La lettre de Jeannine du 15 mars (II)

Les deux derniers jours de la vie publique de Benoît XVI (17/3/2013)

cf.
La lettre de Jeannine du 15 mars (I)

     

La dernière audience (27 février)
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La dernière audience générale du 27 février a réuni une foule immense, toutes nationalités confondues, des fidèles venus du monde entier pour dire au revoir à ce pape qu'ils aiment.
Le tour en papamobile a été exceptionnellement plus long pour permettre au plus grand nombre possible de visiteurs de le voir, sa façon de les remercier pour leur présence si importante lors de cette dernière audience.
Les drapeaux français sont haut levés.
Un carré bavarois est formé avec drapeaux à damiers bleus et blancs et sa musique. Traünstein de son enfance est là pour lui dire au revoir.
Sous ce ciel bleu avec une atmosphère printanière, les drapeaux, les ballons jaunes et blancs, les calicots avec des remerciements, des mots d'affection, de soutien dans la prière, toutes ces manifestations simples, sincères, touchantes s'agitent au-dessus des pèlerins qui saluent et acclament Benoît XVI à son passage.
Parmi les nombreux groupes de Français venus avec leurs évêques il y a Mgr Minnerath et ses ouailles.
Le long du parcours de la papamobile, Mgr Gänswein présente à Benoît XVI les enfants qui lui sont tendus pour qu'il les embrasse: je crois en avoir compté six dont des jumeaux mais je n'ai pas tout vu peut-être. J'ai aimé le geste protecteur et déférent de son secrétaire pour avertir Benoît XVI d'avoir un bébé à accueillir, geste nouveau qui traduit l'entente, la confiance, le lien affectif entre ces deux personnages et une proximité plus grande entre eux; G. Gänswein va veiller sur lui et c'est très bien.
Un garde du corps prend un bouquet de fleurs destiné à Benoît XVI et le pose dans la papamobile: on sait qu'il aime les fleurs, la nature. A la descente, près du podium, cette fois c'est le fidèle secrétaire qui entoure le Pape pour gagner sa place.
Une ovation le salue, réalise-t-il enfin qu'il est aimé pour lui, pour tout ce qu'il a donné à ceux si nombreux qui sont venus lui dire au revoir, lui crier leur gratitude, leur amour.
Pendant la présentation des paroles de la lecture du jour les gros plans sur le visage de notre Pape montrent un visage calme mais des yeux qui clignent, se ferment, papillotent, la fatigue est bien présente. Lorsqu'il prend la parole la voix est cassée et il ne tente pas de dissimuler combien il est touché. C'est son cœur qui parle et il se livre pour cette dernière fois, pour remercier encore et encore avec des mots simples, touchants : « Merci de tout cœur ! Je suis vraiment ému ! Et je vois l'Eglise vivante ! ». Mais il n'oublie pas le Seigneur à qui il rend grâce pour ce temps si agréable en hiver. D'ailleurs au cours de ces années faites de « moments de joie et de lumière » mais aussi de « moments difficiles », le Seigneur ne l'a jamais laissé seul et l'on retrouve l'accent poétique si cher à Benoît XVI : « tant de journées de soleil, de brise légère ».
Grâce à lui j'ai appris que le ministère pétrinien laisse à celui qui l'assure une vie sans vie privée. Les habitants de monde sont ses enfants et il leur appartient à tous, il n'y a plus de place pour rien d'autre. C'est un choix difficile mais c'est pour l'amour de l'Eglise.
Cela m'a fait me souvenir de la première interview de son frère Georg, après l’élection, dans laquelle il disait que le pontificat ampute grandement la vie privée. La foule est recueillie mais les applaudissements interrompent ses paroles. Mots d'encouragement : Dieu soutient toujours son Eglise surtout dans les moments difficiles. A la fin de son intervention il salue, applaudi longuement, debout pour les remercier puis assis, l'ardeur de la foule ne s'est démentie. Comme d'habitude il a adressé un message aux groupes mais pour les Italiens la voix m'a paru plus faible, fatiguée.
Après le Notre-Père et la bénédiction finale, les fidèles lui ont crié leur émotion, leur soutien, leur amour et Benoît XVI souriait. Après le Notre Père et la bénédiction, voix nouée par l'émotion, il regagne la salle Clémentine, à bord de la papamobile. Là l'attendent des personnalités à saluer mais sur le parcours il prend le temps d'embrasser un jeune enfant et un bébé : disponible, attentif aux autres, à leur dire merci pour tout ce qu'il a reçu, on ne vit sa vie qu'en la donnant.
La dernière réunion publique se termine, la place Saint-Pierre se vide, on ne reverra plus le Pape Benoît XVI qui, avec sa foi si profonde, poser un regard émerveillé sur les choses les plus simples qui étaient un don de Dieu. Comme l'a dit Philippine de Saint-Pierre il n'est pas mort mais il faut faire le deuil de ce pontificat d'où un mélange de joie et de nostalgie dans la foule. Alors qu'il s'en allait je crois bien que c'est le frère Aloïs, au premier rang, mains jointes qui a tenté de s'approcher de la voiture pour le saluer encore une fois.


