Accueil | D'un Pape à l'autre | Retour au Vatican | Collages de Gloria | The hidden agenda | Lumen Fidei | Lampedusa | Benoît et les jeunes

François écrit à David Cameron

avant le sommet du G8 (dont la Grande-Bretagne assure la présidence) qui se tiendra les 17 et 18 juin à Lough Erne, en Irlande du Nord. Ma traduction. L'oubli de Radio Vatican. Et une lettre analogue de Benoît XVI en juillet 2009, à Silvio Berlusconi (17/6/2013)

     

Il n'y a pas de signe de rupture avec Benoît XVI, et la lettre de François s'appuie sur l'encyclique sociale de Benoît XVI (François se réfère explicitement à son prédécesseur).
Curieusement, le compte-rendu de Radio Vatican (ici) oublie une phrase fondamentale:

L'objectif de l'économie et de la politique est de servir l'humanité, à commencer par les plus pauvres et les plus vulnérables, où qu'ils soient, même dans le ventre de leurs mères.

Texte original en anglais: http://attualita.vatican.va

     

Premier Ministre,

Je suis heureux de répondre à votre aimable lettre du 5 Juin 2013, par laquelle vous avez bien voulu me communiquer l'ordre du jour de votre gouvernement pour la présidence britannique du G8 au cours de l'année 2013 et du prochain Sommet, qui se tiendra à Lough Erne les 17 et 18 Juin 2013, intitulé "Une rencontre du G8 qui remonte aux premiers principes".

Si ce sujet doit atteindre la plus large et la plus profond résonance, il est nécessaire de veiller à ce que toutes les activités politiques et économiques, qu'elles soient nationales ou internationales, fassent référence à l'homme. En effet, de telles activités doivent, d'une part, permettre l'expression maximum de liberté et de créativité, à la fois individuelle et collective, et d'autre part, elles doivent promouvoir et garantir leur exercice responsable dans la solidarité, avec une attention particulière aux plus pauvres.

Les priorités que la présidence britannique a énoncées pour le Sommet de Lough Erne regardent en priorité le libre échange international, la fiscalité et la transparence de la part des gouvernements et des acteurs économiques. Pourtant, la référence fondamentale à l'homme n'est pas absente, en particulier dans la proposition d'une action concertée par le Groupe afin d'éliminer définitivement le fléau de la faim et d'assurer la sécurité alimentaire. De même, un signe supplémentaire de l'attention à la personne humaine est l'inclusion comme l'un des thèmes centraux de l'agenda, de la protection des femmes et des enfants contre la violence sexuelle dans les situations de conflit, même s'il ne faut pas oublier que le contexte indispensable pour le développement de toutes les actions politiques mentionnés ci-dessus est celui de la paix internationale. Malheureusement, la préoccupation pour les crises internationales graves est un thème récurrent dans les délibérations du G8, et cette année, il ne manquera pas de répondre à la situation au Moyen-Orient, notamment en Syrie .. À cet égard, j'espère sincèrement que le Sommet permettra d'obtenir un cessez-le-feu immédiat et durable et d'amener toutes les parties en conflit à la table des négociations. La paix exige une renonciation clairvoyante de certaines réclamations, afin de construire ensemble une paix plus juste et équitable. Par ailleurs, la paix est une condition préalable essentielle pour la protection des femmes, des enfants et d'autres victimes innocentes, et pour faire un pas vers l'éradication de la faim, en particulier parmi les victimes de la guerre.

Les actions inscrites à l'ordre du jour de la présidence britannique du G8, qui entendent miser sur la légalité comme fil conducteur du développement - ainsi que les obligations qui en découlent pour faire face à l'évasion fiscale et assurer la transparence et la responsabilité de la part des gouvernements - sont des mesures qui indiquent les racines éthiques profondes de ces problèmes, car, comme mon prédécesseur, Benoît XVI l'a précisé, la crise mondiale actuelle montre que l'éthique n'est pas quelque chose d'extérieur à l'économie, mais est un élément essentiel et incontournable de la pensée et de l'action économique .

