Les abus sexuels s'invitent au Conclave

Une pétition circule pour empêcher le cardinal Mahonny, évêque émérite de Los Angeles, de participer au Conclave. Dernière attaque contre le Pape. Les éclairages (indispensables, et courageux) de Massimo Introvigne (20/2/2013)

Capture d'écran ci-dessous:
www.famigliacristiana.it/

Lu sur Le point.fr

Vatican: des scandales pédophiles rattrapent les cardinaux électeurs
20/02/2013
http://www.lepoint.fr
Les victimes d'abus sexuels commis par des prêtres placent peu d'espoir dans le prochain pape, alors qu'enfle la controverse sur un cardinal américain, accusé d'avoir couvert les agissements de dizaines de pédophiles, qui doit participer à l'élection du successeur de Benoît XVI.

L'association américaine Catholics United a lancé une pétition pour empêcher l'ex-archevêque de Los Angeles (1985-2011) Roger Mahony, 76 ans, de se rendre au conclave. Il y a un mois, le cardinal a été relevé de toutes ses fonctions "administratives et publiques" pour avoir couvert des prêtres, auteurs de dizaines d'abus pédophiles commis dans son diocèse dans les années 80.

Pour les associations de victimes, son comportement est l'exemple même de ce que Benoît XVI n'a pas réussi à remettre en ordre au sein de l'Église.
etc..

     

On se doute que si c'est relayé par le Point, ce n'est pas pour le bien de l'Eglise.

En complément des dépêches d'agence (on sait qu'elles se comptent sur les doigts d'une main à alimenter l'ensemble de la presse sur toute la planète), lisons donc ce que dit un observateur attentif et autorisé, Massimo Introvigne.

     

Conclave, ils attaquent Mahony pour punir l'Église
Massimo Introvigne
20/02/2013
http://www.lanuovabq.it/it/articoli-conclave-attaccano-mahony-per-punire-la-chiesa-5847.htm
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Un tsunami d'insanités. C'est ce que l'on lit - et de façon incroyable (ndt: pas tant que cela!), même sur la presse catholique - sur le cardinal Roger Mahony, archevêque émérite de Los Angeles, auquel on demande de ne pas assister au conclave, car il est toujours impliqué dans les procès où on l'accuse d'avoir protégé des prêtres pédophiles.
Le lecteur, à ce point, va se demander: mais le drame des prêtres pédophiles n'a-t-il pas été dénoncé en termes douloureux par Benoît XVI?
Oui, bien sûr.
N'est-ce donc pas un peu fort de parler d'«insanités»?
Non, et cela, pour deux raisons.

La première est que participer à un conclave n'est pas un prix ou une journée de congé. Il s'agit d'une tâche très exigeante, un devoir avant même d'être un droit. Le droit canon ne prévoit pas l'exclusion du Conclave pour des raisons morales ou disciplinaires. Certes, à tous les conclaves de l'histoire, ont participé des cardinaux qui avaient quelque squelette dans le placard du point de vue personnel, moral, politique ou pire, doctrinal. Cette circonstance nous rappelle que l'Eglise est composée de saints et de pécheurs. Nous ne devons pas nous en scandaliser. Si quelque cardinal en difficulté décidait librement ne pas participer au conclave, ce serait un geste noble. Mais ces gestes s'admirent, ils ne s'imposent pas, même à coups de sondages, comme celui qui est proposé par "Famiglia Cristiana" pour les lecteurs qui n'ont certainement pas lu les dossiers des complexes causes civiles américaines, liées à Mahony, et ont «voté» pour l'exclure du Conclave sur la vague d'une réaction émotionnelle facile.

La deuxième raison est que le cardinal Mahony n'est actuellement soumis à aucune sanction canonique. Son successeur à Los Angeles, l'archevêque José Gomez, a pris la plume pour l'expliquer à ses prêtres. La lettre précise qu' «il continue à y avoir une confusion dans divers médias sur le cardinal Mahony. J'ai déjà expliqué dans une précédente déclaration que, bien que le cardinal Mahony comme archevêque émérite, n'ait plus de tâches administratives spécifiques, il reste un évêque en pleine communion avec l'archidiocèse de Los Angeles. Il a le plein droit de célébrer tous les sacrements de l'Église et d'exercer son ministère auprès des fidèles, sans aucune restriction. Promu à la dignité de cardinal, le cardinal Mahony conserve également toutes les prérogatives, les droits et les devoirs d'un cardinal de l'Église catholique romaine». L'archevêque Gomez va encore plus loin, et présente sa conviction que «les résultats qu'il a obtenus et l'expérience du cardinal Mahony seront utiles au collège des cardinaux» réunis en conclave.

