L'Europe est la foi et la foi est l'Europe
Les réflexions qu'inspirent à l'excellent blogueur espagnol Eduardo Arroyo le Pontificat de Benoît XVI. Traduction de Carlota (21/2/2013)
À sa façon et avec son tempérament, Eduardo Arroyo (déjà rencontré ar ailleurs ici, cf. http://tinyurl.com/bk5cu58) qui ne se prétend pas spécialiste de l’Église et du Vatican, mais qui est un homme de culture chrétienne, comme une grande majorité encore d’entre nous des deux côtés des Pyrénées, rend un bel hommage à notre Saint Père, et pose comme toujours de bonnes questions, que l’on n’aime ou l’on n’aime pas les réponses qu’il propose. Cela rend d’autant plus dérisoires les actes actuels de nos politiques.
Texte original: www.elsemanaldigital.com
L’Europe est la foi et la foi est l’Europe
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Benoît XVI a renoncé à la Papauté et sa décision, sauf pour les imbéciles, a chamboulé les fondements mêmes de l’époque que nous vivons. Les blagues et les débats des média se sont dispersés pour céder la place à l’auguste gravité de l’Histoire en majuscule.
Pendant ses presque huit ans de Pontificat, beaucoup de choses ont changé dans le monde, certaines survenues par le signe des temps, et d’autres par décision expresse de ce Pape singulier. Ses ennemis abondent toujours dans les mêmes commentaires, dont la valeur est plus celle des techniques de propagande que du fondement des arguments. Le jour même de l’annonce de la renonciation qui faisait le tour du monde, un certain Paco Forjas (ndr journaliste souvent envoyé spécial sur les zones de conflits) depuis Londres et pour la RNE (ndr Radio Nacional de España, à comparer à notre actuel France Inter !), énumérait les raisons pour lesquelles, pour le Royaume Uni, le pontificat de Benoît XVI était significatif : il a cité, pourquoi pas, les cas de pédérastie, les « religieuses esclaves » et tout ce qui peut servir pour donner un éclairage sombre à la nouvelle.
En passant, comme ni les responsabilités, ni les époques, ni les dates de sont délimitées, et que la conjecture n'est pas séparée de l’évidence, le résultat est que la figure de Benoît XVI apparaît mêlée à des affaires pour le moins troubles. C’est ce qui se transmet à l’auditoire et ce n’est rien d’autre que du pur terrorisme informatif qui, venant d’une chaîne publique, se fait avec les impôts de tous. Mais des histoires comme celle que je viens de citer, bien qu’aujourd’hui en abondance, n’auront sans doute qu’un temps.
Nous voulons donc ici souligner la transcendance du moment que nous vivons.
Benoît XVI continue d’être un chef spirituel dont l’empreinte atteint tout ce qui est humain. Sa présence, ses analyses, la doctrine dont il est le garant, constitue l’espérance et la vie pour des centaines de millions de personnes dans le monde. Il est le miroir dans lequel se regardent des gens de tous les continents et de tous âges et conditions. C’est pour cela que son pouvoir de rassemblement, pour ouvrir les oreilles des gens, les faire se sentir interpelés au plus profond de leur cœur, dépasse largement tout le cirque médiatique en quoi nos sociétés se sont transformées. À son appel, qui n’est rien d’autre que l’appel du Christ lui-même sur la Terre, accourent les plus audacieux, les plus sacrifiés, et, ce qui est le plus terrible, ceux qui sont capables de supporter avec un sourire l’outrage de gens qui ne leur arrivent à la semelle des souliers. C’est cela la dimension de Benoît XVI ici et maintenant.
Mais le Pape Ratzinger a aussi une dimension historique qui le transcende lui-même, comme dépositaire du gouvernail dans cette barque de Saint Pierre. Lui et aucun autre mortel, peut maintenant dire en toute certitude le fait que vingt siècle le contemplent. Qu’a-t-il fait pour garantir la constance des routes suivies par ce navire qu’il gouverne et qui, cependant, n’est pas le sien ?
