François Ier sur le siège de Pierre

Pour éclairer le récent conclave, le Pr De Mattei plonge dans l'histoire de la papauté, et remonte à Adrien VI, dernier Pape germain avant Benoît XVI, à avoir occupé - au XVIe siècle, brièvement - le Siège de Pierre (17/3/2013)

     

L'histoire, dit-il, ne se répète pas, mais sa connaissance peut éclairer le présent.
Le point de vue n'est pas défavorable pour le nouveau Pape - et les coïncidences sont troublantes, même si je ne suis pas certaine d'apprécier les implications. Car pour moi, Adrien évoque forcément Benoît XVI. Mais son action peut aussi être ce qui attend François.

     

François 1er sur la Chaire de Pierre
Roberto de Mattei
http://www.corrispondenzaromana.it
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L'Eglise a un nouveau Pape: Jorge Mario Bergoglio, le premier Pape non-Européen, le premier Pape latino-américain, le premier Pape du nom de François. Les médias tentent de deviner, à travers son passé de cardinal, d'archevêque de Buenos Aires et de simple prêtre, quel sera l'avenir de l'Eglise au cours de son pontificat. De quel genre de «révolution» sera-t-il porteur? Hans Küng le décrit comme «le meilleur choix»(«La Repubblica», 14 Mars, 2013). Mais ce n'est qu'après la nomination de ses collaborateurs et après ses premiers discours programmatiques que l'on pourra prévoir les lignes du pontificat de Papa Francesco. Pour chaque Pape, vaut ce qu'a dit en 1458, le cardinal Enea Silvio Piccolomini, au moment de son élection, sous le nom de Pie II, «Oubliez Enée, accueillez Pie».

L'histoire ne se répète jamais exactement, mais le passé aide à comprendre le présent.
Au XVIe siècle, l'Eglise catholique traverse une crise sans précédent.
L'humanisme, avec son hédonisme immoral, avait contaminé la Curie romaine et les pontifes eux-mêmes. Contre cette corruption était née la pseudo-Réforme protestante de Martin Luther, liquidée par le Pape Léon X, de la famille des Médicis, comme «un différend entre moines». L'hérésie avait commencé à s'enflammer quand, à la mort de Léon X, en 1522, fut inopinément élu le premier Pape allemand, Adrian Florent, d'Utrecht, sous le nom d'Adrien VI.

La brièveté de son pontificat l'empêcha de mener à bien ses projets, en particulier, écrit l'historien des Papes Ludwig von Pastor (1854-1928) , «la guerre contre le gigantesque essaim des abus qui défiguraient la Curie romaine comme presque toute l'Eglise».
Même s'il avait eu un gouvernement plus long, le mal dans l'Église était trop enraciné - observe Pastor - pour qu'un seul pontificat puisse produire ce grand changement qui était nécessaire. Tout le mal qui avait été commis en plusieurs générations ne pouvait s'améliorer qu'avec un travail long et ininterrompu».

Adrien VI, comprit la gravité du mal et les responsabilités des hommes d'Église, ainsi qu'il ressort d'une instruction qu'en son nom, le nonce Francesco Chieregati lut à la diète de Nuremberg le 3 Janvier 1523. Il s'agit, comme le fait remarquer Ludwig von Pastor, d'un document d'une importance extraordinaire, non seulement pour connaître les idées réformatrices du Pape, mais parce que c'est un texte sans précédent dans l'histoire de l'Eglise.

Après avoir réfuté l'hérésie luthérienne, dans la dernière et la plus importante partie de l'instruction, Adrien traite de la défection de l'autorité suprême ecclésiastique en face des innovateurs.

