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Questions sur la françoismania

Réflexion personnelle, et deux articles lus sur Il Sussidiario (15/4/2013)

     

Les plus objectifs parmi les observateurs du Vatican commencent à s'interroger sur la popularité du nouveau Pape.
Elle est indéniable, lors de l'angelus d'hier (14 avril), la foule était très grande, Place Saint-Pierre, et l'enthousiasme palpable. Encore que pour les premiers angélus - comme ce dont il est question ici - de Benoît, il y avait aussi grande affluence, mais à l'époque, l'interprétation la plus courante était qu'il "squattait" (sic!) la popularité de JP II. L'affluence s'est d'ailleurs poursuivie pendant tout le Pontificat (avec des hauts et des bas "saisonniers"), suscitant paraît-il la perplexité des spécialistes : ils ne comprenaient pas pourquoi ce pape intellectuel attirait tant de monde.

Il ne s'agit pas de faire une compétition, et de se livrer à des comptes d'apothicaires. C'est un outil dont le diable se sert à l'évidence pour diviser.
Mais il est intéressant d'étudier les causes de la popularité de François, en admettant qu'elle dépasse celle de Benoît, et que cela se confirme durablement, ce que je n'exclus pas.

Phénomène d'identification
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Sans avoir besoin de convoquer un psy, et indépendamment du harcèlement hostile des médias contre Benoît (ils ne lui ont jamais pardonné de les écraser intellectuellement), voici une interprétation plausible: c'est l'identification.
François est un pape "normal", auquel il est relativement facile de s'identifier, au moins si l'on s'en tient aux apparences. Monsieur tout-le-monde, en somme, devenu le chef spirituel d'un milliard de catholique (selon le mantra des medias), avec une faconde bon-enfant, un contact qui paraît facile, un langage « basique » et des goûts que l’on suppose conformes à l’air du temps (toutes "qualités" qui ne correspendent sans doute pas à sa personnalité profonde).
Avec Benoît, le processus d'identification était beaucoup plus difficile: icône de la quintessence de la civilisation européenne, une culture encyclopédique d'homme de la Renaissance, pianiste virtuose, mélomane raffiné et musicologue d’exception, une bibliographie gigantesque, polyglotte, maîtrisant aussi les langues anciennes, et …. « no sport ». Bref, aucune concession à la médiocrité ambiante. Même son visage d'ange, sa simplicité, sa douceur de pasteur, ne parvenaient pas à combler le fossé que ses immenses qualités humaines et spirituelles creusaient entre lui et la multitude. En fait, son manque de popularité - relatif - dans un certain milieu était le prix à payer pour son génie - sa différence (et c'est pour cela que lors de ses voyages dans les pays lointains, il faisait un triomphe, car c'est sa douceur de pasteur qui était perçue, alors que son génie était moins connu).

Rôle des médias
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Passons au rôle des médias: ils sont très soucieux de proclamer (cf. Tornielli) qu'ils ne sont pour rien dans cet engouement pour François, qu'il s'agit d'un mouvement absolument spontané.
Sans exclure totalement l’intervention du saint-Esprit (dont il y a lieu de se réjouir! mais pour parler familièrement, il a trop souvent bon dos), je soupçonne quand même que les hommes lui ont donné un bon coup de main !
Il y a peut-être une part de spontanéité, pour les raisons que je viens d'évoquer, mais ces raisons n'expliquent pas tout. En réalité, je ne peux comparer la françoismania d’aujourd’hui qu’à l'obamania qui avait déferlé sur l’ensemble de la planète il y a cinq ans, lors de l'élection de Barack Obama. Ce n'est pas un hasard si un néologisme en "mania" a été forgé pour réunir les deux phénomènes. Déjà à l'époque, aucun fait objectif ne pouvait justifier l’engouement de l'opinion publique pour un homme qu'au fond, l'on ne connaissait qu'à travers... la couleur de sa peau, et certaines légendes ayant peu de rapport avec les réalités, crées et entretenues de toutes pièces par les médias unanimes. Depuis, même s'il a été entre-temps réélu "par défaut", il a déçu même ses plus chauds partisans, confirmé les pires craintes de ses détracteurs, et on ne parle plus de lui. L'argument ethnique a d'ailleurs totalement disparu - et c'est une bonne chose.
Sic transit gloria mundi.

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Pour le moment, François n'a pas fait grand chose (en un si court laps de temps, on ne saurait le lui reprocher): il a prononcé des catéchèses et des homélies qui sur le fond ne différent en rien de celles de Benoît XVI, et qui confirment la parfaite orthodoxie de sa doctrine (1); il n'a pas vraiment abordé les sujets de société qui fâchent; il a pris la décision de s'entourer par un Conseil de huit "sages" issus des cinq continents... qui rendra ses premières conclusions en octobre. En somme, aucune hâte, ce qui est plutôt rassurant.