28 février, adieu aux cardinaux
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Des adieux aux cardinaux et autres proches, dans la salle Clémentine le 28 février, je garde le souvenir d'une rencontre simple et touchante malgré les titres des présents. Le cardinal Sodano s'est laissé envahir par l'émotion et a livré un message plein de cœur, l'accolade avec Benoît XVI a été très chaleureuse.
Que dire des paroles de notre Souverain Pontife : aucun triomphalisme, une évaluation pudique et sincère de ses presque huit années de pontificat présentée avec un vocabulaire poétique digne du raffinement de celui qui parle : des moments pleins de lumière mais aussi des journées avec des nuages qui obscurcissaient le ciel, le collège des cardinaux comparé à un orchestre, toujours l'amour de la musique, des remerciements pour le soutien reçu, l'emploi du "nous" excluant toute intention de personnalisation ; il y a eu une seule entité: eux et lui, une belle preuve d'humilité.
Puis a commencé le lent défilé de ceux qui venaient saluer celui qu'ils ne reverraient plus. Debout, le visage marqué par la fatigue mais souriant, disponible, il accueillait avec patience, douceur, les marques de respect, d'affection, abandonnant ses mains qui étaient bien souvent embrassées toutes les deux, parfois même deux fois, tenues serrées longuement. Elles se posaient sur lui en le serrant et l'espace entre lui et son interlocuteur était souvent bien réduit. Les visages souriants accompagnaient les mots échangés que Benoît XVI récupérait dans son cœur. J'ai aimé le geste du cardinal Sodano qui a dit à Mgr Georg Gänswein de se mettre à la droite du Saint-Père, lui permettant d'être aussi salué; discret, il était resté en retrait. J'ai guetté le passage du cardinal Dziwisz; son visage affichait un sourire qui m'a paru forcé et la distance entre le Pape et lui n'a pas été réduite par un élan de sympathie, par quelques mots chuchotés à l'oreille. Par contre j'ai remarqué la poignée de main très brève du secrétaire du Saint-Père, à tel point que c'est Dziwisz qui a fait deux pas en arrière et a dû attirer son attention afin de lui dire quelques mots accueillis, m'a-t-il semblé, avec détachement. Mgr Gänswein, lui, n'avait rien à lui dire. Dans les périodes de grand trouble je n'ai pas souvenir d'un appui de la Pologne ; pourtant elle a été très bien traitée. J'ai toujours dit que ce pays avait eu beaucoup de chance que ce soit le cardinal Ratzinger qui devienne pape. Pour le remercier de cette bienveillance celui qui a été créé cardinal par Benoît XVI très rapidement (24/3/2006) a condamné sa décision de façon lapidaire: « on ne descend pas de la Croix ». L'hommage officiel a été plus détaillé mais sans chaleur et Jean-Paul II y a été trop présent pour mon goût personnel. Les cardinaux défilaient et apportaient chacun leur note d'affection, de réelle proximité, de respect, une touche d'humour, de compréhension, de légèreté parfois avec des rires. Benoît XVI toujours disponible en retenait certains un bref instant. Comment notre Saint-Père a-t-il fait pour rester debout pendant tous ces échanges, minutés certes mais qui me paraissaient ne devoir jamais finir, avec un verre d'eau pour reprendre souffle et tenir jusqu'à la photo de groupe traditionnelle. Je suis très admirative de la volonté, de la disponibilité de celui qui donnait tout ce qu'il pouvait de lui-même, conscient qu'il était du désarroi, de la peine de la plupart de ses proches collaborateurs. Tout était organisé, réglé. Mgr Gänswein était souriant mais il remettait souvent sa ceinture en place, regardait fréquemment sa montre, arrangeait sa petite cape noire, se mordait les lèvres, signes de la tension qui l'habitait. Il a serré des mains, embrassé les cérémoniaires, certains collaborateurs dont il était proche. Lorsque je voyais un cardinal s'agenouiller devant notre Pape en lui tenant les mains, je craignais le moment où il se relèverait et ferait se pencher en avant notre Benoît, là je ne voyais plus que sa fragilité. Et c'est en s'aidant de sa canne qu'il a regagné ses appartements à la fin de la rencontre. Compte-tenu de ce que l'on a pu saisir de lui au long de ces années si riches mais trop courtes je crois pouvoir dire que ces cérémonies d'au revoir ont dû être pénibles mais pour toutes il a fait preuve de beaucoup de disponibilité, de proximité avec ceux qu'il rencontrait, leur réservant un accueil chaleureux, discret, sincère.

