Vie consacrée

L'homélie du Saint-Père, en la fête de la Chandeleur et Journée mondiale de la vie consacrée. "Dans les sociétés de l'efficacité et de la réussite, votre vie marquée de la «minorité» et de la faiblesse des petits, de l'empathie avec ceux qui n'ont pas de voix, devient un signe évangélique de contradiction". Traduction complète. (3/2/2013, mise à jour le 4/2)

Le 2 février, fête de la Présentation de Jésus au temple, est aussi pour l'Eglise la Journée mondiale de la Vie consacrée (XVIIe édition cette année).
En fin d'après-midi, le Saint-Père a présidé une messe dans la Basilique Saint-Pierre.
Voici son homélie (ma traduction):

Chers frères et sœurs!

dans son récit de l'enfance de Jésus, Luc (1) souligne que Marie et Joseph étaient fidèles à la loi du Seigneur. Avec une profonde dévotion, ils accomplissent tout ce qui est prescrit après la naissance d'un garçon premier-né. Il s'agit de deux prescriptions très anciennee pour la mère et l'endant nouveau-né. Pour la femme, il est prescrit de s'abstenir des pratiques rituelles pendant quarante jours, après, après qui elle offre un double sacrifice: un agneau en holocauste, et un pigeon ou une tourterelle pour le péché, mais si la femme est pauvre, peut offrir deux tourterelles ou deux pigeons (cf. Lv 12:1-8). Saint Luc précisent que Marie et Joseph offrirent le sacrifice des pauvres (cf. 2,24), pour montrer que Jésus est né dans une famille de gens simples, humble mais très croyante; une famille appartenant aux pauvres d'Israël, qui forment le vrai peuple de Dieu. Pour le fils premier-né, qui, selon la loi de Moïse est la propriété de Dieu, il était prescrit le rachat, sous la forme de cinq sicles, à payer à un prêtre n'importe où. Ceci est un rappel permanent du fait qu'au moment de l'Exode, Dieu épargna les premiers-nés des Juifs (cf. Ex 13,11 à 16).

Il est important de noter que pour ces deux actes - la purification de la mère et le rachat de l'enfant - il n'était pas nécessaire d'aller au temple. Pourtant, Marie et Joseph veulent tout accomplir à Jérusalem, et saint Luc montre comment toute la scène converge vers le Temple, et ensuite se concentre sur Jésus qui y entre. Et ici, justement à travers les exigences de la loi, l'événement principal devient un autre, c'est-à-dire la «présentation» de Jésus au Temple de Dieu, qui signifie l'acte d'offrir le Fils du Très-Haut au Père qui l'a envoyé (cf Lc 1,32.35).

Ce récit de l'évangéliste trouve un écho dans les paroles du prophète Malachie que nous avons entendus au début de la première lecture (2): «Ainsi parle le Seigneur Dieu: "Voici, j'enverrai mon messager pour préparer le chemin devant moi et tout de suite, entrera dans son temple le Seigneur que vous cherchez, et l'Ange de l'alliance que vous désirez, le voici venir ... Il purifiera les fils de Lévi ... pour qu'ils puissent offrir à l'Eternel une offre selon la justice»(3,1.3). Il est clair qu'ici, on ne parle pas d'un enfant, et pourtant, cette parole est accomplie en Jésus, parce que «tout de suite», grâce à la foi de ses parents, Il a été amené au Temple, et dans l'acte de sa «présentation», ou de son «offrande» personnelle à Dieu le Père, transparaît clairement le thème du sacrifice et du sacerdoce, comme dans ce passage du prophète. L'enfant Jésus, qui est tout de suite présenté au Temple, c'est le même homme qui, une fois adulte, purifiera le Temple (cf. Jn 2,13 à 22; Mc 11,15,19) et au-dessus fera de lui-même le sacrifice et le grand prêtre de la Nouvelle Alliance.

C'est aussi la perspective de la Lettre aux Hébreux, dont un passage a été proclamé dans la deuxième lecture, de sorte que le thème du nouveau sacerdoce est renforcé: un sacerdoce - celui inauguré par Jésus - qui est existentiel: «Justement pour avoir été mis à ll'épreuve et avoir personnellement souffert, il est en mesure de venir en aide à ceux qui subissent l'épreuve»( Hébreux 2:18). Et ainsi nous trouvons aussi le thème de la souffrance, très marqué dans le passage de l'Evangile, là où Siméon prononce sa prophétie sur la Mère et de l'Enfant: «Il est ici pour la chute et la résurrection de beaucoup en Israël, et comme signe de contradiction - et à toi [Marie], une épée te transpercera l'âme »( Luc 2:34-35). Le «salut» que Jésus apporte à son peuple, et qu'il incarne en lui-même, passe par la croix, par la mort violente qu'Il vaincra et transformera avec le sacrifice de la vie par amour. Cette offrande est déjà entièrement annoncée dans le geste de présentation au Temple, un geste certainement motivé par les traditions de l'Ancien Testament, mais intérieurement animé par la plénitude de la foi et de l'amour qui correspond à la plénitude des temps, à la présence de Dieu et de son Saint Esprit en Jésus. L'Esprit, en effet, plane au-dessus de toute la scène de la Présentation de Jésus au Temple, en particulier sur la figure de Siméon, mais aussi d'Anne. C'est l'Esprit «Paraclet», qui apporte la «consolation» d'Israël et anime les pas les cœurs de ceux qui l'attendent. C'est l'Esprit qui suggère les paroles prophétiques de Siméon et d'Anne, paroles de bénédiction, de louange à Dieu, de foi en son Oint, d'action de grâce parce que finalement nos yeux peuvent voir et nos bras serrer «son salut» (cf. 2,30).