Alors, vivement que l'on passe aux choses sérieuses. Si j'en crois les honnêtes gens qui ne cèdent pas à la françoismania, comme les auteurs des deux articles que je traduis ci-dessous, ce n'est qu'alors que les choses deviendront claires, et que l'on saura si l'engouement persiste.

Et n'oublions pas que s'il y avait une foule pour acclamer Jésus à l'entrée à Jérusalem, il ne restait plus grand monde au pied de la Croix.

     

L'héritage de Benoît derrière l'effet Bergoglio
Cristina Caricato
Il Sussidiario, 11 avril 2013
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Effet Bergoglio. Le Dalaï Lama communique au monde que le Pape François est très intelligent, et qu'il voudrait le rencontrer. Le San Lorenzo de Almagro, club de football de Buenos Aires, se présente Place Saint-Pierre avec tous les joueurs, pour saluer le supporter le plus important, le Pontife, et en échange, il obtient une bénédiction pour grimper au classement du championnat. Des journalistes diligents nous informent qu'un des enfants passés acrobatiquement par les hommes de la gendarmerie vaticane pour recevoir le baiser papal a laissé tomber sa sucette, et que François, incoyable! lui a remis dans la bouche, stoppant d'un geste inattendu et audacieux les pleurs dramatiques du petits.
Publiée la photo de Bergoglio dans la chapelle de Sainte Marthe, tandis qu'assis, à vrai dire un peu troublé, il prie avec les employés pontificaux, avec son habit blanc qui tranche à côté des bancs remplis d'employés en complet bleu. Légende: la place du Pape. Et encore "Il a salué en espagnol!!!!", où les points d'exclamation devraient souligner le miracle sans précédent d'un pontife latino-américain parlant dans sa langue maternelle.
Mais sommes-nous devenus fous? Oui. François provoque du délire. Bientôt, il y aura les avertissements à côté des photos et des vidéos de lui: "Attention, cela peut nuire gravement à votre équilibre laïciste". "Déconseillé en particulier aux agnostiques et aux non-croyants..". Oui, en somme, cela peut faire sourire, mais il est indubitable que l'avalanche de sympathie argentine a rempli les confessionnaux et les églises.

L'insistance sur le Dieu Miséricordieux a-t-il remué quelque cœur attiédi, voire congelé, l'attraction pour la posture franciscaine et la simplicité oratoire a-t-elle remis quelque âme en mouvement, et puis on le sait, le nouveau est toujours fascinant (ndt: cela dépend!!!Du temps de Benboît, c'était plutôt l'ancien!).
Mais voulons-nous nous souvenir qu'il s'agit d'un Pape? Et qu'en même temps qu'un magistère des gestes, il en existe un de la parole? Je ne voudrais pas que, frappés par des images du gros visage souriant et du pouce levé, on prenne par-dessus la jambe ce que dit ce saint homme.

Prenons la dernière catéchèse: les enfants, semble-t-il avoir dit aux 60 milles personnes présentes Place Saint-Pierre, "je voudrais réfléchir avec vous sur la portée salvifique de la Résurrection de Jésus". Et avec une logique élémentaire et irréfutable, dont je parie qu'elle aurait provoqué un sérieux trouble au Dalaï lama, il a expliqué que "notre foi se fonde sur la mort et la résurrection du Christ, exactement comme une maison s'appuie sur les fondations: si elles cèdent, toute la maison s'écroule". Et aussi: "sur la Croix, Jésus s'est offert lui-même, prenant sur lui nos péchés et descendant dans les abîmes de la mort", sa Résurrection "ouvre la route pour renaître à une nouvelle vie".
Et ce n'est pas fini. Avec l'Apôtre Pierre, il affirme que "ce qui est absolument nouveau", c'est la libération de l'esclavage du péché, et le fait que nous devenions enfants de Dieu nous autorise à l'appeler Abbà, Père. Abbà, qui signifie "papa". Traduction expresse du polyglotte (ndt : humour ?) François. "Ainsi est notre Dieu. Il est un père pour nous". Et Dieu nous traite en enfants, il nous comprend, nous pardonne, nous embrasse, nous aime, même quand nous sommes dans l'erreur.
Déjà dans l'Ancien testament, poursuit Papa Bergoglio, le prophète Isaïe affirmait que si même une mère pouvait oublier son enfant, Dieu n'oublie jamais l'homme, à aucun moment.
Conclusion géniale (ndt : humour ?): "Et c'est beau!".
Je suis sûre que les conséquences du raisonnement de François pourraient envoyer en crise plus d'un des théoriciens enthousiastes de la révolution ecclésiale opérée avec l'élection de l'argentin.
Ne nous laissons pas piéger, ce Pape n'est pas moins exigeant que le précédent, il parle de miséricorde, mais il sait qu'il y a besoin de la liberté humaine pour l'accueillir. Et il ne consent pas de rabais. "Nous pouvons vivre en fils! Et cela est notre dignité, nous avons la dignité de fils. Comportons-nous en véritables fils!" a-t-il crié ce matin avec son souffle assourdi.
Cela veut dire que chaque jour nous devons laisser le Christ nous transformer et nous rendre semblables à Lui, cela veut dire que nous devons tenter de vivre en tant que chrétiens, le suivre, même si nous voyons nos limites et nos faiblesses, en surmontant la tentation de le mettre de côté comme quelque chose de dépassé. Et puis le coup de génie: Etre chrétien « ne se réduit pas à suivre les commandements, mais cela signifie être dans le Christ, penser comme lui, agir comme lui, aimer comme Lui, le laisser prendre possession de notre vie et la modifier, la transformer, la libérer de l'obscurité du mal et du péché » . Sommes-nous prêts à le faire? A élever les yeux d'un « monde éteint» pour les tourner vers Dieu? Si oui, alors, pouce levé (allusion au geste du Pape)..