On pourrait espérer que la lettre de l'archevêque Gomez clarifie les choses, et que les médias vont arrêter d'écrire sur d'inexistantes sanctions canoniques infligées par Gomez à son prédécesseur. Mais cela n'arrivera pas, parce que pour beaucoup, le cardinal Mahony est un faux objectif pour attaquer l'Eglise et le Pape Benoît XVI.
Bien que Benoît XVI ait pris des mesures d'une sévérité extraordinaire et sans précédent contre les prêtres pédophiles, bien que ces mesures aient été en grande partie efficaces - les procès qui ont lieu aujourd'hui concernent presque toujours des événements datant de nombreuses années, et les épisodes récents sont de plus en plus rares - aucune mesure ne sera jamais suffisante pour ceux qui utilisent la tragédie des prêtres pédophiles comme une massue avec laquelle frapper l'Église pour contester son enseignement moral et sa défense sans compromis de la vie, de la famille et de la liberté religieuse.

* * *

Mais, au juste, de quoi est accusé le cardinal Mahony?

Le cardinal a été évêque de Stockton 1980 à 1985 et archevêque de Los Angeles de 1985 à 2011. Les polémiques concernent à la fois la période de Stockton et celle de Los Angeles.

Commençons par Stockton. Quiconque continue à chercher sur internet le documentaire discrédité de la BBC «Sex Crimes and the Vatican» (à l'époque retransmis par une chaîne italienne), est immédiatement frappé par la sinistre figure de l'ancien prêtre Oliver O'Grady. Le documentaire s'ouvre et se ferme sur l'ancien prêtre irlandais, qui a vécu aux États-Unis de 1971 à 2000, filmé alors qu'il décrit de façon assez explicite comment il attirait ses victimes, quel genre d'enfants lui plaisaient et comment il avait été protégé par l'évêque Mahony.
Il ne s'agit cependant pas de l'interview originale de la BBC, mais d'une séquence tirée du film de 2006 «Deliver Us from Evil» («Délivrez-nous du mal») par la réalisatrice Amy Berg. Un film où la collaboration de O'Grady n'a pas été gratuite. C'est le résultat d'un accord avec les avocats de ses victimes qui - après que O'Grady ait été condamné en 1993 à quatorze ans de prison - ont intenté une action en dommages-intérêts devant les juridictions civiles contre le diocèse de Stockton. O'Grady s'est prêté aux interviews vidéo des avocats - et d'Amy Berg - et en retour, ils ne se sont pas opposés à sa sortie de prison au bout de sept ans, accompagnée de l'expulsion des États-Unis vers son Irlande natale, où le pédophile est longtemps resté en liberté jusqu'à ce qu'il soit à nouveau condamné en 2012 à trois ans de prison pour possession de matériel pornographique avec des images d'enfants. Par conséquent, les déclarations de O'Grady s'insèrent dans un accord avec des avocats qui avaient besoin avant tout de se faire dire que le prêtre pédophile avait été protégé par Mahony et le diocèse, auquel ils préparaient à soutirer quelques millions de dollars.

Un regard sur les documents du procès civil de deuxième instance montre que O'Grady n'avait pas dit tout à fait la vérité. Il affirmait - à la joie évidente des avocats - que Mahony savait qu'il était un pédophile et que, malgré cela, il l'avait maintenu dans le ministère sacerdotal.
Mais les documents racontent une autre histoire.
Mahony devient évêque de Stockton en 1980. Entre 1980 et 1984, il doit faire face à trois cas de prêtres accusés d'abus sexuels sur mineurs. C'est quelque chose qui va surprendre les lecteurs de «Répubblica» et peut-être aussi ceux de «Famiglia Cristiana»: non seulement il enquête, mais il signale les prêtres à la police. Dans les deux cas, la police confirme que, derrière la fumée, il y a feu: et les prêtres sont suspendus a divinis, c'est-à-dire exclus du ministère sacerdotal. Dans le troisième cas, celui de O'Grady, la police archive l'affaire en 1984, et déclare le prêtre innocent. Mahony se limite à le transférer, après que deux psychologues qui l'ont examiné pour le compte du diocèse aient déclaré qu'il n'était pas dangereux. Tous avaient tort: O'Grady était très dangereux.

