Accueil | D'un Pape à l'autre | Retour au Vatican | Collages de Gloria | The hidden agenda | Lumen Fidei | Lampedusa | Benoît et les jeunes

François est, et n'est pas, ce que nous attendons

Une très intéressante interviewe du cardinal archevêque de New York par John Allen signalée par un lecteur... si intéressante, en fait, que je me suis résolue à la traduire: "Toutes ces comparaisons me dérangent, à la fois parce que je pense qu'elles sont probablement blessantes pour Benoît, et je pense aussi qu'elles ne sont pas exactes". (1/8/2013)

>>> Image ci-dessous, et article: Le cardinal des pauvres (benoit-et-moi.fr/2012(III)/articles/le-cardinal-des-pauvres)

Rappelons que le cardinal Dolan était "papabile" au dernier conclave, mais ses chances étaient faibles (selon les spécialistes) car il ne parlait pas les langues étrangères...
En réalité, les cardinaux électeurs ont retenu un autre critère: pas de pape issu d'une Eglise locale impliquée dans les affaires de pédophilie, ou des scandales d'une quelconque nature, fussent-ils inventés. Ce qui prouve que d'une certaine façon, le monde a dicté son agenda.

     

Dolan: François est et n'est pas, ce que nous attendions
John Allen
24 juillet 2013
http://ncronline.org/blogs/ncr-today/dolan-francis-and-isnt-what-we-expected
(ma traduction)
------


Le Cardinal Timothy Dolan de New York a été parmi les 114 cardinaux qui ont élu le pape François en Mars, donc il est dans une position unique pour répondre à une question fascinante sur le récent conclave et ses conséquences.
La question est la suivante: Les cardinaux savaient-ils vraiment ce qui les attendait avec Jorge Mario Bergoglio de Buenos Aires, en Argentine? Ou bien les quatre premiers mois et demi de son pontificat ont-ils été une révélation pour eux autant que pour le reste du monde?

Selon Dolan, la réponse se trouve quelque part au milieu.

La simplicité du pape, son humilité et sa proximité avec les gens sont sans surprise, dit Dolan, parce que les cardinaux avaient entendu tout cela - la seule surprise est dans quelle mesure il réussit.
D'autre part, les cardinaux ont également estimé qu'ils élisaient un gestionnaire dynamique, et jusqu'ici le rythme du changement a été plus lent que ce que certains attendaient.

Selon Dolan, peut-être que François a construit un tel réservoir de bonne volonté qu'il peut lui être plus facile de faire accepter les changements.

Dolan s'exprimait mercredi dans une interview avec NCR en marge de la Journée mondiale de la Jeunesse à Rio de Janeiro, où il conduisait une délégation de quelque 50 pèlerins de New York, proposant des séances de catéchèse aux anglophones venus du monde entier.

Sur d'autres questions:

. Dolan avoue avoir craint pour la sécurité de François et dit qu'il pourrait apprendre à se laisser un peu plus «pris en main».
. François a boosté la «réputation et la crédibilité» de l'Église, a dit Dolan, rendant plus facile pour les évêques de déplacer la balle sur de nombreux fronts.
. Dolan a admis qu'il est irrité par les éloges accumulés sur François au détriment de Benoît XVI, en disant: c'est à la fois «blessant» pour l'ancien pape et aussi «inexact».
. Dolan dit que François l'a poussé à un examen de conscience personnel - par exemple, il s'interroge sur l'opportunité d'habiter dans la résidence relativement élégante de l'archevêché de New York et en général sur quelques-uns des «avantages» et du «confort» de la condition d'évêque.

Ce qui suit est une transcription de l'entretien.

* * *

- Vous étiez l'un des cardinaux qui ont élu François, et sans doute avez-vous eu une idée du genre de Pape qu'il serait. Dans quelle mesure a-t-il été ce que vous attendiez?
- À certains égards, c'est exactement ce que j'attendais. Une des choses que nous avons cherchée, c'était un pasteur très averti, un homme bon sur le terrain. Pour reprendre l'expression du [Cardinal] George Pell [d'Australie], nous voulions quelqu'un avec des «bottes sales», parce qu'il a l'habitude d'aller dans les prés des brebis. Nous avons eu cela, et nous l'avons eu à la pelle.
La simplicité, la sincérité, l'humilité, cette capacité de parler du fond du cœur que le monde connaît aujourd'hui, ce sont toutes des choses que nous avions entendu dire à propos de lui. Un des cardinaux a dit qu'il nous fallait quelqu'un avec l'esprit de Benoît (???) et le cœur de Jean-Paul, et je pense que nous l'avons eu. Il a été appelé le curé du monde, et je pense que c'est bien vu.
S'il y a une surprise, c'est qu'il est encore meilleur que ce que nous avions prévu. Nous avons pensé qu'il était très bon, et les rapports que nous avons eu sur lui à Buenos Aires étaient excellents, mais «he's doing it all on steroids»..

