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Le style du Pape François

Il peut déconcerter, surtout ceux qui aimeraient qu'il soit plus explicite sur le thème des valeurs non négociables. (18/6/2013)

>>> Qui est vraiment le pape François?
>>> Abroger les lois

     

Difficile, évidemment, pour les catholiques d'émettre des réserves sur le Pape (encore que sous Benoît XVI, c'était non seulement acceptable, mais recommandé). Les ennemis de l'Eglise sont déjà suffisamment nombreux à l'extérieur que ce n'est pas la peine de faire de la surenchère. Peut-être est-ce la raison pour laquelle beaucoup de commentateurs, parmi les plus estimables, pratiquent en ce moment la méthode Coué, et après s'être livrés à des exégèses acrobatiques des propos du Saint-Père, en arrivent avec soulagement à la conclusion: vous voyez bien que ce qu'il dit est très clair!

Eh bien... c'est surtout ce qu'il ne dit pas qui est très clair. Il y a des mots qui ne veulent pas franchir ses lèvres, et ce n'est absolument pas un hasard, c'est même profondément médité..
Il y a eu le discours (déjà oublié) aux parlementaires français (François aux parlementaires français), et un député socialiste, rapporteur de la loi Taubira, a très bien compris que François ne déclarait pas la guerre au "monde" en général, et au gouvernement Hollande en particulier.
Et dimanche dernier, lors de la messe Evangelium Vitae, qui commémorait l'encyclique en 1995 «sur la valeur et l'inviolabilité de la vie humaine», il n'a pas cité une seule fois ce grand texte de JP II. On peut juste rêver à l'homélie que Benoît XVI nous aurait offerte à cette occasion.

Voici deux articles de la presse italienne qui prennent acte de cette nouveauté de style. Le second est de Luigi Accattoli, dont on peut tout dire sauf qu'il n'est pas, depuis près de 40 ans, un spécialiste de la Papauté.
J'ajoute, en lien, un intéressant article de JM Guénois, dans le Figaro, qui ose rompre le consensus et se pose lui aussi des questions.

     

Un édito dans "Il Foglio"

L'Évangile de la vie de Bergoglio est un nouveau langage qui déconcerte un peu
Matteo Matzuzzi
Il Foglio (ma traduction)
18 juin 2013

Après les grandes catéchèses, samedi matin, des cardinaux Camillo Ruini et Raymond Burke et après la veillée de la soirée sur le parvis de Saint-Pierre, l'attente était fixée sur l'homélie du pape François le lendemain , lors de la messe dominicale devant les mouvements pro-vie venus du monde entier. C'était le moment culminant de la journée d'Evangelium Vitae, l'événement de l'Année de la Foi promu «pour témoigner de la valeur sacrée de la vie». Pour la première fois depuis son élection, Bergoglio célébrait une messe dédiée à l'une des grandes questions éthiquement sensibles, la défense de la vie depuis sa conception jusqu'à sa fin naturelle. Samedi à l'église San Giovanni dei Fiorentini, le cardinal Ruini dénonçait «le comportement de nombreux hommes politiques qui se déclarent catholiques, mais sont en faveur d'une législation impliquant l'avortement et l'euthanasie». On doit aussi stigmatiser, ajoutait l'ex-président de la CEI, «le comportement de ces électeurs qui se comportent presque indifféremment dans leurs choix». Il a parlé de «sentiment insuffisant d'appartenance à l'Eglise», fruit d'une «laïcité mal comprise».

Mais le pape, le lendemain, il a préféré ne pas entrer dans les principes non négociables.
« Regardons Dieu comme le Dieu de la vie, regardons sa loi, le message de l’Évangile comme une voie de liberté et de vie. Le Dieu vivant nous rend libres ! Disons oui à l’amour et non à l’égoïsme, disons oui à la vie et non à la mort, disons oui à la liberté et non à l’esclavage de tant d’idoles de notre temps», a dit le Pontife dans son homélie lue de l'ambon improvisé devant le siège papal sur la Place Saint-Pierre.
Il n'a jamais prononcé les mots «avortement» et «euthanasie», il n'a jamais mentionné ni rappelé (si ce n'est une seule fois au début de l'homélie) des passages d'Evangelium Vitae, l'encyclique promulguée par Jean Paul II en 1995, à laquelle étaient consacrés deux jours d'événements et de célébrations.

Bien sûr, l'exhortation à dire oui à la vie et non à la mort, «à accueillir et toujours témoigner l'Evangile de la vie» était bien claire (?) et en explicite continuité avec la ligne adoptée et portée par ses prédécesseurs dans la défense du caractère sacré de la vie. Mais aucune intervention directe, aucune allusion aux lois, aucune offre d'un canon moral fait des valeurs non négociables. Un changement de style dont le monde pro-vie devra prendre la mesure.

