L'interviewe de Mgr Müller dans "Die Welt"

Très longue et très riche, elle a suscité une polémique (à vraie dire prévisible!) pour un seul mot, à la fin de la toute dernière réplique: pogrom! Traduction complète, par Marie-Anne (5/2/2013)

     

La semaine dernière, le grand quotidien allemand "conservateur" Die Welt ("Le Monde") publiait une interviewe de Mgr Müller, préfet de la CDF (très attaqué par la frange conservatrice de l'Eglise, où il y a trop d gens qui n'ont pas encore compris où sont les vrais ennemis), par Paul Badde, bien connu de mes lecteurs. Marie-Anne a eu la grande gentillesse de me la traduire (mais au moment où je lui ai demandé de le faire, je ne me doutais pas qu'elle susciterait une polémique, pour l'utilisation d'un mot apparemment tabou, "pogrom", à la toute dernière réplique.

Comme toujours, lorsque c'est possible, il est préférable de revenir au texte original.

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Marie-Anne m'écrit:

Voici la traduction de l’interviewe, d’autant plus intéressante que Mgr Müller subit des attaques – si j’ai bien compris en lisant la Croix – à cause de l’emploi du mot « progrom » (1)
Il a besoin de nos prières puisqu’il suit les traces de celui qu’on appelait autrefois « Panzerkardinal ». Et prions aussi pour Mgr Aillet (cf.
Mgr Aillet cible d'une campagne d'injures).

Texte original en allemand ici: http://www.welt.de/

Interviewe de Mgr Muller

Mgr Gerhard Ludwig Müller se trouve depuis bientôt six mois à la tête de la Congrégation Romaine de la Doctrine de la Foi, succédant dans cette charge à Joseph Ratzinger devenu Benoît XVI. Sa tâche principale consiste à défendre la foi catholique des hérésies, c’est-à-dire des déviations par rapport à la vraie Foi. Mgr Müller qui est le théologien allemand le plus cité de notre temps a la réputation d’être un conservateur lorsqu’il s’agit du dialogue œcuménique ou des réformes dans l’Église.

Die Welt : Vous étiez évêque de Ratisbonne lorsque le pape vous a appelé à Rome. Ce changement de lieu, signifie-t-il pour vous un changement de point de vue ?

Mgr Gerhard Ludwig Müller: Je me suis senti toujours catholique. Que je sois à Ratsibonne ou ici, cela ne changera rien, je ne pourrais ni ne voudrais agir autrement qu’avant.

Die Welt : Percevez-vous dans l’église allemande une antipathie pour Rome ?

Müller : On ne peut pas parler d’une « église allemande ». Il y a 27 évêchés en Allemagne, qui représentent une certaine unité culturelle et linguistique. On peut donc parler d’une église catholique en Allemagne, mais pas d’une « église allemande ». Dieu s’est fait homme en Jésus Christ qui a donné sa vie pour tous les hommes y compris pour les Allemands qu’il chérit.

Die Welt : Peut-on parler d’un certain centralisme romain ?

Müller : Nous souffrons certainement d’un manque d’unité. L’église ne souffre pas de centralisme, mais des forces centrifuges. Rome n’est pas au centre de la burocratie de l’église, mais c’est vrai qu’elle donne une orientation aux successeurs de Pierre.

Die Welt : Considérez-vous les vieilles questions allemandes – du célibat, des divorcés remariés, etc. – comme des questions-clefs qui toucheraient l’église universelle ?

Müller : Non, c’est un miroir déformant la réalité, lorsqu’on sait qu’en Allemagne 80 % des baptisés ne participent pas le dimanche à l’Eucharistie, c’est-à-dire à la réactualisation de l’offrande de la vie du Christ su la croix. Les autres sacrements, comme la confession et le mariage, ainsi que les vocations sacerdotales et religieuses connaissent aussi une grande désaffectation qui devraient nous préoccuper plus que ces sujets secondaires. C’est la question de Dieu qui doit être remise au centre avant tout le reste.