     

Quand le diable nous fait nous diviser entre les papes bons, et les papes mauvais ;
Giuseppe Zola
Il Sussidiario, 14 avril 2013

[L'article suivant, sur le même journal, rebondit sur la réflexion de Cristiana Caricato].

En fait, je ne voudrais pas que le diable (dont François parle souvent), y mette la queue, opérant, par le truchement de commentateurs superficiels et intéressés, une sorte de division entre le pape François et ses gigantesques prédécesseurs que par ailleurs il continue à citer .

Il y a un soulignement de certains aspects très humains et "sympathiques" de François, qui tendent à faire dire «enfin», ou «il était temps», oubliant que le terrain sur lequel travaille maintenant avec un enthousiasme contagieux le pape actuel a été préparé par un série de saints papes et à la stature historique impressionnante. Paul VI a fait traverser au vaisseau du Christ une période historique particulièrement tourmentée, avec sa sensibilité forte et dramatique. Jean-Paul II a donné à l'Eglise un élan missionnaire extraordinaire, ramenant au centre de l'annonce la personne du Christ. Benoît XVI, avec son intelligence extrêmement lucide et sa culture, a donné quelques réponses décisives aux problèmatiques les plus actuelles de tendances culturelles contemporaines.

Le Christ, avant de mourir, a prié pour l'unité des chrétiens, une unité qui peut être mise en danger non seulement lorsque l'on tente de diviser la communauté chrétienne, mais aussi lorsque l'on essaie de diviser l'Église dans le temps, partageant son histoire millénaire en Papes bons et mauvais, en fonction des tendances équivoques des ennemis de l'Eglise et non pas selon un critère objectif fondé sur une vision de la foi. En somme, moi aussi, « je ne voudrais pas que l'on prenne par-dessus la jambe ce que ce saint homme a à nous dire ».

     

Note

(1) Catéchèses: un exemple parmi d'autres.
Lors de sa dernière catéchèse, François disait:

C’est précisément l’Esprit que nous avons reçu dans le baptême qui nous enseigne, nous pousse, à dire à Dieu : « Père », ou mieux, « Abba ! », ce qui signifie « papa ». Tel est notre Dieu : c’est un papa pour nous.

Le 1er février 2012, dans sa catéchèse sur la prière de Jésus au jardin des oliviers, Benoît XVI disait:

Jésus poursuit sa prière : « Abba... Père, tout est possible pour toi. Eloigne de moi cette coupe. Cependant, non pas ce que je veux, mais ce que tu veux ! » (Mc 14, 36). Dans cette invocation il y a trois passages révélateurs. Au début, nous avons le redoublement du terme avec lequel Jésus s’adresse à Dieu : « Abba ! Père ! » (Mc 14, 36a). Nous savons que le mot araméen Abba est celui qui était utilisé par l’enfant pour s’adresser à son papa (ndlr: le Pape a bien dit "papà", traduit par "père" sur le site du Vatican) et exprime ainsi la relation de Jésus avec Dieu le Père, une relation de tendresse, d’affection, de confiance, d’abandon....

C'est l'utilisation du mot "papa" par François qui, selon certains, est un témoignage de sa proximité avec les gens!