«Le Pape prend son temps», explique Paola Ricci Sindoni, président de l'Associazione Scienza & Vita: «Je pense qu'il veut se préparer à développer un point de vue plus personnel sur ces grandes questions , plutôt que d'intervenir en restant dans le générique. Malgré tout, on peut déjà saisir une position conforme à la tradition». Et cette attente «ne doit être évaluée ni en positif, ni en négatif. Après tout, l'attention de l'Eglise sur cet évènement avait déjà été largement soulignée. Attendons de futurs mouvements», a dit Ricci Sindoni, concluant que «si ces questions devaient devenir coactives (i.e. ayant un pouvoir de contrainte)», alors une intervention du pape serait souhaitable.

Selon Carlo Casini, président du Mouvement pour la Vie et du comité organisateur de la campagne «Uno di noi» - une initiative qui vise à recueillir un million d'adhésion en Europe pour demander d'arrêter la manipulation et la suppression d'embryons humains - «tôt ou tard, viendra le moment où François parlera directement sur ces questions. Actuellement, j'ai l'impression qu'il ne veut pas parler de la vie, donner sans ménagement un coup de poing dans l'estomac de ceux qui ne pensent pas comme lui».

Il y a une différence entre Wojtyla et Bergoglio, ajoute Casini (ndt: et Benoît XVI???): «Jean-Paul II a fait tomber le mur de Berlin, le mur de division entre deux mondes qui ne voulaient pas se comprendre. Et il l'a fait avec l'énergie de la parole, forte et robuste. Je pense au contraire que François tente plutôt d'utiliser le langage de l'infiltration dans les périphéries, dans les cœurs de ceux qui sont loin. Et son mur à abattre est celui qui concerne la condition de la vie humaine. Je pense que finalement, le pardon et la pauvreté seront inévitablement soudés avec la défense de la vie».
Certes, dit Casini, «il est compréhensible que les gens pouvaient attendre un commentaire plus détaillé de la grande encyclique».

     

Luigi Accattoli

Politiques pour la vie, le choix du Pape
Luigi Accattoli
"Corriere della Sera" le 17 Juin 2013
(Source)
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François ne crie pas contre les lois qui violent les «valeurs non négociables»: c'est l'une des nouveautés de sa façon de faire le Pape. Il partage la nécessité des protestations, mais laisse cette tâche aux évêques des différents pays, qui connaissent la spécificité des lois à soumettre à la critique. On en a eu une nouvelle preuve hier, avec ce qu'il a dit sur la place Saint-Pierre lors de la célébration de la Journée d'Evangelium Vitae (L'Évangile de la vie).
«Disons oui à l'amour et non à l'égoïsme, disons oui à la vie et non à la mort, disons oui à la liberté et non à l'esclavage des nombreuses idoles de notre temps»: ainsi a parlé Bergoglio devant une place bondée comme toujours.
Le message était très clair, tant et si bien que des agences de presse et des sites Web ont titré «Le Pape dit non à l'avortement et à l'euthanasie». Il est vrai qu'il a voulu dire ce non, mais il n'a nommé ni l'euthanasie ni l'avortement.
«Souvent, l'homme - a-t-il poursuivi - ne choisit pas la vie, n'embrasse pas l'Evangile de la vie, mais est guidé par des idéologies et des logiques qui mettent des obstacles à la vie, qui ne la respectent pas, parce qu'elles sont dictées par l'égoïsme, l'intérêt, le profit, le pouvoir, le plaisir et non l'amour». Il a donc déroulé toute l'argumentation de la pédagogie catholique sur le sujet sans entrer dans le domaine législatif.

La même chose s'était passée le 12 mai, à nouveau sur la Place Saint-Pierre, saluant les participants à la «Marche pour la vie» qui avait eu lieu le matin dans les rues de Rome. Il y avait eu de la déception chez certains des marcheurs, qui auraient voulu une parole plus directe sur la question des lois, comme le faisaient en général Wojtyla et Ratzinger.
La déception a été encore plus vive, dans les milieux militants, pour le silence du pape sur la bataille des catholiques français contre le mariage gay: François n'en a a jamais parlé et il ne l'a même pas rappelé en recevant - Samedi - Les députés du «groupe d'amitié France-Saint-Siège »: il a rappelé que parmi les tâches des parlementaires, il y a aussi celle d'«abroger les lois», mais n'a pas dit que les catholiques de France devaient s'employer pour l'abrogation de la loi Taubira.