Die Welt : Mais le ministère des laïcs, ce n’est pas une question secondaire…

Müller : Les laïcs participent à part entière à la vie de l’église. Mais ils doivent exercer aussi leur responsabilité dans le monde. L’appel au sacerdoce ou à l’épiscopat par contre, est un ministère qui doit être entièrement au service de l’église universelle, pour laquelle le Christ l’a institué. Ce ministère ne se donne pas, ne se choisit pas pour son propre intérêt, ni pour son propre avantage.

Die Welt : En 1988, le Cardinal Ratzinger a déclaré à notre journal "Welt", qu’à son avis, dans le catholicisme allemand il y avait un sentiment de tiédeur, une certaine lassitude. Est-ce que cette situation a changé au bout de sept ans de pontificat ?

Müller : Cela dépend du point de vue d’où on envisage l’Église. L’opinion publique est souvent hostile, certes, mais ce qui importe le plus, c’est ce que l’Église dit d’elle-même. Il faut savoir dialoguer, c’est vrai. Mais il ne faut pas perdre de vue l’essentiel en ressassant toujours les mêmes problèmes.

Die Welt : Par exemple ?

Müller : La revendication du ministère ordonné pour les femmes. Dire que ce n’est pas possible, ce n’est pas vouloir minimiser la valeur des femmes, mais c’est considérer la nature du sacrement. Dans ce sacrement le Christ est présent comme l’époux par rapport à l’épouse. Une union entre les partenaires du même sexe est également inacceptable pour l’église catholique. Ces unions ne peuvent être mises d’aucune façon sur le même plan que le mariage. Autre exemple : Le célibat des prêtres correspond à l’exemple et à la parole de Jésus qui a trouvé dans l’église latine son expression particulière. On ne peut pas déclarer la sexualité comme une pratique indispensable pour la nature humaine dans le cadre ou hors du mariage ; ou sacrifier le célibat pour une stratégie pastorale. Ne pas se marier à cause du Royaume reste une exigence fondamentale de l’évangile.

Die Welt : Vous ne voyez par conséquent aucun sujet de réforme pour l’Église ?

Müller : Mais si, elle consiste de ressaisir les questions essentielles qui sont la participation aux sacrements, ou la connaissance de la Foi. Le mot réforme sonne bien dans l’Église. On ne doit pas en faire des recettes pour freiner le véritable renouveau dans le Christ. Il s’agit de réformer l’Église à la façon de St François qui suivait le Christ de façon radicale, ou comme St Jean de la Croix et Ste Thérèse d’Avila, ou encore comme le renouveau liturgique qui a vu le jour après le Concile de Trente avec tous les autres domaines de la vie chrétienne, y compris la piété populaire. Voilà ce qu’on peut appeler une réforme dans l’Église.

Die Welt : Parlons aussi de la Réforme dans le sens œcuménique, en cette semaine de prière pour l’Unité des chrétiens. Il y a 10 ans vous avez choisi comme devise épiscopale "Dominus Jesus" (Christ est Seigneur). Deux ans auparavant, un décret signé par le Cardinal Ratzinger avait provoqué beaucoup d’irritation en particulier chez les luthériens.

Müller : Le sens de cette citation de St Paul [Ndtr. Philippiens 2, 11] a été détourné exprès par les porte-paroles de ce mouvement de protestation. Et pourtant, même avec un minimum de connaissance théologique on devrait savoir que la spécificité de l’acte rédempteur du Christ et dans sa Personne constitue la base de tout le christianisme.

Die Welt : Mais le Cardinal Ratzinger parlait dans ce décret des églises réformées seulement comme des « communautés ecclésiales »…

Müller : Lorsque nous définissons l’Église, nous ne parlons pas le même langage des deux côtés. Du côté catholique, on définit l’Église d’abord dans son unité visible. Christ l’a fondée de telle sorte que l’Unité faisait partie de son être même. Du côté protestant on affirme, que d’abord il y a l’Église invisible et que nous sommes invisiblement unis dans la foi au Christ. Or nous ne pouvons pas admettre cette définition si nous confessons la foi catholique.

Die Welt : Mais les chrétiens séparés ne sont-ils pas allés plus loin vers l’unité dans la pratique qu’au niveau théologique ?

Müller : la cause œcuménique sera en danger par manque d’intérêt ou par l’indifférence lorsqu’on n’admettra plus les différences sous prétexte d’une meilleure compréhension. Il ne s’agit plus d’inimitié au niveau de la sensibilité, mais il bien de différences fondamentales en ce qui concerne la foi révélée. Là, les oppositions demeurent encore et on ne pas les effacer purement et simplement comme si nous étions membres d’un parti voulant obtenir un consensus.