Perdue dans mes pensées, j'ai raté lamentablement le repas mais mon mari a pris l'initiative de le remplacer par une fricassée de canard aux cèpes du sud-ouest rapportée de nos vacances et j'ai eu moins mauvaise conscience.


Départ du Vatican
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La cérémonie de départ du Vatican en fin d'après-midi n'a rien arrangé sur le plan émotionnel.
Comme je voudrais avoir la tranquille assurance de ce pape qui partait serein, certain d'avoir fait le bon choix et allait ainsi vers une autre vie, la vraie pour lui. Humble. Philippine de Saint-Pierre était accompagnée par le Père Sylvain Bataille recteur du séminaire français de Rome, chargé de la formation des prêtres. Son vocabulaire était simple, plein de compréhension, d'empathie pour ce pape âgé, fatigué, qui vivait des heures très difficiles. Il a fort bien expliqué la différence entre la vocation et la mission. Benoît XVI a terminé sa mission mais la vocation qui l'a fait se donner totalement et irréversiblement à l'Eglise et à Dieu le mène vers ce chemin de vie qui ne se terminera que lorsque Dieu le rappellera.
C'était très émouvant de voir ses proches collaborateurs, les porte-parole, ses collaborateurs de la Secrétairerie d'Etat, sa garde pontificale au grand complet qui l'attendaient dans la cour Saint-Damase pour un dernier au revoir.
On a vu Benoît XVI quitter l'appartement pontifical, accompagné de son secrétaire, de Mgr Xuereb, de son docteur et le majordome a refermé la porte à clef avant de les rejoindre. Les larmes de Mgr Gänswein étaient touchantes, très humaines mais discrètes, beaucoup de retenue dans l'émotion, rien pour exciter le pathos de la foule, de la dignité avant tout. La peine du chauffeur agenouillé en larmes devant le pape ajoutait à la tristesse de cet adieu. Les applaudissements étaient délicats tout comme celui qui partait, pudique, réservé mais sensible à ceux qui l'entouraient. Chacun a gagné sa place dans la voiture, un geste de la main de Benoît XVI et ils ont pris la route de l'héliport d'où un hélicoptère blanc a décollé lentement en spirales pour prendre de l'altitude, passer au-dessus du Vatican où des fidèles attendaient place Saint-Pierre pour saluer le grand oiseau blanc, survoler la cathédrale de Saint-Jean de Latran, sa cathédrale, Rome, le Colisée avec le souvenir des chemins de croix et revoir encore cette campagne si belle qu'il retrouvait avec tant de plaisir à chacun de ses séjours à Castel Gandolfo. Les cloches sonnaient à toute volée mais un voile de tristesse planait sur ce départ.
Tout est allé vite, une voiture l'attendait pour le conduire à la villa pontificale. Dans le geste de Mgr Gänswein, à la descente de voiture, entourant Benoît XVI on retrouve la même prévenance qu'avant le décollage de l'hélicoptère lorsqu'il boucle la ceinture de sécurité de celui sur lequel il va veiller. Pas d'attendrissement mais la certitude d'une présence solide, attentive, affective; tant d'années vécues ensemble, tant de soucis partagés ne peuvent que créer des liens soigneusement tissés et sécurisants. D'ailleurs cet homme qualifié bien à tort de froid, inflexible, n'est que réservé, timide et possède une grande sensibilité soigneusement maîtrisée. Il a parlé avec beaucoup de pudeur, de retenue, de la famille pontificale et de la vie de famille menée avec elle. Il partage avec ses différents membres une vie simple, des moments joyeux et d'autres plus sombres, presque la vie de tout le monde.
