L'Eglise contre les ONG
Le cardinal Robert Sarah, président du Conseil Pontifical Cor Unum, s'inquiète des dérives de la "charité du Pape". Article dans l'OR. (19/1/2013)
>>> Voir sur ce sujet:
http://benoit-et-moi.fr/2012(III)/articles/tour-de-vis-sur-la-charite.php
Et bien sûr, le discours du Pape: Le point de vue de Dieu
Massimo Introvigne intitule son dernier billet sur la Bussola: Quand la "charité catholique" trahit l'Eglise
Avec le motu proprio du 11 novembre 2012 «Intima Ecclesiae natura» sur le service de la charité, Benoît XVI avait réclamé un authentique "tour de vis" pour les organisations caritatives qui se disent catholiques mais qui, dans les paroles ou dans les faits, contribuent à la violation des principes non négociables sur les thèmes de la vie et de la famille.
Du Motu Proprio, on devrait désormais passer à la phase opérationnelle avec l'Assemblée plénière du Conseil Pontifical Cor Unum, qui coordonne les interventions caritatives de l'Eglise dans le monde entier.
----
Le Cardinal Robert Sarah, le Président du Conseil Pontifical, a pris position avec éclat dans le discours d'ouverture.
Article sur l'OR (voir ici), ma traduction.
La charité doit se libérer des logiques de l'éthique laïciste.
Forte prise de position en ouverture de la plénière de Cor Unum
--------------------
Il est absolument urgent et nécessaire de faire front face aux logiques de l'éthique laïciste qui, après avoir été imposée y compris «par la violence à des cultures et des peuples du monde entier par le biais de mécanismes politiques, juridiques et culturels complexes», véhiculant «une vision négative et destructrice de l'homme et de la femme», tente désormais de s'insinuer dangereusement entre les mailles de la charité de l'Eglise.
C'est la condamnation très ferme du cardinal Robert Sarah, président du Conseil pontifical Cor Unum, contre ce subtil modèle d'éthique mondiale qui, «pensé par certaines organisations internationales», finit par influer fortement sur les modes de vie de populations entières.
L'instrument adopté, dénonce le cardinal, est celui du prétendu soutien financier et technologique pour le développement, soumis à des conditions précises par les donateurs. Un cas typique, «celui qui a trait à la mentalité contraceptive occidentale - a dit le cardinal, inaugurant jeudi 17 Janvier, les travaux de la plénière du dicastère - et au mépris de l'homme et de la femmes créés à l'image de Dieu, trouvant aujourd'hui une place dans des formes normatives mondiales comme celles qui se trouvent dans l'idéologie du genre dont nous ne cessons d'entendre parler».
Le lien étroit entre l'évangélisation, la foi et la charité, d'une part, et la confrontation entre l'anthropologie chrétienne et la nouvelle éthique mondiale de l'autre, sont des sujets envers lesquels le cardinal a toujours fait preuve d'une sensibilité particulière, grâce aussi à l'expérience acquise dans la réalité africaine. D'où la décision de consacrer à cette thématique les travaux de la première session plénière présidée par lui après sa nomination à la tête de Cor Unum, qui a eu lieu en Octobre 2010. Choix renforcé par la décision d'élargir la participation aux travaux à ceux qui dans le monde sont appelés à exercer la charité chrétienne.
C'est précisément à eux que le cardinal a manifesté sa profonde préoccupation pastorale, c'est-à-dire la constatation de l'imposition aux pays pauvres «de normes politiques et culturelles qui transmettent des idéologies et un laïcisme agressifs, intolérants et destructeurs des cultures et en particulier de la foi», qui menacent «culturellement, politiquement et juridiquement l'identité constitutive de l'homme et de la femme en tant que personne, leur identité sponsale et leur merveilleuse complémentarité dans l'amour». Une dénonciation corroborée par la référence explicite à des situations et des comportements qui prouvent que ses craintes sont fondées.