«Lumière pour te révéler aux peuples et gloire de ton peuple Israël» (2:32):ainsi Simeon définit le Messie du Seigneur, au terme de son chant de bénédiction. Le thème de la lumière, qui fait écho au premier et au second poème du Serviteur du Seigneur dans Isaïe (cf. Is 42:6; 49,6), a une forte présence dans cette liturgie. En effet, elle s'est ouverte par une procession suggestive, à laquelle ont participé les Supérieurs généraux des Instituts de Vie Consacrée représentés ici, portant des cierges allumés. Ce signe, spécifique à la tradition liturgique de cette fête, est très expressif. Il manifeste la beauté et la valeur de la vie consacrée comme reflet de la lumière du Christ; un signe qui rappelle l'entrée de Marie dans le Temple: la Vierge Marie, la Consacrée par excellence, portait dans ses bras la Lumière même, le Verbe fait chair, venu dissiper les ténèbres de ce monde avec l'amour de Dieu.

Chers frères et sœurs consacrés, vous êtes tous représentés dans ce pèlerinage symbolique, qui , en cette Année de la Foi, exprime encore plus votre réunion à l'Église, pour être confirmés dans la foi et renouveler l'offre de vous-mêmes à Dieu. À chacun de vous et à vos Instituts, j'adresse avec affection mes salutations les plus cordiales et je vous remercie de votre présence. Dans la lumière du Christ, à travers les multiples charismes de vie contemplative et apostolique, vous coopérez à la vie et à la mission de l'Eglise dans le monde. Dans cet esprit de gratitude et de communion, je voudrais vous adressez trois invitations, afin que vous puissiez entrer pleinement dans cette «porte de la foi» qui est toujours ouverte pour nous (cf. Lettre apostolique Porta fidei , 1).

Je vous invite en premier lieu à alimenter une foi qui puisse éclairer votre vocation. Je vous exhorte pour cela à faire mémoire, comme dans un pèlerinage intérieur, du «premier amour» avec lequelle Seigneur Jésus-Christ a réchauffé votre coeur, non pas par nostalgie, mais pour alimenter cette flamme. Et pour cela, il faut rester avec Lui, dans le silence de l'adoration; et ainsi réveiller le désir et la joie d'en partager la vie et les choix, l'obéissance de la foi, la béatitude des pauvres, la radicalité de l'amour. En repartant encore et encore de cette rencontre d'amour, vous quittez tout pour être avec Lui et comme Lui vous mettre au service de Dieu et du prochain (cf. Exhortation apostolique Vie Consacrée , 1).

En second lieu, je vous invite à une foi qui sache reconnaître la sagesse de la faiblesse. Dans les joies et les peines du temps présent, quand la dureté et le poids de la croix se font sentir, ne doutez pas que la kénose du Christ est déjà victoire pascale. Justement dans les limites et dans la faiblesse humaine, nous sommes appelés à vivre la conformation au Christ dans une tension totalisante qui anticipe, dans la mesure possible du temps, la perfection eschatologique (ibid. , 16). Dans les sociétés de l'efficacité et de la réussite, votre vie marquée de la «minorité» et de la faiblesse des petits, de l'empathie avec ceux qui n'ont pas de voix, devient un signe évangélique de contradiction.

Enfin, je vous invite à renouveler la foi qui vous fait être des pèlerins vers l'avenir. De par sa nature, la vie consacrée est un pèlerinage de l'esprit, à la recherche d'un Visage qui parfois se manifeste et parfois se voile, «Faciem tuam, Domine, requiram» (Ps 26,8). Que cela soit le désir constant de votre cœur, le critère fondamental qui guide votre chemin, ans les petites étapes quotidiennes que les décisions les plus importantes. Ne vous joignez pas aux prophètes de malheur qui annoncent la fin ou le non sens de la vie consacrée dans l'Eglise de notre temps; mais plutôt revêtez-vous de Jésus-Christ et endossez les armes de la lumière - comme exhorte saint Paul (cf. Rm 13.11 à 14) - demeurant éveillés et vigilants. Saint Chromace d'Aquilée a écrit: «Puisse le Seigneur éloigner de nous ce péril, afin que jamais nous ne nous laissions accablés par le sommeil de l'infidélité; mais qu'il nous accorde sa grâce et sa miséricorde, pour que nous puissions toujours veiller dans la fidélité à Lui. En effett, notre loyauté peut veiller dans le Christ »( Sermon 32, 4).