Les mesures à long terme qui visent à assurer un cadre juridique adéquat pour toutes les actions économiques, ainsi que les mesures urgentes associées pour résoudre la crise économique mondiale, doivent être guidés par l'éthique de la vérité, qui inclut, d'abord et avant tout, le respect de la vérité de l'homme, qui n'est pas seulement un facteur économique supplémentaire, ou un bien dont on peut disposer, mais est équipé d'une nature et d'une dignité qui ne peuvent être réduit à du simple calcul économique. Par conséquent, la préoccupation pour le bien-être fondamental, matériel et spirituel, de chaque personne humaine est le point de départ de toute solution politique et économique et la mesure ultime de son efficacité et de sa validité éthique.

Par ailleurs, l'objectif de l'économie et de la politique est de servir l'humanité, à commencer par les plus pauvres et les plus vulnérables, où qu'ils soient, même dans le ventre de leurs mères. Chaque théorie économique ou politique, chaque action, doit être à même de fournir à chaque habitant de la planète le minimum pour vivre dans la dignité et la liberté, avec la possibilité de soutenir une famille, d'éduquer les enfants, prier Dieu et développer son propre potentiel humain. C'est la chose principale, en l'absence d'une telle vision, l'activité économique n'a pas de sens.

En ce sens, les différents graves défis économiques et politiques auxquels est confronté le monde d'aujourd'hui exigent un changement d'attitude courageux qui redonne à la fin (la personne humaine) et aux moyens (économiques et politiques) leur place. L'argent et d'autres moyens politiques et économiques doivent servir, et non régler, en gardant à l'esprit que, d'une manière apparemment paradoxale, la solidarité gratuite et désintéressé est la clé pour le bon fonctionnement de l'économie mondiale.

Je voulais partager ces réflexions avec vous, Monsieur le Premier ministre, en vue de mettre en évidence ce qui est implicite dans tous les choix politiques, mais peut parfois être oublié: l'importance primordiale de mettre l'humanité, chaque homme et femme, au centre de tout activité politique et économique, à la fois nationale et internationale, parce que l'homme est la ressource la plus vraie et la plus profonde de la politique et de l'économie, ainsi que leur fin ultime.

Monsieur le Premier ministre, en espérant que ces pensées ont apporté une contribution spirituelle utile à vos délibérations, je tiens à exprimer mon sincère espoir d'une issue fructueuse à votre travail et j'invoque d'abondantes bénédictions sur le Sommet de Lough Erne et sur tous les participants, ainsi que sur les activités de la présidence britannique du G8 au cours de l'année 2013, et je saisis cette occasion pour réitérer mes voeux et exprimer mes sentiments d'estime.

     

Rappel

Du 8 au 10 juillet 2009, le G8 se tenait à l'Aquila, dans des circonstances particulières, sous la présidence de l'Italie, et Benoît XVI avait écrit une lettre à Silvio Berlusconi, anticipant son encyclique qui devait être publiée le 7 juillet suivant, et que j'avais traduite (http://benoit-et-moi.fr/2009-II/), et que je reproduis ici:

Honorable Monsieur le Président,

En vue du prochain G8 des Chefs d'État et de Gouvernement du Groupe des Pays les plus industrialisés, qui se déroulera à l'Aquila du 8 au 10 Juillet sous la Présidence italienne, il m'est agréable de vous adresser un salut cordial à vous et à tous les participants.
Je saisis volontiers l'occasion pour offrir une contribution à la réflexion sur les thématiques de la rencontre, comme j'ai déjà eu l'occasion de le faire dans le passé. J'ai été informé par mes collaborateurs de l'engagement avec lequel le Gouvernement, que vous avez l'honneur de présider, se prépare à cet important rendez-vous, et je sais quelle attention vous réservez aux réflexions, que, sur les thématiques du Sommet imminent, le Saint Siège, l'Église Catholique en Italie et le monde catholique en général ont formulé, ainsi que les Représentants d'autres religions.

La participation de Chefs d'État ou de Gouvernement, non seulement du G8 mais de beaucoup d'autres Nations, fera en sorte que les décisions à adopter, pour trouver des solutions partageables sur les principaux problèmes qui pèsent sur l'économie, la paix et la sécurité internationale, puissent refléter plus fidèlement les points que vue et les attentes des populations de tous les Continents. Cette participation élargie aux discussions du Sommet prochain apparaît par conséquent plus que jamais opportune, en tenant compte des multiples problématiques du monde actuel, hautement interconnecté et interdépendant.

