Vu de France (II)

Mgr Antoine de Rochebrune, vicaire de l’Opus Dei pour la France, et le Père Zanotti-Sorkine, sur le site Bd Voltaire. 19/2/2013)

>> Cf. Vu de France (I)

     

Immédiatement après l’annonce de Benoît XVI de se retirer à la fin du mois de février, Boulevard Voltaire a interrogé Monseigneur Antoine de Rochebrune, vicaire de l’Opus Dei pour la France.
http://www.bvoltaire.fr/antoinederochebrune
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- Comment avez-vous réagi personnellement à l’annonce de la démission de Benoit XVI ?

-- Je me suis senti déconcerté et triste à la fois. Déconcerté, car tout en connaissant l’homme libre qu’est Benoît XVI, je ne m’attendais pas du tout à cette décision aujourd’hui… Et triste, car c’est un homme que j’estime beaucoup : il y a entre le Pape et les catholiques un très beau lien de Paternité-filiation. Il est le Saint Père ! Je lui fais entièrement confiance ; c’est un homme d’une grande profondeur. Je suis convaincu que cette décision vient de Dieu.

- N’est-ce pas le signe d’une grande modernité pour un pape qu’on présentait pourtant comme réac, archaïque ?

-- Le précédent à avoir démissionné fut un Pape du XVe siècle : il n’y a donc pas vraiment de comparaison à opérer. Il s’agit d’un acte nouveau et fort : j’y vois le signe très profond d’une logique de service. Le Pape est aussi appelé le « Serviteur des serviteurs de Dieu »… Pour tous ceux qui dirigent, il y a vraiment quelque chose à retenir de ce geste d’une très grande droiture. Nous assistons depuis quelques décennies au phénomène de l’allongement de la durée de la vie ; le vieillissement peut durer très longtemps. J’ajoute que le gouvernement de l’Église est de plus en plus complexe : on constate aujourd’hui une exigence de rapidité qui n’existait pas autrefois. Dans cette décision, Benoît XVI a vu très clairement que l’Église a besoin d’un homme beaucoup plus en forme et en condition pour continuer à la guider dans l’époque si particulière que nous connaissons.

- Que retenez-vous de son pontificat ?

-- On a voulu faire de ce pape un pape de transition. Il l’aura été, sans aucun doute : mais il aura été l’un des plus grands papes de ces cent dernières années. Un homme d’une très haute spiritualité, d’un très grand courage. Le Padre Pio aurait dit de lui qu’il fortifierait un grand nombre de frères dans la foi et je pense que c’est effectivement ce qui s’est passé. L’Histoire le dira.

- Son pontificat a été marqué par les affaires de pédophilie…

-- Il a affronté cette crise avec un très grand courage, en choisissant la transparence, la sévérité, la pénitence et la prévention. Des procédures fortes ont été établies, de telle sorte que les Églises locales peuvent se sentir aujourd’hui plus à même de faire face et éviter ces possibles et intolérables dérives.

- En quoi est-il un théologien hors pair ?

-- Premièrement, par son érudition : sa connaissance des Pères de l’Église, des textes de la Sainte Écriture, de la tradition théologique qui l’a précédé. Ensuite, par sa capacité à dialoguer avec les idées du monde actuel : la rencontre de Munich (en janvier 2004, avant de devenir pape) avec le philosophe Jürgen Habermas sur la dialectique de la sécularisation est à l’image d’un homme qui choisit de montrer que la foi catholique est non seulement raisonnable mais raisonnée. Enfin, par le volume considérable de ses écrits et discours : nous pouvons être très fiers, en France, de ce fameux discours des Bernardins qu’il prononça à l’occasion de son voyage pastoral le 12 septembre 2008.

- Un nouveau pape va être élu. On a déjà des noms ? Ou du moins des idées de son continent d’origine ?

