L'héritage de Benoît XVI, agenda du prochain Pape

Une tribune (au ton très "esprit Vatican II") de Mgr Bruno Forte, archevêque de Chieti Vasto. Elle a été traduite sur le site espagnol Infocatolica... et en français par Carlota (13/3/2013)

Avec Godfried Danneels, Walter Kasper, et Jean-Louis Tauran, tous trois électeurs de ce conclave, Bruno Forte compte parmi les « héritiers de Martini » (cf benoit-et-moi.fr/2012(III))

>>> Voir aussi: Mgr Forte écrit à ses "chers frères journalistes"

     

L'héritage de Benoît XVI, agenda du prochain Pape

Mgr Bruno Forte, archevêque de Chieti Vasto (*) parle de « L’héritage de Benoît XVI et de l'agenda du prochain Pape » dans un article paru sur le portail italien « Il sole 24 ore » du 10 mars 2013. Il est aussi disponible sur le site de l’archidiocèse ici.
Texte original italien: www.ilsole24ore.com
Sa traduction espagnole: infocatolica.com
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Quel est l’héritage que Benoît XVI laisse à son Successeur? La réponse à cette question passe par l’ensemble du pontificat du Pape émérite, théologien profond, croyant amoureux, humble travailleur dans la vigne du Seigneur et surtout maintenant pèlerin de Dieu dans le silence de l’adoration et dans la prière de l’intercession.
Quatre tâches prioritaires me paraissent se profiler pour le prochain Évêque de Rome, en partant des propres paroles avec lesquelles le Souverain Pontife a motivé sa renonciation : « Dans le monde d’aujourd’hui, sujet à de rapides transformations et secouées par des questions de grande importance pour la vie de la foi, pour gouverner la barque de Saint Pierre et annoncer l’Évangile, est aussi nécessaire la vigueur tant du corps que de l’esprit, une vigueur qui, ces derniers mois, a diminué en moi d’une telle façon que je dois reconnaître mon incapacité à bien exercer le ministère qui m’a été confié ».

La première des urgences qui est importante pour le Pape Benoît est, par conséquent, la vie de la foi, par rapport à laquelle le monde d’aujourd’hui est agité par des questions de grande importance. Durant le temps de son ministère comme Successeur d Pierre, il a insisté sur la primauté de Dieu et sur l’obéissance qu’on lui doit en tout. Justement ainsi, le Souverain Pontife émérite a été un réformateur spirituel qui, avec fermeté, a voulu rénover l’Église dans l’amour du Christ, dans la foi inconditionnelle en Lui et dans le témoignage généreux et passionné de sa beauté aux hommes.

Convaincu que la vraie réforme n’est pas, en premier lieu, celle des structures ou des formes extérieures, Benoît XVI, au prix d’en payer un très élevé en renonçant à l’aspect justificateur pour obéir à la vérité, a rappelé à l’Église la nécessité absolue de satisfaire Dieu.

La façon limpide et décidée avec laquelle il a affronté les scandales et péchés réalisés par des personnes consacrées, la demande de pardon à ceux qui avaient été offensés par ces comportements - prenant à sa charge, comme innocent, les fautes des fils infidèles de l’Église - la fermeté de la lutte contre tout carriérisme de la part des ecclésiastiques, la sérénité témoignée aussi face aux trahisons et incompréhensions, non seulement parlent de la stature spirituelle de ce Pape mais restent comme un exemple et un chemin à suivre pour le futur.

Liée à la réforme spirituelle de l’Église, une seconde priorité a surgi, avec chaque fois une plus grande insistance dans le magistère de Benoît XVI: la nouvelle évangélisation. Il y a fait référence en communiquant sa renonciation, en parlant de la « vigueur nécessaire pour annoncer l’Évangile ».

Quand en 2010 il institue le Conseil Pontifical qui lui est dédié, il a utilisé des références autobiographiques y compris émouvantes, quand il a dit avoir voulu ainsi « une voie opérante à la réflexion qu’il avait mené à bien depuis longtemps sur la nécessité d’offrir une réponse particulière au moment de crise de la vie chrétienne, qui se vérifie en beaucoup de pays, surtout d’ancienne tradition chrétienne ».
On sent dans ces mots l’amour profond du Pape émérite pour le Christ et la condition d’«amour blessé», ressentie en voyant beaucoup s’éloigner du trésor évangélique ou s’en montrer indifférents.