Je me réfère, en particulier, aux défis de la crise économico financière en cours, ainsi qu'aux données préoccupantes du phénomène des changements climatiques, qui ne peuvent que pousser à un sage discernement et à de nouveaux projets (nuove progettualità) pour « convertir » le modèle de développement global » (cf Angelus du 12 novembre 2006), le rendant capable de promouvoir, de manière efficace, le développement humain intégral, inspiré aux valeurs de la solidarité humaine et de la charité dans la vérité.

Quelques-unes de ces thématiques sont abordées aussi dans ma troisième Encyclique Caritas in veritate, qui sera présentée à la presse dans les jours qui suivent.

En préparation au Grand Jubilée de l'an 2000, sur l'impulsion de Jean Paul II, le Saint Siège a prêté une grande attention aux travaux du G8. Mon vénéré Prédécesseur était en effet persuadé que la libération des Pays les plus pauvres du fardeau de la dette et, plus généralement, le déracinement des causes de la pauvreté extrême dans le monde, dépendaient du plein engagement des responsabilités solidaires vis-à-vis de toute l'humanité qu'ont les Gouvernements et les États économiquement les plus avancés. Des responsabilités qui ne se sont pas amenuisées, mais qui au contraire sont devenues aujourd'hui encore plus pressantes. Dans le passé récent, en partie grâce à l'impulsion que le Grand Jubilée de 2000 a donné à la recherche de solutions adaptées aux problématiques relatives à la dette et à la vulnérabilité économique de l'Afrique et d'autres Pays pauvres, en partie grâce aux considérables changements dans le scénario économique et politique mondial, la majorité des Pays les moins développés a pu jouir d'une période d'extraordinaire croissance, qui a permis à beaucoup d'eux d'espérer l'obtention de l'objectif fixé par la Communauté internationale au seuil du troisième millénaire, c'est-à-dire celui de vaincre la pauvreté extrême en 2015. Malheureusement, la crise financière et économique, qui investit la Planète tout entière dès le début de 2008, a changé le panorama, de sorte que non seulement le risque que s'éteignent les espoirs de sortir de la pauvreté extrême s'est éteint, mais qu'au contraire des populations jusqu'à présent bénéficiaires d'un minimum de bien-être matériel tombent aussi dans la misère.

En outre, la crise économique mondiale actuelle comporte la menace de l'effacement ou de la réduction drastique des plans d'aide internationale, spécialement en faveur de l'Afrique et des autres Pays économiquement moins développés. Et par conséquent, avec la même force avec laquelle Jean Paul II demanda la rémission de la dette étrangère, je voudrais aussi faire appel aux Pays membres du G8, aux autres États représentés et aux Gouvernements du monde entier, afin que l'aide au développement, surtout celui destiné « à valoriser » la « ressource humaine », soit maintenu et augmenté, non seulement malgré la crise, mais justement parce que c'est une des principales voies de solution.

N'est-ce pas en effet en investissant sur l'homme - sur tous les hommes et les femmes de la Terre - qu'on pourra réussir à éloigner de manière efficace les perspectives préoccupantes de récession mondiale ? N'est-ce pas en vérité la route pour obtenir, autant que possible, une marche de l'économie mondiale au bénéfice des habitants de chaque Pays, riche et pauvre, grand et petit ?

Le thème de l'accès à l'éducation est intimement lié à l'efficacité de la coopération internationale. S'il est vrai qu'il faut « investir » sur les hommes, l'objectif de l'éducation de base pour tous, sans exclusions, en 2015, non seulement doit être maintenu, mais même généreusement renforcé.

L'éducation est la condition indispensable pour le fonctionnement de la démocratie, pour la lutte contre la corruption, pour l'exercice des droits politiques, économiques et sociaux et pour la reprise effective de tous les États, pauvres et riches. Et en appliquant correctement le principe de subsidiarité, le soutien au développement ne peut pas ignorer l'action éducatrice diffuse qu'accomplissent l'Église catholique et d'autres confessions religieuses dans les régions les plus pauvres et abandonnées du Globe.