La réponse a à voir avec une question qui a été projetée, d’une manièreplus ou moins explicite, sur tout le pontificat de Benoît XVI. Le harcèlement croissant contre l’Église et l’hostilité également croissante envers le message chrétien des mass médias, le doit-on aux conséquences directes du Concile Vatican II ou plutôt à l’échec du Concile Vatican II à affronter une situation qui serait arrivée de toutes manières ?
Le fait est que dans les pays traditionnellement catholiques, autant les vocations que les catholiques pratiquants ont diminué de manière drastique. De larges couches de la population regardent avec une véritable haine ce qui est catholique et en incitent d’autres à faire de même. Bien sûr tout n’est pas négatif. Sans doute le message chrétien, et spécialement catholique, jouit-il encore d’une notable réputation parmi nos compatriotes, comme c’est le cas dans une bonne partie du monde. Mais cette réalité négative, palpable pour beaucoup de chrétiens, dans quel sens peut-on l’interpréter ?
Notons que l’une ou l’autre des réponses ne peut se donner qu’à partir de positions différentes. Pour ceux qui pensent que les raisons de la crise doivent se chercher dans les « conséquences directes du Concile Vatican II », les menaces contre l’Église catholique proviennent, non des ennemis extérieurs qui ont finalement toujours existé – Obama, l’Islam, etc., mais des ennemis intérieurs beaucoup plus difficiles à combattre. Pour ceux qui pensent que tout est du à l’ « échec du Concile Vatican II à affronter une situation qui serait arrivée de toute façon », le contexte historique de la crise de l’institution a été généré par l’avancée de la science et le projet consommé de l’émancipation de la raison. En d'autres termes, l’Église a échoué à être « à la hauteur des temps ». Ainsi, si le Concile Vatican II a signifié d’une certaine façon, non pas une rupture qu’il n’a jamais prétendu être mais l’ouverture de voies alternatives à la tradition - en particulier la liturgie - plus en accord avec le temps, la solution aurait été de rendre encore plus abondants et de renforcer les résultats du dernier Concile.
Benoît XVI a contribué activement à ces « réformes » dont l’Église, dans l’esprit de beaucoup, avait besoin. Mais aujourd’hui Benoît XVI a vécu un Pontificat convaincu que la crise de l’Église est liée à la crise de la liturgie, comme noyau essentiel du vécu du catholique, en tant que tel. Il s’ensuit qu’il s’est engagé, sans le dire, sur le double front d’affirmer la tradition une et indivisible de la succession multiséculaire des conciles, et en même temps de faire contrepoids aux abus auxquels ses prédécesseurs n’ont su ou voulu mettre une limite.
De là aussi son habitude réitérée de célébrer en latin, d’encourager à la communion à genoux et dans la bouche, ou de lever la marginalisation qui pesait sur les fidèles qui assistaient à la messe du mode extraordinaire, avec un motu proprio (Summorum Pontificum) et une instruction (Universæ Ecclesiæ) sur son application. La main tendue aussi à l’Église Anglicane, et surtout à la fameuse Fraternité Saint Pie X, qui lui a couté l’attaque d’obscurs «lobbies » de pouvoir, à la suite des déclarations de l’évêque Richard Williamson.
En bien ou en mal, et sans prendre parti ouvertement pour l’une ou l’autre des tendances mentionnées, Benoît XVI, avec son œuvre, nous a montré que la réponse de l’Église catholique aux temps qui courent est bien plus dans le retour à la vie surnaturelle et moins au « faire » et au « lutter » dans le monde. Aujourd’hui l’Église est plus « monastère » et moins « ONG ». Sans cesser d’être dans le monde, le Pape a demandé à chaque catholique la séparation explicite du pouvoir mondain, et ainsi, il l’a montré dans chaque écrit, chaque allocution, dans chaque document papal.