Die Welt : Mais au niveau théologique, n’a-t-on pas accompli de réels progrès ?

Müller : Oui, mais malheureusement, au niveau éthique de nouvelles différences surgissent. On entend des déclarations officielles dans le dialogue œcuménique dont on ne voit plus combien elles sont en nette contradiction avec l’Écriture Sainte. Comment la Bible peut-elle servir encore comme norme de vie lorsque, avec les méthodes historiques et critiques tout devient relatif, conformément à l’esprit du temps ? Les principes éthiques ne doivent pas changer avec le temps. L’homme et la femme qui se marient pour donner un foyer aux enfants, cela correspond à la volonté de Dieu Créateur. Et cela n’a rien à voir avec l’esprit du temps.

Die Welt : L’esprit du temps, serait-il toujours négatif ?

Müller : Lorsque, pour suivre l’idéologie du temps, nous essayons de modifier non seulement l’Église mais aussi l’éthique basée sur les lois naturelles, nous commettons de graves erreurs. C’est pourquoi il faut lutter aussi contre l’avortement c’est-à-dire contre le meurtre des êtres humains dans le ventre de leurs mères. Ce n’est pas une spécialité catholique. Mais c’est vrai que la défense des droits de l’homme se trouve entre les meilleures mains dans l’Église catholique.
Les principes fondamentaux de la morale sont inscrits dans le cœur des hommes. La fidélité à cette loi naturelle est le chemin prêché aussi par l’Église catholique pour indiquer un meilleur avenir pour l’humanité. Or la culture de mort n’a pas d’avenir.

Die Welt : Quelles sont les impulsions données par le Concile Vatican II à l’œcuménisme ?

Müller : Depuis le Concile Vatican II, on accorde l’importance due aux communautés chrétiennes qui ne sont pas catholiques. Beaucoup de chrétiens de ces communautés n’y sont pas entrés de leur propre gré, voulant se séparer de l’Église catholique, mais ils sont nés dans cette tradition des églises séparées. Nous ne les considérons donc ni comme hérétiques ni comme schismatiques.

Die Welt : Pouvez-vous nous résumer l’esprit du Concile en un mot ?

Müller: L’esprit du Concile, c’est l’Esprit Saint. C’est le même Esprit Saint qui parlait dans tous les conciles comme dans l’Écriture Sainte d’où sont issus avec la tradition apostolique tous les enseignements de l’Église. Le mauvais esprit par contre a toujours provoqué des séparations.

Die Welt : Mais aucun concile n’a produit autant de textes que Vatican II ?

Müller : La longueur des textes ne contredit pas le Concile. « Le monde entier ne suffirait pas pour contenir les livres qui raconteraient ce qui s’est passé avec Jésus et ce qu’Il a dit » écrit Jean l’évangéliste [Jn 21, 25]. Il s’agit toujours de la tension entre la Parole de Dieu qui a habité parmi nous et les nombreuses paroles que nous, les humains sommes obligés d’employer parce que le mystère de Dieu reste ineffable. Mais si nous parcourons de nouveau les documents comme "Lumen gentium" ou "Dei Verbum", nous verrons qu’ils n’utilisent pas un mot de trop.

Die Welt : Où en est le processus de réconciliation avec la fraternité St Pie X ?

Müller : C’est un processus à la fois simple et difficile. La Congrégation de la Foi a proposé à la Fraternité un préambule. Il ne contient pas autre chose que l’ensemble de la foi catholique avec la mention du Pape qui doit exercer la suprême autorité du magistère. Pour le moment on n’a aucune réponse, mais nous n’allons pas attendre indéfiniment.

Die Welt : Que pensez-vous en tant que théologien de la foi des enfants qu’on dit mal éclairée?

Müller : Il s’agit toujours de la même foi. Ce qui est plus grand complète sans annuler, ce qui est moindre. C’est un des principes de base de la logique.

Die Welt : Le journaliste Heribert Prantl a dit récemment que derrière la conception virginale on pouvait déceler la notion de l’émancipation, c’est-à-dire la naissance de quelque chose de neuf qui ne proviendrait pas du pouvoir patriarcal.