Les questions sur lesquelles il faudra réfléchir en ces jours de rencontre et de travail est - dit-il - «la constatation que certains membres de l'Eglise qui travaillent dans le domaine de la charité se sont laissé séduire et encadrer par l'éthique purement laïque des organismes d'aide de la gouvernance mondiale, jusqu'à faire des partenariats inconditionnels et à adopter les mêmes objectifs de déconstruction anthropologique, la même langue et les mêmes slogans».
«L'histoire de l'Occident - a noté le cardinal Sarah - a suffisamment prouvé le lien entre l'infidélité au Magistère et la perte de la foi». C'est pourquoi l'invitation adressée aujourd'hui aux opérateurs de la charité chrétienne convoqués à Rome vise précisément à réfléchir ensemble sur la charité et sur l'anthropologie chrétienne face à la nouvelle éthique mondiale.
Discernement et vigilance sont les maîtres mots qui devraient guider ce que que le cardinal définit comme un tournant: le retour à la foi.
Gare à ceux qui permettent aux logiques des idéologies de prendre la place de l'Evangile, pour occuper les espaces de l'esprit: cela signifierait contribuer à la sécularisation de la charité chrétienne. Qui n'est pas , en premier lieu, un service de solidarité sociale. Le discernement «que nous, chrétiens sommes amenés à faire à la lumière de l'Evangile - a-t-il expliqué - consiste d'une part à nous rendre capables d'ouvrir les yeux et l'intelligence sur les réalités irréfutables et négatives de notre époque, et d'autre part à maintenir les yeux fixés sur ce qu'implique le mystère de la présence de Dieu».
«Il est nécessaire - a-t-il précisé en substance - de faire à nouveau l'expérience de l'amour de Dieu pour tous les hommes, en particulier pour l'homme d'aujourd'hui qui vit le drame de la destruction de la véritable signification de l'amour, qui est un don de Dieu».
Le cardinal a mis en garde contre l'action dans le monde de ceux qui veulent la mort de l'homme pour détruire le dessein merveilleux de Dieu. Ils utilisent - dit-il - tous les moyens: de celui financier, à celui qui fait passer pour légitime l'asservissement de la nouvelle culture à une culture de mort à «mondialiser le plus rapidement possible». Et on profite des besoins des pays pauvres, en utilisant, par exemple, la solidarité et l'aide aussi équitable que légitime en faveur de la santé des femmes et des mères, en échange de l'imposition de politiques de contraception et d'avortement. Il s'agit d'une «situation inacceptable», qui doit voir l'Eglise en première ligne dans la défense de tous les droits des pauvres.
Un autre sujet sur lequel le cardinal a attiré l'attention, c'est l'ambiguïté de la nouvelle culture et du langage qui lui est lié. Un thème, a-t-il noté, qui a causé des problèmes jusqu'au sein de l'Eglise et auquel la nouvelle évangélisation doit certainement faire face.
Enfin, le cardinal a voulu aborder l'argument thématique: conversion, charité, et anthropologie trinitaire. «À des degrés divers - a-t-il dit - des institutions catholiques se sont laissées entraîner par l'éthique de la gouvernance mondiale, la mélangeant avec l'Evangile et la doctrine sociale. Elles ont également utilisé ce langage ambigu caractéristique, elles se sont alignées avec leurs conditions de soutien financier».
Désormais, il faut changer, l'Eglise ne pourra jamais tirer bénéfice de sa propre sécularisation. «La grâce de la conversion - a dit le cardinal - nous fait sortir de ce contexte et nous fait repartir du Christ. La vocation prophétique du chrétien l'appelle à rendre témoignage au Christ et aux valeurs de l'Evangile». Il n'y a pas d'alternative.
A la culture de la mort, doit être opposée la civilisation de l'amour. Une civilisation qui «sera fraternelle, mais aussi filiale» a dit le président. «Et qui sera finalement communion de personnes. La charité n'est pas une spécialisation dans l'Eglise. C'est la vie du corps dans son intégralité, c'est un appel universel à vivre notre foi et à aider l'humanité à croître, grâce à l'Evangile».
(© L'Osservatore Romano, 18 Janvier 2013)