«Tu diras encore - telle est l'instruction expresse qu'il donne au nonce Chieregati - que nous confessons ouvertement que Dieu permet que se produise cette persécution de son Eglise à cause des péchés des hommes, et en particulier des prêtres et des prélats; il est certain que la main de Dieu ne s'est pas raccourcie au point qu'il ne puisse nous sauver, mais c'est le péché qui nous détache de lui au point qu'il ne nous entend pas. La Sainte Ecriture enseigne clairement que les péchés du peuple ont leur origine dans les péchés du clergé, et, par conséquent, comme l'a souligné Jean Chrysostome, notre Rédempteur, quand il voulut purger la ville malade de Jérusalem, se rendit d'abord au temple pour punir avant tout les péchés des prêtres, sous les traits d'un bon médecin, qui guérit la maladie à la racine.
Nous savons bien qu'auprès de ce Siège aussi, pendant des années se sont manifestées beaucoup de choses détestables: abus en matière ecclésiastique, préceptes lésés; et même que tout a changé en mal. Il n'y a donc pas de quoi être surpris si la maladie s'est transplantée de la tête aux membres, des Papes au clergé. Nous tous, prêtres et religieux, nous nous sommes écartés de la voie juste et depuis longtemps il n'y a personne qui a bien fait. Nous devons donc tous rendre honneur à Dieu et nous humilier devant lui; que chacun médite, pour qu'il tombe et se relève plutôt que d'être jugé par Dieu au jour de sa colère. Donc, toi, en notre nom, tu promettras que nous voulons mettre tous nos soins pour que soit améliorée avant tout la Cour Romaine, à partir de laquelle ont pris leur commencement tous ces maux; alors, de même que d'ici est partie la maladie, d'ici aussi commencera la guérison, à laquelle nous nous considérons d'autant plus obligés que tout le monde veut cette réforme.
Nous n'avons jamais convoité la dignité papale, et nous aurions plus volontiers fermé les yeux dans la solitude de la vie privée; volontiers, nous aurions renoncé à la tiare, et seule la crainte de Dieu, la légitimité de l'élection et le danger d'un schisme nous a conduit à prendre les fonctions de Pasteur Suprême, que nous ne voulons pas exercer par ambition, ni pour enrichir nos parents, mais pour redonner à la sainte Eglise, l'Epouse de Dieu, sa beauté primitive; pour aider les opprimés, pour élever des hommes doctes et vertueux; d'une façon générale, pour faire tout ce qui revient à un bon pasteur et à un vrai successeur de saint Pierre.
Pourtant,
personne ne devrait être surpris si nous n'éliminons pas d'un seul coup tous les abus, car la maladie a des racines profondes et très ramifiées. On fera donc une étape après l'autre, et on remédiera d'abord avec des médicaments appropriés aux maux les plus graves et les plus dangereux, afin qu'avec une réforme précipitée de toutes les choses, on n'emmêle pas encore plus l'ensemble. A raison Aristote dit que tout changement soudain est dangereux pour la république (...)».

Les paroles d'Adrien VI nous aident à comprendre comment la crise qui, aujourd'hui, traverse l'Eglise peut avoir ses origines dans les manquements doctrinaux et les défaillances morales des hommes d'église dans le demi-siècle après le Concile Vatican II. L'Eglise est indéfectible, mais ses membres, et même l'autorité ecclésiastique suprême, peuvent se tromper et doivent être prêts à reconnaître, publiquement leurs fautes. Nous savons qu'Adrien VI a eu le courage d'entreprendre cette révision du passé.
Comment le nouveau Pape affrontera-t-il le processus d'auto-démolition doctrinale et morale de l'Église, et quelle attitude aura-t-il en face d'un monde moderne imprégné d'un esprit si profondément anti-chrétien? Seul l'avenir répondra à ces questions, mais il est certain que les causes de l'obscurité de ce temps-ci plongent dans notre passé le plus récent.

L'histoire nous dit aussi qu'à Adrien VI succéda Jules de Médicis, sous le nom de Clément VII (1523-1534). Durant son pontificat eut lieu, le 6 mai 1527, le terrible sac de Rome, par les mercenaires luthériens de l'empereur Charles V. Il est difficile de décrire combien et quels ont été les dégâts et sacrilèges commis lors de cet événement qui a dépassé en cruauté le sac de Rome en 410. Avec une cruauté particulière, on s'acharna contre les ecclésiastiques: religieuses violées, prêtres et moines tués ou vendus comme esclaves, églises, palais,maisons détruites. Aux massacres succédèrent très vite la famine et la peste. Les habitants furent décimés.

Le peuple catholique interpréta l'événement comme une punition méritée pour leurs péchés. C'est seulement après le terrible sac que la vie Rome changea profondément. Le climat de relativisme moral religieux se trouva dissous et la misère générale donna à la ville sainte une empreinte d'austérité et de pénitence. Cette nouvelle atmosphère rendit possible la grande renaissance religieuse de la Contre-Réforme catholique du XVIe siècle. (Roberto de Mattei)

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Note

Pour comprendre ce texte, on lira, avec les réserves habituelles la notice Wikipedia du pape Adrien: http://fr.wikipedia.org/wiki/Adrien_VI

Adriaan Florensz (Adrien Florent ou Adriaan Floriszoon), (2 mars 1459, Utrecht, Principauté d'Utrecht au sein du Saint-Empire romain germanique - 14 septembre 1523, Rome, États Pontificaux) fut pape du 9 janvier 1522 au 14 septembre 1523 sous le nom d'Adrien VI (en latin Hadrianus VI, en italien Adriano VI), unique pape originaire des Pays-Bas (alors relevant du Saint-Empire romain germanique et donc considéré dernier pape allemand avant Benoît XVI), et dernier pape non-italien avant l’élection de Jean-Paul II en 1978.
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Ce qui frappe en Adrien VI c’est sa grande dignité et le sens du devoir. Il n’a pas souhaité être pape mais n’a pas songé à le refuser non plus. Un mois après son arrivée à Rome, une épidémie de peste s'y déclara. Très rapidement cardinaux, ambassadeurs et tous ceux qui le pouvaient quittèrent la ville. Adrien VI refusa de les suivre. Vers la fin de sa vie, il lui arrivait d’exprimer un regret à un ami : « Comme on serait mieux si j’étais encore paisiblement à Louvain ! » Il mourut le 14 septembre 1523, dans l’indifférence, sinon l'hostilité, générale. Pour la réforme de l’Église en tout cas, ce fut une occasion manquée. Les bonnes intentions ne suffisent pas.