Müller : (rire) C’est bizarre. Il ne s’agit pas ici du patriarcat mais du fait que Dieu devient homme d’une telle façon que cela dépasse tout ce que pourrait produire un couple humain. Voilà pourquoi la Parole de Dieu, Jésus Christ a pris la nature humaine de la Vierge Marie, sans avoir un père géniteur. Il n s’agit pas ici du combat entre les sexes où le bon Dieu serait partie prenant.

Die Welt : Joseph n’était donc pas un vrai père ?

Müller : Non. Et celui qui n’admet pas cela ne professe pas la foi qui est attestée dans les évangiles de Luc et de Matthieu et qui a toujours été enseignée par l’Église. La naissance virginale du Christ a été niée aussi dans d’autres époques parce qu’on ne pouvait pas admettre qu’un enfant naisse d’une femme seule. Mais c’est justement par là que nous touchons du doigt l’action de Dieu. Dieu a voulu naître de la Vierge Marie.

Die Welt : Jésus est-il ressuscité avec son corps ?

Müller : Oui, il est entré dans la gloire de Dieu avec son corps glorifié. Et c’est avec son corps glorifié qu’il va revenir à nouveau.

Die Welt : Le tombeau était-il vide ?

Müller : Oui, le tombeau vide fait partie de l’événement pascal. Avec la Résurrection du Christ a commencé une nouvelle création. C’est le début d’un monde nouveau, d’un ciel nouveau et d’une terre nouvelle.

Die Welt : Le Cardinal Francis George, gravement malade et attristé par la politique d’Obama vis à vis de l’Église, a dit à Chicago que lui mourrait dans son lit, mais son successeur immédiat serait peut-être emprisonné et que son lointain successeur serait menacé de mort. Partagez-vous cette vue pessimiste ?

Müller : Il y a une campagne contre les hommes d’Église aussi bien aux États-Unis qu’en Europe dans certaines domaines où ils sont ouvertement attaqués. On voit dans les blogs l’atmosphère qui en résulte. Et à la télévision aussi on peut voir une telle animosité contre l’Église catholique et le christianisme que cela rappelle les idéologies totalitaires. On sent monter une telle colère qu’on peut penser dès aujourd’hui à une ambiance de progrom.

     

La polémique

(1) L'article de La Croix est en accès payant, mais Google permet d'accéder aux premiers mots:

Le préfet de la Congrégation pour la doctrine de la foi, Mgr Gerhard Ludwig Müller, a provoqué un tollé en Allemagne en dénonçant « une ....

Il est assez facile d'imaginer le ton, en lisant le compte-rendu de l'AFP, reproduit sur Libération.

Le gardien du dogme catholique dénonce «une atmosphère de pogrom» contre l'Eglise
2 février 2013
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Le gardien du dogme catholique romain, l’archevêque allemand Gerhard Ludwig Müller, a provoqué un tollé en Allemagne en dénonçant «une atmosphère de pogrom» à l’encontre de l’Eglise, dans un entretien publié samedi dans le pays.
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Tollé en Allemagne
Ces propos ont suscité de vives réactions parmi certains responsables politiques allemands. «Les comparaisons avec l’Holocauste sont de mauvais goût, lorsqu’il s’agit de divergences de vue sur des questions actuelles de société, comme le rôle du couple, de la famille et de la vie en commun», a répliqué la ministre de la Justice, Sabine Leutheusser-Schnarrenberger, dans un entretien à Die Welt à paraître dimanche.

Le député vert Volker Beck a pour sa part estimé que Mgr Müller «devrait retirer immédiatement l’expression "atmosphère de pogrom" en exprimant des regrets. Comparer les critiques contre l’Eglise avec la persécution des juifs et l’Holocauste est à côté de la plaque», a-t-il martelé dans un communiqué.

«La position de l’Eglise catholique sur beaucoup de sujets, tels que l’avortement, le droit de la famille et des couples ou la morale sexuelle est clivante, car l’Eglise (...) n’est pas ouverte au dialogue, mais veut imposer ses vues sur la politique de la société dans son ensemble», a poursuivi le parlementaire allemand.
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