Le nouveau Pape devra trouver des formes et des moyens pour que la beauté de la foi fascine de nouveau les cœurs et que l’espérance de l’Évangile se convertisse pour beaucoup en lumière dans la nuit d’un temps où tant de personnes semblent ne plus souffrir du manque de Dieu.

Une telle entreprise ne pourra certainement pas être conduite par une seule personne : se profile ici la troisième des priorités avec laquelle devra se mesurer celui qui succèdera à Benoît XVI, l’exercice de la collégialité épiscopale. Elle se réfère à la nécessité de doter d’une manière adéquate le gouvernement de l’Église, une nécessité à laquelle le Souverain Pontife faisait référence dans la déclaration sur son renoncement. C’était le même Ratzinger qui indiquait cette priorité au commencement de son pontificat : « À tous les frères dans l’épiscopat, je demande aussi de m’accompagner avec la prière et le conseil (ndt: accompagner dans la prière n'est pas du tout transformer l'Eglise en une démocratie participative!!!)… Le Successeur de Pierre et les évêques, successeurs des Apôtres, doivent être très unis entre eux, comme l’a réaffirmé avec force le Concile. Cette communion collégiale, bien que soient différentes les responsabilités et les fonctions du Souverain Pontife et des évêques, est au service de l’Église et de l’unité dans la foi de tous les croyants, d’elle dépend en grande mesure l’efficacité de l’action évangélisatrice dans le monde contemporain. Par conséquent, je veux continuer sur ce chemin, sur lequel ont avancé mes vénérés prédécesseurs, préoccupé uniquement de proclamer au monde entier la présence vivante du Christ » (20 avril 2005).

Quelques pas dans cette direction ont certainement été faits, par exemple avec la célébration des Synodes des Évêques. Cependant, une augmentation effective du gouvernement collégial de l’Église ne pourra pas ne pas passer par une réforme profonde de la Curie Romaine et, en général, par des styles ecclésiaux de sobriété chaque fois plus grande et de responsabilité partagée avec les pasteurs. Sur ce point Benoît XVI a offert des principes qu’il reviendra au Successeur de traduire dans la pratique à fond.

Finalement l’annonce renouvelée de l’Évangile au monde ne pourra se produire de manière adéquate sans que se réalisent deux conditions qui satisfassent la quatrième priorité laissée en héritage par le Pape émérite qui lui succédera : le dialogue, avec une référence pour une part à la revitalisation de l’œcuménisme, d’autre part à une attitude chaque fois plus incisive de confiance et d’amitié vers la famille humaine entière. Les difficultés surgies ces dernières années ne sont certainement pas dues à Benoît XVI, qui, au contraire, depuis le commencement a voulu donner une forte impulsion à l’engagement pour l’unité voulue par le Seigneur. Avec les Orthodoxes, après le pas significatif donné avec le Document de Ravenne de 2007 sur le ministère de l’unité au niveau universel, qui paraissait ouvrir le chemin de la reconnaissance commune de la primauté de l’Évêque de Rome, la résistance de la part de la base des Églises orthodoxes s’est manifestée de manière préoccupante.

Avec les héritiers de la Réforme, après un bel accord sur la doctrine de la justification de 1999, il ne semble pas qu’il y ait eu des pas en avant significatifs. Avec les Anglicans, les gestes d’attention et d’accueil de Benoît XVI n’ont pas été compris et acceptés par tous. Il faut, en peu de mots, un nouvel élan qui puisse remotiver chez les différentes confessions chrétiennes la passion pour l’unité pour laquelle Jésus a prié: au nouveau Pape et au collège des évêques avec lui, se présente le défi inéluctable d’avancer par ce chemin, en continuité avec le message du Concile Vatican II.
En même temps, dans un monde toujours plus mondialisé, dans lequel les identités locales courent le risque et la menace de la même mondialisation, le dialogue avec les cultures et en général avec le monde contemporain paraît une nécessité absolue.

