Une société devenue folle

La fuite en avant à laquelle nous assistons en ce moment, qui se traduit par une révolution des moeurs sans précédent, ne s'expliquerait-elle pas par une façon erronée de poser les problèmes: à l'envers? Les réflexions d'un ami, Philippe M. (7/2/2013)

   

Le monde à l'envers

Philippe M.
6 fvrier 2005

------------------
"Ce qui n'est point utile à l'essaim n'est point utile à l'abeille" (Montesquieu)

Ce matin, en me rasant, je pensais non pas à devenir président de la République (encore que, si j'avais les moyens d'être élu, je ne serais pas forcément le plus mauvais locataire de l'Elysée qu'on puisse trouver) mais à la République, plus simplement. Ainsi qu'à l'Etat, à la Nation, au Peuple, aux mœurs, à la société, à l'homme des temps modernes, à l'intérêt général, aux futures générations, au courage, à la nécessité d'en avoir, à l'honnêteté intellectuelle, à l'amitié, à l'amour, au dévouement, à la prévoyance, à la nécessité d'en avoir aussi, au respect, à nos pères, à leur héritage, à leurs sacrifices, y compris parfois, et même assez souvent, à celui de leurs vies, à leur sagesse, à la valeur de l'exemple, à la transmission entre les générations et à bien d'autres sujets auxquels les gens qui se dispensent de penser ne pensent pas...

- Mais, allez-vous me dire, comment pouvez-vous penser à autant de choses, à moins que vous ayez à raser une barbe de naufragé perdu sur une île déserte depuis des générations?

Évidemment, je n'ai jamais été naufragé, du moins ne suis-je jamais allé sur une île déserte, et, plus sûrement encore, je n'ai jamais eu une barbe à marcher dessus. Cependant, il n'est pas besoin d'avoir eu des expériences à ce point exotiques pour méditer sur tous ces sujets car vous remarquerez que beaucoup d'entre eux sont devenus obsolètes et donc que le fait d'y penser nous convainc aussitôt de n'y plus penser. Ce qui donnerait à penser que les gens qui ne pensent pas ont raison de ne pas penser. Mais à première vue seulement...

À la vérité, je m'interrogeais - c'était, en ce début de journée, ma façon de penser - car je ne me lançais pas, surtout à cette heure encore si matinale, dans une entreprise philanthropique de rationalisation destinée à réformer un monde dont l'imperfection tombait sous le sens vu son ancienneté... Non, ma générosité encore ensommeillée ne trouvait pas de ressources suffisantes dans mes aptitudes intellectuelles - et là je n'accuse plus le sommeil - pour tenter une action transformatrice sur la matière et se mettre ipso motu au service de l'Humanité en même temps que de la marche irrépressible du Progrès.
Je m'interrogeais au contraire sur ce complexe, si fréquent chez les gens sans complexes, qui consiste à vouloir mettre par terre tout ce qui tient debout, sans penser d'ailleurs que, parmi ce qui tient debout, il y a aussi ce qui maintient le reste debout, comme la colonne du temple ou, si l'on a l'âme résolument païenne, les piliers de la Sagesse.

Ainsi, en m'interrogeant, je pensais à la bouteille, non pas que je sois sujet aux addictions, non pas non plus à celle qu'on jette à la mer, puisque je vous ai avoué n'avoir jamais été naufragé, mais à la bouteille qu'on voit à moitié vide ou à moitié pleine. Et j'imaginais que cette bouteille, c'était l'homme. Sur lui aussi, deux façons de porter son regard: soit considérer qu'il peut s'élever, et alors le tirer vers le haut, soit désespérer qu'il puisse s'élever, et alors le traiter avec le mépris qui lui est dû ou qu'on estime lui devoir, et dont une des voies consiste à lui autoriser tout, indistinctement et sans retenue.
Et je me disais que nous vivions une révolution des mœurs telle - vous avez déjà compris que je n'accorde aux révolutions que des mérites tout relatifs - que l'homme, devenu enfin l'enfant gâté que ses parents n'avaient ni n'auraient jamais autorisé qu'il fût, était en train de renverser, dans l'insatisfaction de son quotidien, les interdits qui balisaient son vécu en étant persuadé qu'il conquérait de nouveaux espaces avec l'assurance enthousiaste du pionnier, et qu'il donnait à son avenir des couleurs qui le feraient chanter.
Or, il se trouve que je suis un peu linguiste, et que je crois au pouvoir des mots: ils nous feraient comme des clins d'œil à travers la diversité de leurs acceptions. Et gâté ne veut pas seulement dire comblé, de sorte que l'enfant gâté ne l'est pas forcément de la façon qu'on croit... Tous les apprentis-sorciers, toutes les victimes de la facilité - et elles sont nombreuses - pourront vous le confirmer.