Il y a peu de temps encore je lisais qu'il était seul pour ses repas, pour sa messe privée; pourquoi mentir ainsi? On peut le remercier d'avoir accepté que la caméra le suive dans l'appartement de la Résidence Pontificale pour ses premiers pas dans une nouvelle vie et pour les dernières paroles de remerciements livrées à la petite foule qui attendait son arrivée et lui clamait son amour, son affection, sa compréhension. Visage fatigué, à petits pas lents, il a gagné la loggia et a accueilli avec émotion, avec simplicité, avec gratitude, bras grands ouverts, la clameur qui montait vers lui. Malgré la puissance émotionnelle de cette dernière rencontre, son épuisement bien compréhensible, il laisse venir vers lui les cris de ces fidèles qui lui disent qu'ils l'aiment. Lorsqu'il prend la parole la voix est cassée par l'émotion « merci, merci de tout cœur », les applaudissements fusent de nouveau, les vivats aussi. Benoît XVI parle avec son cœur, sa finesse, sa réserve habituelle; il n'a jamais autant montré son émotion, combien il est touché par tout ce que les gens lui donnent et auxquels il dit merci du fond du cœur. " Je suis un pèlerin qui commence la dernière étape de son pèlerinage sur cette terre"
Il y a des larmes dans la foule, lui reste serein et sûrement soulagé d'être arrivé à la fin de tous ces adieux, de toutes ces paroles, presque des justifications pour expliquer qu'il continue à aimer l'Eglise, qu'il se confie à la prière des fidèles car il a besoin de cette prière pour les journées qui viennent et pour plus tard aussi bien sûr. Ses dernières paroles :"merci et bonne nuit, merci à vous tous" avant de quitter le balcon et de disparaître aux yeux du monde traduisent bien la simplicité, l'humilité du personnage. Ainsi que le dit le Père Sylvain Bataille, pendant quinze jours il a été un père qui a fourni toutes les explications nécessaires pour que ses enfants comprennent l'acte qu'il a posé. Il ne les abandonne pas, Dieu n'abandonne pas son Eglise, il n'y a donc rien à craindre. Un habitant disait que même retiré du monde il était heureux qu'il soit là avec eux. Sa Bavière est présente.
Dans ses dernières apparitions publiques il a livré beaucoup de lui à condition d'avoir su l’entendre.
Lors d'un dernier flash on voit la fermeture de la porte de la villa et le départ de la Garde Suisse remplacée par la gendarmerie qui va veiller sur lui. Dans la nuit si belle les paroles prononcées sur la loggia prennent valeur de testament (Père S Bataille). Petit à petit, comme à regret, les habitants qui étaient restés s'éloignent.
Depuis 20h il n'est plus pape.

Jeannine