-- Ça c’est une question pour des journalistes d’information religieuse. En tant qu’homme d’Église, mon seul et vrai devoir consiste à prier et faire prier ceux qui le souhaitent pour le successeur du grand Benoît XVI. L’élection est vraiment l’œuvre du Saint Esprit, n’en déplaise à tous ceux qui voient les choses à ras de terre. Et c’est bien pour cela que la meilleure chose que les électeurs du prochain Pape aient à faire, c’est de se protéger de la superficialité, même légitime, des pronostics.

- Et maintenant, que va faire Benoit XVI ? Il va se retirer dans une maison de retraite ?

Son porte-parole a dit qu’il allait se retirer un temps à la résidence d’été de Castelgandolfo, le temps d’avoir un successeur, puis qu’il s’établirait paisiblement dans le couvent situé à l’intérieur du Vatican. Benoît XVI est un homme très fatigué : dans la paix des murs de prières et de recueillement, il continuera, parce qu’il est prêtre, de prolonger le sacerdoce de sa vie en offrande pour le monde entier.

     

Benoît XVI : quel coup de maître du Saint Esprit !
Père Michel-Marie Zanotti-Sorkine
http://www.bvoltaire.fr/peremichelmariezanottisorkine
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Le pape n’est pas parti. Loin de là ! Par son geste inattendu et presque unique, le voici qui arrive enfin dans les esprits et passe à l’Histoire. Quel coup de maître de la part du Saint-Esprit qui le conduit ! Le Souffle divin ne pouvait pas faire mieux que ce coup d’éclat qui n’en a pas l’air pour maintenir ce « Joseph », charpentier de la théologie, comme un trésor dans les consciences. Certes, nous ne verrons plus son visage au sourire mesuré — mais tellement vrai ! Nous allons perdre de vue sa silhouette fragile, inquiète, inadaptée aux dimensions de l’univers dont il eut la charge, nous allons peut-être même (ce serait dommage !) égarer ses livres, oublier ses encycliques, laisser sous la poussière d’une étagère son Jésus de Nazareth, mais lui, cet homme, ce prêtre, ce pape, il va rester en nous, je l’assure, comme un être à part, ce que le chrétien doit être. On a salué, y compris ses ennemis bornés et souvent infamants, sa large intelligence et son érudition — il eût été difficile de penser le contraire — mais ses efforts de chaque jour pour tenir l’Église debout et fidèle à son Christ, sous le feu d’un contexte universel qui l’attendait, non en face mais au tournant, peu d’êtres les ont recueillis et salués. Tant pis pour nous qui avons toujours un pape de retard !

Si, par son dernier geste pontifical, qui n’est pas une bénédiction, mais un au revoir de la main, Joseph Ratzinger révèle la grandeur de son être uniquement harnaché à son Dieu, éloigné de toute gloire mondaine, il y a mieux : sans grand bruit de mots, ce qui est un comble pour celui que l’on maintenait dans le camp des intellectuels et même des professeurs qui, paraît-il, ne comprennent rien au réel, il offre à présent une dernière chance à l’humanité en lui montrant par le simple fait de sa démission qui n’est autre qu’un engagement, la nécessité pour l’homme contemporain, sûr de lui, bavard et faussement autonome, de calmer le jeu. Et, par un saut radical dans l’intériorité, de rejoindre sa Source. Demain, si les heures se couvraient d’ombres — on ne sait jamais ! — il est une chose certaine, c’est que nous ne pourrions pas accuser Benoit XVI de silence !

Cet homme nous a dit la vérité, la seule, la vraie qui, aujourd’hui, au grand jour, transpire de son front : à la fin, c’est l’humilité qui gagne !

En se retirant sur la montagne, avec l’Église non plus sur les épaules, mais dans le cœur, celle-ci n’a rien à craindre, puisque la prière des saints comme celle des humbles est infaillible. Bon travail, très Saint-Père… et mille fois merci !

Père Zanotti-Sorkine, le 13 février 2013