Chers frères et sœurs, la joie de la vie consacrée passe nécessairement par la participation à la Croix du Christ. Il en a été ainsi pour Marie. Sa souffrance est celle du cœur qui ne fait qu'un avec le Cœur du Fils de Dieu, transpercé par amour. De cette blessure jaillit la lumière de Dieu, et aussi des souffrance, du sacrifice, du don de soi-même que les consacrés vivent par amour de Dieu et autres irradi la lumière même qui évangélise les gens.
En cette Fête, je vous souhaite tout particulièrement, à vous, consacrés, que votre vie ait toujours le goût de la parrhésie évangélique (3), afin qu'en vous, la Bonnes nouvelle soit vécue, témoignée, annoncée et resplendisse comme Parole de vérité (cf. Lettre apostolique. Porta fidei , 6).
Amen.

Lectures du jour

(1) Évangile de Jésus Christ selon saint Luc 2,22-40.
Quand arriva le jour fixé par la loi de Moïse pour la purification, les parents de Jésus le portèrent à Jérusalem pour le présenter au Seigneur,
selon ce qui est écrit dans la Loi : Tout premier-né de sexe masculin sera consacré au Seigneur.
Ils venaient aussi présenter en offrande le sacrifice prescrit par la loi du Seigneur : un couple de tourterelles ou deux petites colombes.
Or, il y avait à Jérusalem un homme appelé Syméon. C'était un homme juste et religieux, qui attendait la Consolation d'Israël, et l'Esprit Saint était sur lui.
L'Esprit lui avait révélé qu'il ne verrait pas la mort avant d'avoir vu le Messie du Seigneur.
Poussé par l'Esprit, Syméon vint au Temple. Les parents y entraient avec l'enfant Jésus pour accomplir les rites de la Loi qui le concernaient.
Syméon prit l'enfant dans ses bras, et il bénit Dieu en disant :
« Maintenant, ô Maître, tu peux laisser ton serviteur s'en aller dans la paix, selon ta parole.
Car mes yeux ont vu ton salut,
que tu as préparé à la face de tous les peuples :
lumière pour éclairer les nations païennes, et gloire d'Israël ton peuple. »
Le père et la mère de l'enfant s'étonnaient de ce qu'on disait de lui.
Syméon les bénit, puis il dit à Marie sa mère : « Vois, ton fils qui est là provoquera la chute et le relèvement de beaucoup en Israël. Il sera un signe de division.
- Et toi-même, ton cœur sera transpercé par une épée. - Ainsi seront dévoilées les pensées secrètes d'un grand nombre. »
Il y avait là une femme qui était prophète, Anne, fille de Phanuel, de la tribu d'Aser.
Demeurée veuve après sept ans de mariage, elle avait atteint l'âge de quatre-vingt-quatre ans. Elle ne s'éloignait pas du Temple, servant Dieu jour et nuit dans le jeûne et la prière.
S'approchant d'eux à ce moment, elle proclamait les louanges de Dieu et parlait de l'enfant à tous ceux qui attendaient la délivrance de Jérusalem.
Lorsqu'ils eurent accompli tout ce que prescrivait la loi du Seigneur, ils retournèrent en Galilée, dans leur ville de Nazareth.
L'enfant grandissait et se fortifiait, tout rempli de sagesse, et la grâce de Dieu était sur lui.

(2) Livre de Malachie 3,1-4.
Ainsi parle le Seigneur Dieu : Voici que j'envoie mon Messager pour qu'il prépare le chemin devant moi ; et soudain viendra dans son Temple le Seigneur que vous cherchez, le messager de l'Alliance que vous désirez, le voici qui vient, dit le Seigneur de l'univers.
Qui pourra soutenir le jour de sa venue ? Qui pourra rester debout lorsqu'il se montrera ? Car il est pareil au feu du fondeur, pareil à la lessive des blanchisseurs.
Il s'installera pour fondre et purifier. Il purifiera les fils de Lévi, il les affinera comme l'or et l'argent : ainsi pourront-ils, aux yeux du Seigneur, présenter l'offrande en toute justice.
Alors, l'offrande de Juda et de Jérusalem sera bien accueillie du Seigneur, comme il en fut aux jours anciens, dans les années d'autrefois.

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http://levangileauquotidien.org

Mise à jour

(3) Merci à mon ami Yves Daoudal, pour ses précisions toujours très érudites, et bienvenues:
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Pour le mot parrhésie vous renvoyez à un article de wikipedia qui ne définit le mot que dans son aspect de "figure de style", qui ne correspond que de très très loin à ce que dit le pape.
Ci-après le lien vers un texte du regretté P. Spicq: tinyurl.com/bqyb42k
Il utilise la graphie "parrhésie" qui est scientifiquement la bonne transcription du mot grec. Mais je constate que souvent, pour exprimer la parrhésie chrétienne, on écrit "parrêsia", comme dans ce remarquable article protestant: tinyurl.com/c7pqjf3 , ou cette homélie: tinyurl.com/cuf8u48