Il y a litige sur cette attitude du nouveau pape dans les milieux catholiques qui s'occupent de politique. La plupart estiment qu'un jour, il «parlera clair» et citent comme preuve ce qu'il a dit à plusieurs reprises comme archevêque de Buenos Aires. D'autres font le pari qu'il n'interviendra jamais directement sur une question d'intérêt national spécifique.
À l'appui de cette dernière interprétation, on peut citer ce qu'il a fait jusqu'à présent avec les évêques italiens. Recevant pour la première fois le 27 Avril, le cardinal Bagnasco, Président de la CEI, François l'a invité à poursuivre les efforts de notre épiscopat «pour la protection et la promotion des valeurs non négociables». Le cardinal a rendu public le contenu de l'entretien et précisé que le pape avait «partagé les termes du discours d'introduction» qu'il prépare pour l'Assemblée de la CEI.
Dans cette allocution d'ouverture, le président parle de la légitimation des couples homosexuels comme d'un «vulnus (atteinte) progressif à l'identité spécifique de la famille»; mais le pape, rencontrant les évêques le 23 mai suivant, ne dit pas un mot à ce sujet. Un silence qui doit être interprété à la lumière des mots qu'il prononça ce jour-là, parlant à braccio pour introduire la réunion: «Le dialogue avec les institutions culturelles, sociales et politiques , c'est à vous».
Tous ont compris que c'était la fin de la «sentence Bertone», autrement dit la lettre par laquelle le Secrétaire d'Etat saluait la nomination du cardinal Bagnasco comme Président de la CEI en 2007, revendiquant pour la Secrétairerie d'État la compétence sur les questions politiques. C'était une interprétation correcte, mais partielle: la «sentence Bertone» a été annulée, mais François, avec ces mots, a dit bien plus. Il a dit que non seulement la Secrétairerie d'État, mais le pape lui-même ne feront désormais d'interventions concernant notre vie publique, interventions qui sont «à vous».

     

Jean-Marie Guénois

Texte complet ici: www.lefigaro.fr/actualite-france/2013/06/17/01016-20130617ARTFIG00754-pape-francois-cent-jours-de-pontificat-et-de-nombreuses-interrogations.php

Pape François : cent jours de pontificat... et de nombreuses interrogations
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La papamania va-t-elle s'essouffler?

C'est la principale nouveauté depuis l'élection. Le fossé qui séparait l'Église catholique de l'opinion publique semble se réduire à la faveur d'un pape très populaire et anticonformiste. Deux indicateurs objectifs démontrent ce rapprochement: le nombre de participants aux audiences papales du mercredi a presque quadruplé. De 25.000 personnes en moyenne, la fréquentation frôle les 100.000 personnes. Et cette foule nouvelle qui envahit la place Saint-Pierre n'est pas d'abord pieuse, ni «catho» au sens strict, mais curieuse de voir de près l'homme en blanc. Au point d'être parfois magnétisée par son charisme de simplicité. Second indice mesurable: le compte Twitter du Pape, lancé par Benoît XVI avec deux millions d'abonnés, a plus que triplé son audience. Il avoisine les sept millions et continue sa course. Signes d'une réconciliation de l'Église avec le monde? Certains en doutent et prédisent l'essoufflement de la papamania. Même superficielle, celle-ci pourrait toutefois être durable car elle repose sur son style personnel et non d'abord sur un enseignement.

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Est-il en conflit avec la curie?

La curie romaine, c'est l'administration centrale de l'Église. Depuis cent jours, elle est mise à mal parce que le nouveau pape a refusé de se laisser enfermer par elle. Il en est la tête hiérarchique, mais il vit une sorte de vie parallèle, en marge de l'appareil. Cela contredit tous les usages. Cela affaiblit l'autorité de la machine. Elle tousse, poliment, s'égosille parfois, mais en silence car «le Pape est le Pape», il est souverain. On comprend mal, par exemple, que François ait confié le dossier de la réforme de la curie à une commission de cardinaux dont un seul connaît son fonctionnement… L'arrivée probable d'un conseiller allemand en organisation, un profane, de la société de conseil McKinsey, fait aussi froncer les sourcils. Un bras de fer courtois, mais très ferme est donc engagé. François agit toutefois sous mandat: les cardinaux l'ont élu pour ne pas fléchir et réussir - enfin - la réforme de cette curie.

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Est-il en rupture avec Benoît XVI?

Le pape émérite a confié récemment qu'«il allait bien». Il prie et étudie. Il reçoit aussi et ne vit pas dans l'isolement. On dit que François a beaucoup d'attention pour son prédécesseur. Le consulte-t-il? Impossible à vérifier, mais cela n'est pas improbable. Il y a donc, de ce point de vue, une continuité. De même, sur le fond. Le pape François n'est pas un progressiste. La surprise, en revanche, vient de l'interprétation du concile Vatican II. Tout le pontificat de Benoît XVI a consisté à réconcilier les tenants du «progressisme» avec la haute «tradition» de l'Église. Mais avec François, qui cite Paul VI plus qu'aucun pape et pense à un projet de «synode permanent» pour que l'Église soit gouvernée en «synodalité», donc collectivement, par les évêques, c'est un certain «esprit du concile», combattu par Benoît XVI, qui est en œuvre…