Avec tout cela, Benoît XVI a donné au gouvernail du Navire de Pierre le coup vers l’intériorisation, vers l’adoration, et en définitive, vers la tension spirituelle dont l’homme du XXIème siècle a besoin. Ce n’est pas rien en cette époque sombre. Et il l’a fait dans une situation franchement difficile, quand la crise et l’angoisse intérieure avancent en parallèle vers cette espère d’apostasie collective de la société qui a incubé et infesté le christianisme aux quatre coins de la planète.
Cette corrélation n’est pas accidentelle, bien sûr. Et si autrefois le christianisme est arrivé au monde entier impulsé par des hommes animés d’une notable envie d’Absolu, jamais animés de cette espèce de philanthropie sentimentaloïde, propre à notre civilisation insipide et hypocrite, sans doute la régénération future ne sera possible qu’à travers des gens qui vivront dans un monde sans être du monde. La question n’est pas anodine en Occident, d’abord parce qu’en aucun autre endroit, les bases de la société même ne se sont construites en étant liées quasi exclusivement au christianisme et à l’interprétation que le christianisme a faite de la civilisation antérieure - du monde classique. Ensuite, parce que c’est ici, en Occident, qu'ont incubé la crise que nous vivons et les attaques les plus virulentes au message Chrétien. Pour ces raisons, les routes par lesquelles va se diriger la Barque de Pierre sont d’une importance vitale et pour le christianisme, elles sont méta-historiques (ndr qui dépasse l’histoire). C’est seulement là que l’homme occidental peut trouver un référent clair et reconnaissable pour son inévitable soif spirituelle. C’est seulement là qu’il peut trouver l’Autorité perdue capable d’ordonner le chaos et réunir ce qui est dispersé.
À ce sujet, Hillaire Belloc (*) terminait son « L’Europe et la Foi » (**), dont le sous-titre significatif est Sine auctoritate nulla vita, avec des phrases qui, bien qu’elles aient été écrites avant 1920, peuvent servir de référence à l’homme occidental d’aujourd’hui:
« Nous avons atteint finalement, comme résultat de cette catastrophe d’il y a quatre cents ans, un état social que nous ne pouvons supporter, et une dissolution des standards, une fusion du cadre spirituel telles que le corps politique échoue. Les hommes partout sentent que l’intention de continuer par ce chemin obscur et interminable fait penser à l’accumulation de dettes. Nous nous éloignons chaque fois plus de l’équilibre. Nos différentes formes de connaissance divergent de plus en plus. L’autorité, le principe même de la vie, perd sa signification et ce terrible édifice de civilisation dont nous avons hérité et auquel nous nous confions encore, tremble et menace de s’écrouler. Il apparaît clairement incertain. Il peut tomber à tout moment. Nous qui vivons encore assistons à sa ruine. Mais quand survient la ruine non seulement c’est un imprévu mais c’est aussi une fin.
À cette croisée des chemins reste la vérité historique : que notre structure européenne, construite sur les nobles fondements de l’antiquité classique, s’est formée sur, existe pour, est en harmonie avec et se maintient seulement à l’intérieur du moule de l’Église Catholique. L’Europe reviendra à la foi ou périra. L’Europe c’est la foi et la foi c’est l’Europe ».
Benoît a vécu son Pontificat au milieu de cette situation qu’a su si bien voir Belloc et, bien que tout semble être immergé dans l’obscurité et la décadence, beaucoup croient qu’il a su transmettre à l’Église la route correcte pour les temps actuels et malgré l’ennemi intérieur. Avec sa démission, les épées restent brandies et, peut-être sans le savoir, pour cela, le monde a retenu son souffle. Nous verrons dans les prochains mois ce que nous réserve l’avenir.
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(*) Hillaire Belloc, né en 1870, a perdu son père (ruiné par ailleurs lors d’une crise financière de l’époque). Il a alors vécu dans la patrie de sa mère, la Grande Bretagne. http://fr.wikipedia.org/wiki/Hilaire_Belloc)
(**) « Europa and the faith » voir ici l’introduction en vo - version complète en VO sur internet – projet Guttemberg ; ici des extraits traduits en français