Des reconstructions alternatives des trois affaires de Stockton imputées à Mahony ont été proposées par le journal - très hostile l'Eglise catholique - "Los Angeles Times" et un certain nombre de journalistes et de blogueurs, y compris italiens, mais elles n'ont pas résisté à l'examen des tribunaux américains, pas tendres avec l'Eglise en cas d'abus.
Mahony à Stockton, il y a trente ans, s'est trompé. Mais il s'est trompé non pas parce qu'il ne s'est pas adressé à la police. Il l'a fait. Son erreur a été de prendre pour bonnes les onclusions de la police et des psychologues qui, dans le cas de O'Grady étaient manifestement erronées.

Passons à Los Angeles. Mahony a été promu à la tête d'un des plus grands diocèses du monde en 1985, alors que la crise des prêtres pédophiles fait rage, parce que l'on considère qu'il a donné de bonnes preuves à Stockton et est en mesure d'y faire face. Los Angeles sera - pour des événements qui se sont produits avant l'arrivée des Mahony - le diocèse des États-Unis et du monde qui paiera les plus lourdes indemnités aux victimes d'abus sexuels: 660 millions de dollars. La transaction de 2007 avec les cabinets d'avocats spécialisés dans la représentation des victimes de prêtres pédophiles devait être, ou du moins les avocats l'ont présenté ainsi à Mahony, «tombale». Mais l'appétit vient en mangeant, et les mêmes cabinets d'avocats - qui (peu de gens savent en Italie) ont l'habitude de garder pour eux-mêmes la plus grande partie des biens détournés - ont lancé une nouvelle cause - toujours civile - réclamant plus d'argent et persuadé un juge de les laisser fouiller, à partir de 2012, dans des documents internes du diocèse, y compris de simples mémentos privés.

Selon ces documents, il ressort que Mahony - au moins dans les années qui ont précédé la décision des évêques des États-Unis de rendre compte toujours de tous les cas à la police - dans diverses affaires douteuses, s'est limité à renvoyer dans leurs diocèses d'origine, en informant les évêques, des prêtres, mexicains ou espagnols exerçant leur ministère à Los Angeles, et a trop fait confiance aux «centres de réhabilitation» qui prétendent être en mesure de traiter les prêtres pédophiles de leur maladie en les rendant à nouveau capables de reprendre sans risques leur ministère. Malheureusement, ce n'était pas vrai, et, paradoxalement, Mgr Richard Loomis, conseiller du cardinal sur cette question et prêtre qui semblait au-dessus de tout soupçon, finit lui aussi accusé d'abus. Cependant, il faut aussi ajouter que, dans plusieurs cas de prêtres qui semblaient être dangereux et certainement irréformables, Mahony s'est avéré au contraire être inflexible.

Mahony a fait des erreurs? Certainement. Graves? Oui. Il a été victime de fausses théories thérapeutiques sur l'infaillibilité supposée des centres de réadaptation? On peut le dire. Il est le complice de pédophiles, il a remis sciemment des prêtres qui selon toute estimation raisonnable retomberaient dans leurs vices au contact avec les paroisses et les enfants? Non, cette conclusion n'est pas étayée par des documents, et du reste Mahony n'a jamais subi de condamnations pénales, les dédomagemnets dérivent de causes civiles.

Le cardinal s'est trompé, mais il s'est trompé de bonne foi, en croyant que ses méthodes pour aborder la question des prêtres pédophiles étaient efficaces et avancées. Elles ne l'étaient pas, et ce que j'ai écrit n'est en aucun cas destiné à offrir une défense. Transformer un évêque qui a commis des erreurs en un criminel, manque pourtant gravement non seulement à la charité, mais aussi aux règles de bon journalisme.