, mais en même temps aime le catéchisme de Eglise et le respecte. Donc, il y a un grand malentendu dans lequel tombent tous ces messieurs qui discutent sans rien connaître de la dynamique l'Église catholique. Bergoglio allait dans les banlieues (villas miserias), mais don Bosco y aurait été aussi. Et don Bosco a-t-il été un innovateur? Que Bergoglio soit allé dans les villas Miserias ne signifie pas du tout que c'est un contestataire théologique. En fait, sur le plan de la morale et de la catéchèse, il est complètement aligné avec Benoît XVI.
Don Bosco avait une devise: le pain et le ciel - ce qui est très beau. Pain dans le sens qu'aux affamés, il fallait donner le pain, mais il fallait aussi donner le pain de l'esprit. Il accueillait les enfants des rues, il leur apprenait un métier, mais ces jeunes étaient formés avec un soin extrême au catéchisme, un catéchisme parfaitement en ligne avec celui de Pie IX.
Ces messieurs qui ne savent rien et qui dissertent, disent que celui-là est un prêtre social; très bien, mais vous allez voir quand il commencera à parler morale, ce qu'il va dire le. Il vous dira exactement ce qu'a dit Ratzinger.

- On a beaucoup insisté aussi sur un style qui rompt avec beaucoup de formalisme, comme s'il s'agissait d'une révolution, en oubliant qu'en son temps comme Jean-Paul II avait donné beaucoup de fil à retordre aux hommes de la sécurité, dans les cérémonies.
- C'est vraiment quelque chose de grotesque. C'est vrai qu'il y a trop de journaux, trop de journaux télé, trop de radios, il y a donc une obsession de l'hyperinformation, et il faut chercher le côté pittoresque. Mais on oublie une grande vérité: Le Père Eternel nous a voulus tous égaux et pourtant tous différents. Chacun a son propre caractère, son style, mais ce n'est pas ce qui importe. Le Pape est là avant tout pour une fonction: le "magister", le "custos fidei", gardien et maître de la foi, le reste est accessoire. Papa Bergoglio, je le regarde comme Maître et gardien de la foi, mais s'il a certains goûts, un certain style, une certaine façon de se déplacer et de parler, cela ne m'importe pas. Ces choses font partie de l'extraordinaire, merveilleuse variété que le Tout-Puissant a voulu nous donner. Un pape ne doit pas être jugé sur son style et son caractère, mais sur son enseignement, parce que c'est sa tâche. Je prends souvent l'exemple du Pape Borgia; lui grattait (ndt: razzolava: l'image est peut-être celle d'une poule grattant le fumier) mal, très mal, certes, mais il prêchait bien. Je suis le pape Borgia non dans son exemple, mais dans sa prédication. Il fut un Pape extrêmement orthodoxe, alors le fait qu'il ait couché avec sa fille ne me dérange pas plus que cela (ndt: Messori est vraiment un esprit extrêmement libre!!). J'en suis désolé, je voudrais qu'il soit été cohérent, mais s'il ne l'est pas, tant pis. Il est quand même pape, s'il m'enseigne la bonne doctrine.

- Beaucoup ont souligné que le Pape François insiste sur le fait d'être évêque de Rome, il ne se réfère jamais à lui-même comme le Pape.
- Je ne vois là rien de mal. Er même une fois, dans un article sur le Corriere, j'ai dit que je pensais que ce ne serait pas mal si la papauté s'installait au Latran, là où est la Chaire de l'évêque de Rome. Au fond des papes au Vatican ne sont que depuis peu de siècles. Jusqu'à l'exil à Avignon, et même après, ils étaient au Latran, et là est la chaire de Pierre. À mon avis, un transfert au Latran serait également envisageable, cela ne me dérangerait pas. Selon la logique de l'«ET ET» (ndt: la "devise" de Messori), le pape est à la fois le chef de l'Église, mais aussi un évêque parmi les évêques. Il est aussi l'évêque de ce qui était autrefois la capitale impériale, c'est pourquoi il a une plus grande autorité. Souligner que le pape est lui aussi évêque - qui, par le Siège où il préside, jouit d'une autorité sur toute l'Église - ne me dérange pas, au fond, c'est un aspect que nous avions oublié. Le Vatican est seulement un appendice au lieu où Pierre a été martyrisé, mais en dehors de la relique de Pierre, il n'y a pas de raisons particulières. Le Pape n'est pas lié à ce lieu, et même le pape devrait être lié à son Siège, qui est celui du Latran.
Donc, je ne vois pas les choses comme Scalfari, selon qui de cette manière commence l'Eglise enfin fédérale, une forme d'Eglise type Ligue lombarde (cf. fr.wikipedia.org/wiki/Ligue_lombarde). Mais de là s'imaginer que Bergoglio a à l'esprit une papauté fédérale: on n'est pas loin de remettre en question la primauté du pape; cependant, souligner que le pape est l'évêque de Rome et, par conséquent, est appelé en premier lieu à favoriser les brebis qui lui sont confiés directement dans l'Eglise de Rome ne me déplaît pas, car cela ne remet pas en question ce qui est l'unité de l'Église.

- Pourtant, en plus de Scalfari, il y a plusieurs épiscopats, ou évêques à titre individuel, qui discutent de régionalisation de l'Eglise, d'une collégialité qui donnera plus de pouvoir aux Conférences épiscopales.
- Je dois dire que plus j'avance, plus je comprends les documents de Vatican II. Malheureusement, nous avons été quelque peu fourvoyés par les interprétation erronées faites par la gauche et la droite. En fait, la collégialité, comprise dans le sens catholique, est dans Lumen Gentium, la Constitution dogmatique sur l'Église, elle fait partie de l'ADN de l'Eglise. Ainsi, la collégialité est là, dans la ligne de ce que Lumen Gentium indique, et certes pas en faisant une Eglise fédérale, ce qui est impensable. Parce qu'au fond, il exite déjà une Eglise fédérale et ce sont les Églises orthodoxes. Le patriarche de Constantinople ne dispose que d'une primauté d'honneur. Je ne veux pas du tout cela, le Concile ne le dit pas non plus, je veux un pape qui ne préside pas seulement comme un honneur. Si, cependant, autour de lui il n'y a pas seulement des serviteurs, mais des confrères dans l'épiscopat, je pense que c'est très beau, même dans une perspective théologique. Mais même ici, il n'y a pas de rupture avec le passé: Ratzinger est l'un des pères théologiques de Vatican II, il l'a toujours dit: vous avez tort, vous tombez dans la même erreur spéculaire, vous à droite et à la soi-disant gauche, parce que vous parlez d'un Concile qui n'a jamais été. Si nous nous en tenons à Ratzinger, il s'est toujours reconnu dans ces documents, il est également à l'origine de la rédaction de ces textes, il ne pouvait pas penser autrement que Lumen Gentium. Autonomes et unis.