On demandera aussi ici un nouvel élan, qui thésaurise les prémisses mises par Benoît XVI, par exemple dans le dialogue avec les non croyants et ceux qui se sont éloignés, pour construire un pont de sympathie et d’amitié, capables d’attirer les cœurs et de mettre en marche des dialogues significatifs et des collaborations efficaces. Les cinquante ans d’ouverture de Vatican II ramènent à la mémoire de tous le style de bonté et de confiance de Jean XXIII, à quoi devra se conjuguer une connaissance profonde et articulée de la complexité des scènes du « village global ». La surprise que l’’Esprit invoqué sur le prochain Conclave réserve à l’Église, devra offrir une réponse convaincante également à cette dernière et pas simple urgence.

Notes de traduction (Carlota)

(*) Chieti, chef lieu de département italien du même nom dans les Abruzzes mais près de la côte adriatique. Cette ville existait avant même que Romulus fonde Rome !
Vasto est une ville du même département, est aussi connue pour avoir été un marquisat d’Alfonso de Ávalos, un Espagnol de Naples, un temps, commandant des armées de Charles Quint et gouverneur de Milan.

(**) Je reste assez dubitative sur certaines parties de ce texte qui mettent en avant des préoccupations très « esprit Vatican II » notamment en ce qui concerne la collégialité, qui m’a plutôt fait l’effet jusqu’à présent d’une « bande de mauvais élèves » évidemment version plus ou moins feutrée ecclésiastique, qui fait semblant d’obéir au maître d’école aux idées novatrices et géniales dans leur orthodoxie (Benoît XVI), mais qui n’en fait qu’à sa tête, fait du mauvais esprit et profite en plus de cette collégialité pour empêcher les initiatives heureuses de certains bons élèves. Je pense en particulier, et sauf exception qui se compte en France sur peut-être la moitié des doigts d’une main, à l’application du motu propio summorum pontificum, qui n’a quasiment pas été faite d’une manière généreuse et dynamique. Le cas de Paris intra muros est assez emblématique. Je pense aussi à la façon dont a été gérée la résistance à la culture de mort depuis plusieurs décennies, avec un petit réveil récent mais si timide, si timide, mais en laissant prendre le pas à des initiatives peut-être généreuses mais bien désordonnées et inadéquates dans le fond.

Qu’est-ce-par ailleurs que cette allusion à la sobriété ? La sobriété et l’humilité du cœur peut aussi s’accompagner de la beauté de la liturgie, de la magnificence des œuvres d’art sacré (églises, musique, chants, etc.) si malmené depuis quelques décennies. Rien n’est trop beau pour le Seigneur et ceux qui le servent. Et l’on ne peut refuser, même à un pauvre, d’avoir un « beau » spectacle qu’il ne trouvera nulle part que dans son église, le palais des pauvres ouvert à tous les pauvres, de corps, de cœur et d’esprit. Un pauvre qui préfère peut-être donner sa petite obole pour la dorure d’une statue du Sacré Cœur.

Quant à l’œcuménisme, retrouver l’unité originelle des chrétiens est bien sûr indispensable, sous la primauté de l’Évêque de Rome, mais comme ce terme, peut-être voulu par Vatican II (mais avant lui par tout les conciles ?) a été mal compris pendant un demi-siècle ! D'abord, il est indubitable que Benoît XVI a fait avancer l'oecuménisme d'une façon extraordinaire. Ensuite, ce n’est pas en réécrivant les Écritures et en sécularisant de nouveau la traduction ancienne de la Vulgate, en dépouillant les églises catholiques de leurs statues de saints et des ornements, que l’on fait de l’œcuménisme.
Quand au dialogue avec les cultures, qui mieux que l’Église l’a fait depuis des siècles. Saint Paul en précisant que la circoncision n’était pas indispensable a fait le premier acte d’ouverture aux autres cultures ! Mais ce dialogue est d’autant plus efficace qu’il y a des identités différentes entre le Sacré de l’Église et la culture du pays. Il est significatif de voir l’attrait de la forme extraordinaire de la messe en Afrique, alors que l’Europe sous l’impulsion des modes protestantes « afro »-américaines, s’est vue imposer dans les maisons de Dieu, sanctifiées par le silence respectueux et la culture européenne, des « Negro Spiritual » et des Godspell depuis Vatican II. Dialogue entre les cultures ou mondialisation sous un modèle unique d’un impérialisme marchand.