- Quelle pourrait être votre plus grande surprise?
- Nous voulions aussi quelqu'un avec de bonnes compétences managériales et des compétences en leadership, et jusqu'à présent cela n'a pas été aussi évident. C'est un peu une surprise qu'il n'ait pas encore joué sa main sur ce front. Toutefois, je pense que cela fait partie de sa stratégie. Il sait que les choses dont nous avons parlé tout à l'heure sont plus importantes parce que, à bien des égards, l'impression est la réalité. Après avoir créé cette impression extraordinairement attrayante - qui, soit dit en passant, est très réelle - qu'il est un homme de simplicité, de sainteté et de simplicité, il sera plus facile de faire d'autres choses. Je pense que c'était son premier but, et il l'a fait.
Je m'attends à ce qu'après l'accalmie estivale, nous allons voir plus de signes de changements dans la gestion. En attendant, je pense que l'appel des huit cardinaux était un coup génial. Comme vous le savez, c'est une idée qui est venue dans les réunions avant le conclave. Beaucoup de cardinaux ont dit que le nouveau pape devrait envisager une sorte de «conseil des sages», une certaine façon plus précise d'exercer la collégialité au-delà du Synode des Évêques. (En passant, les congrégations ont dit que le synode doit aussi être réformé). L'idée était un exercice permanent de la collégialité qui pourraient aider le pape en permanence. Son «G8» avec les cardinaux était un bon pas dans cette direction.

- Êtes-vous surpris, par exemple, qu'il faille autant de temps pour changer la Secrétairerie d'État?
- Je serais surpris qu'il ne se passe rien d'ici octobre, mais je ne pense pas qu'il y ait quoi que ce soit de surprenant dans le fait qu'il veuille prendre son temps. Tout d'abord, c'est un homme d'une exquise charité, et je ne pense pas qu'il veuille blesser les sentiments de quiconque. Deuxièmement, il se rend compte qu'il a besoin de quelqu'un pour une période de transition. Je veux dire, il lui faut quelqu'un qui sait où toutes les "touches" sont. Je pensais qu'il l'aurait à la fin de Juin ou Juillet, mais ce n'est pas le cas, et je pense que cela va probablement être en automne.

- Vous êtes connu pour être un connaisseur des médias. Êtes-vous frappé par le ton positif des médias envers François?
- Oui, tout à fait. Les nouveaux dirigeants jouissent toujours d'une sorte de lune de miel, mais la réputation initiale de ce mec (ndt: this guy's early reputation ) est tout simplement extraordinaire. Par exemple, quand je fais ma promenade matinale, et que et parle à l'éboueur ou au policier ou au chauffeur de taxi, aux serveurs ou aux barmen, ils aiment tous ce mec. C'est l'unanimité. Ils disent, quel grand cadeau, vous avez fait un bon travail avec ce pape François. C'est une vraie piqûre de rappel pour l'Eglise.

- Vous êtes un grand fan de Benoît. Comment réagissez-vous quand vous voyez des gens louer François pour être différent de Benoît?
- Cela me dérange. Personnellement, j'aime (I love) Benoît, mais au-delà de cela, beaucoup n'est tout simplement pas exact. Prenez tout ce discours sur comment François a rejeté l'«opulence» du Palais apostolique. J'ai été dans l'appartement du pape, et bien sûr, la partie publique est très agréable, mais le reste est juste fonctionnel. C'est comme si Benoît était caricaturé comme ce type de pape plus majestueux, plus monarque. C'est la même chose avec l'histoire au sujet de François qui n'ira pas au "palais", la résidence d'été de Castel Gandolfo, qui est en fait assez simple, aussi. Toutes ces comparaisons me dérangent, à la fois parce que je pense qu'elles sont probablement blessantes pour Benoît, et je pense aussi qu'elles ne sont pas exactes.