Aux illustres participants à la rencontre du G8, il me tient aussi à coeur de rappeler que la mesure de l'efficacité technique des mesures à adopter pour sortir de la crise coïncide avec la mesure de leur valeur éthique. Il faut garder à l'esprit les exigences humaines et familiales concrètes : je me réfère, par exemple, à la création effective de postes de travail pour tous, qui permettent aux travailleurs de pourvoir dignement aux besoins de leur famille, et d'assumer la responsabilité primordiale qu'ils ont dans l'éducation de leurs enfants et d'être protagonistes dans les communautés dont ils font partie.

« Une société dans laquelle ce droit est systématiquement nié, - écrivit Jean Paul II - dans laquelle les mesures de politique économique ne permettent pas aux travailleurs d'atteindre des niveaux d'emploi satisfaisants, ne peut atteindre ni sa légitimité éthique ni la paix sociale » (Centesimus annus, 43 ; cf. Id., Laborem excercens, 18).
Et c'est justement dans ce but que s'impose l'urgence d'un système commercial international équitable, portant à leur réalisation - et si nécessaire allan mêmet au-delà - les décisions prises à Doha en 2001, en faveur du développement.
Je souhaite que chaque énergie créatrice soit employée pour assumer les engagements pris au Sommet de l'ONU du Millénaire concernant l'élimination de l'extrême pauvreté en 2015.
Il est juste de réformer l'architecture financière internationale pour assurer la coordination efficace des politiques nationales, évitant la spéculation de crédit et garantissant une large disponibilité internationale du crédit public et privé au service de la production et du travail, spécialement dans les Pays et dans les régions les plus défavorisés.

La légitimation éthique des engagements politiques du G8 exigera naturellement qu'ils soient confrontés avec la pensée et les nécessités de toute la Communauté Internationale. À cette fin, il apparaît important de renforcer le multilatéralisme, non seulement pour les questions économiques, mais pour la totalité des thématiques concernant la paix, la sécurité mondiale, le désarmement, la santé, la sauvegarde de l'environnement et des ressources naturelles pour les générations présentes et futures. L'élargissement du G8 à d'autres régions constitue sans aucun doute un important et significatif progrès ; toutefois, lors de la négociation et des décisions concrètes et opérationnelles, il faut garder en considération attentive toutes les instances, non seulement des Pays les plus importants ou avec un passé économique plus marqué.

Cela seul peut en effet rendre de telles décisions réellement applicables et soutenables dans le temps.
Qu'on écoute par conséquent la voix de l'Afrique et des Pays les moins développés économiquement ! Que l'on recherche des modalités efficaces pour relier les décisions des divers regroupements des Pays, y compris le G8, à l'Assemblée des Nations Unies, où chaque Nation, quel que soit son poids politique et économique, peut légitimement s'exprimer dans une situation d'égalité avec les autres.

Je voudrais enfin ajouter combien est significatif le choix du Gouvernement Italien de recevoir le G8 dans la ville de l'Aquila, choix approuvé et partagé par les autres États membres et invités. Nous avons tous été témoins de la généreuse solidarité du Peuple italien et d'autres Nations, d'Organismes nationaux et internationaux envers les populations des Abruzzes frappées par le séisme. Cette mobilisation solidaire pourrait constituer une invitation pour les membres du G8 et pour les Gouvernements et les Peuples du monde à affronter unis les actuels défis qui se posent impérativement à l'humanité face à des choix décisifs pour le destin même de l'homme, intimement associé avec celui de la création.

Honorable Monsieur le Président, pendant que j'implore l'assistance de Dieu sur tous les présents au prochain G8 de l'Aquila et sur les initiatives multilatérales entendues pour résoudre la crise economico-financière et garantir un avenir de paix et de prospérité pour tous les hommes et les femmes sans aucune exclusion, je saisis volontiers l'occasion pour vous renouveler mon estime et, en vous assurant de ma prière, je vous porte mon salut déférant et cordial.

Du Vatican, 1er Juillet 2009

BENEDICTUS PP. XVI