Tandis que les repères collectifs disparaissent, ceux qui font un peuple, qui soudent une Nation, qui donnent réalité à un État, qui font aimer la démocratie et la font préférer aux régimes autoritaires qui deviennent forts quand la solidarité a disparu et que les individus sont livrés à eux-mêmes, nous assistons au triomphe des revendications minoritaires, qu'il s'agisse du mariage, de l'adoption, de la procréation, des addictions.
Dans le même temps, pour ne considérer que le dernier domaine, nous apprenons que tel conducteur automobile, sous influence du cannabis, a provoqué un accident inadmissible qui a coûté une ou plusieurs vies. Mais l'idée est lancée, malgré tout, de provoquer un débat- à l'école- sur la libéralisation de ladite substance, idée heureusement abandonnée ensuite. Les arguments en faveur du débat sont qu'il est important de lutter contre le trafic et la vente illicite du produit en en contrôlant officiellement le débit, et que l'usage contrôlé des drogues prétendument douces empêchera le recours à des substances plus violentes. Mais, s'agissant du premier (et mauvais) argument, a-t-on réfléchi au fait que ce n'est pas parce que la vente des armes de poing est soumise à une législation rigoureuse et possible dans les armureries qu'il est impossible de se procurer de telles armes dans des bars louches, en toute illégalité? S'agissant du second argument (tout aussi mauvais), qu'on aille interroger des pays comme la Hollande, qu'on leur demande si les fameux coffee-shops ont empêché la consommation des substances dures et s'ils ne l'ont même pas amplifiée!...

Je ne veux bien sûr pas mettre au même plan la question du mariage, pour laquelle j'ai trop de respect, de même que j'en ai pour les personnes qui souhaitent adhérer à cette institution sans laquelle les sociétés dégénèreraient et les nations s'effondreraient. Mais il est clair, du moins pour moi, et jusqu'au plus profond de moi- même, que le mariage n'est pas possible ni souhaitable à n'importe quelle condition. Ici encore, et c'est bien la seule mais importante raison qui m'a autorisé un rapprochement que je ne me permettrais pas autrement, je viens de m'en expliquer, il convient de ne pas poser le problème à l'envers!
Dans la mesure où le mariage vise à créer un lieu stable qui permettra la procréation, la création d'une famille et l'éducation des enfants dans le rapport équilibrant avec une mère et un père, le mariage ne doit être reconnu qu'entre une femme et un homme. Il ne s'agit pas, en autorisant le mariage entre deux personnes du même sexe, de vouloir faire plaisir aux adultes concernés mais de penser prioritairement au bien de l'enfant à venir. Et s'il est vrai que des enfants sont élevés dans des milieux homoparentaux, ce fait ne saurait valoir comme une raison en faveur du mariage homosexuel.

En effet, si les cas exceptionnels devaient produire la loi, on ne sait (et ici encore je précise bien qu'en poussant le raisonnement jusqu'à ses limites, je ne confonds pas la situation précédente avec les suivantes) à quelles atrocités il faudrait consentir, dans l'incertitude où l'on serait des limites qu'il faut effectivement poser. Faudrait-il continuer à protéger un mineur des assiduités d'un adulte, et au nom de quels principes, ou ne le faudrait-il plus? Chacun trouvera, je pense, en conscience la réponse à ces questions, de même que chacun se demandera s'il faut tolérer ou interdire la consommation des drogues eu égard aux dangers qu'elles font courir à ceux qui les consomment...et aux autres, sans céder au chant des sirènes selon lequel cette consommation serait plutôt ample.

Maintenir un ordre est du devoir d'un État: il en va de l'avenir d'un modèle social et de la protection de chacun, et d'abord des plus faibles. Ce n'est pas servir le progrès que de se déclarer le champion de réformes qui créeront un affaiblissement de la protection des plus vulnérables, en priorité: c'est même l'inverse. Ce n'est pas être réactionnaire et partisan d'un conservatisme étroit que de s'opposer à des mesures qui aboutiront à des lois dont il y aura, selon toute apparence, plus à se plaindre qu'à se féliciter: c'est même faire preuve d'élémentaire prudence.

Je vais maintenant poser mon rasoir et partir au travail, car il faut bien, à un certain moment , devenir sérieux.