- Le voyage au Brésil a causé quelques frayeurs de sécurité autour de François. Vous êtes quelqu'un qui aime être proche des gens, aussi. Au fil des années, avez-vous dû apprendre à vous laisser "prendre en mains"?
- Oui, je l'ai fait, et cela a commencé tout de suite. Depuis l'époque du Cardinal [Francis] Spellman, le département de police de New York a assigné un détective pour accompagner l'archevêque, et quand je suis arrivé, j'ai dit au commissaire «merci beaucoup, mais ce n'est vraiment pas nécessaire. Je n'en ai pas besoin». Il m'a dit: «Ce ne sont vraiment pas vos affaires. Si quelque chose vous arrive, c'est moi qui aurais les problèmes, alors souriez et supportez-le». Je l'ai fait, et j'ai appris à les écouter. Il peut y avoir des moments où dans un groupe quand je suis en train de saluer autant de personnes que possible, il me dira: «Tournez-vous vers votre droite, il y a des ennuis sur la gauche». Je ne sais pas de quoi il parle, mais je le fais. Ou bien il dira: «Nous allons sortir par cette porte plutôt que par cette autre», et ainsi de suite, et là encore, je l'écoute.
Bien sûr, ils savent que je veux voir autant de personnes que possible, et ils savent que leur job consiste à essayer d'amener les gens pour me voir, pas pour les en empêcher Mais à l'intérieur de ces limites, s'ils me disent: «Nous n'allons pas faire cela» ou «Nous n'allons pas là», je dois écouter.

- Pensez-vous que c'est quelque chose que François peut avoir à apprendre?
- Je pense que oui, et c'est ce qui se passe probablement en ce moment. Cela dit, je ne crois pas que sa volonté d'être proche des gens, c'est une sorte de stratégie. Je pense qu'il le fait naturellement et spontanément.

- Etes-vous inquiet pour sa sécurité?
- Oui, certainement. Je n'ai pas vu l'arrivée du pape, lundi, alors j'ai demandé à quelqu'un comment ça s'est passé. Ils ont dit que les foules étaient tellement enthousiastes, et lorsque sa voiture a pris un mauvais tournant, ils étaient vraiment inquiets. Ils m'ont dit qu'il était OK, mais c'était vraiment touch-and-go. J'ai mis les infos et regardé la vidéo, et j'ai eu peur, aussi. Il y a une sagesse dans le fait que les gens puissent le voir, et il n'est pas visible s'il est sur le siège arrière d'une limousine. Il y a aussi, cependant, une sagesse dans une sorte de sécurité. Ils vont devoir comprendre cela sans perturber son style.

- Vous avez été critiqué récemment pour votre gestion des abus sexuels à Milwaukee, quand l'archidiocèse a publié une série de documents. Qu'en pensez-vous?
- J'étais déçu. Naïvement, je pensais que c'était derrière nous, que nous avions fait de notre mieux, à la fois les gens de Milwukee, et de New York.
...
[Le cardinal fait ici référence à deux histoires de clocher, d'importance mineure, concernant l'archidiocèse de Milwaukee, dans le Wisconsin, dont John Allen a parlé précedemment titulaire de 2002 à 2009. Histoires que John Allen avait "couvertes"
ici, et dont je ne pense pas qu'elles aient un rapport avec l'Eglise universelle]

- Est-ce que cela aide, d'avoir un pape populaire?
- Bien sûr, parce que la réputation et la crédibilité de l'église sont plus élevés aujourd'hui. Même les cyniques et ceux qui sont constamment critiques disent: «Donnons une chance à ce type». Il est la coqueluche de la ville.
J'ai dit avant que nous, évêques, manquons de crédibilité dans de nombreux domaines, et il est clair que la bienveillance dont François bénéficie en ce moment rend les choses un peu plus faciles.

- En quoi François peut-il avoir un impact personnel sur vous?
- Je me retrouve à examiner ma propre conscience ... sur le style, sur la simplicité, sur beaucoup de choses.
Par exemple, j'ai vu le pape ouvrir sa porte de voiture, fermer sa porte, et porter son propre bagage à main. Cela me dit quelque chose. J'avais l'habitude de faire ces choses pour moi, et ce n'est pas que je pense que je suis au-dessus maintenant, mais c'est juste que comme Archevêque de New York, beaucoup de gens le font pour moi tout le temps. C'est un exemple très terre-à-terre, mais je commence à dire que je dois surveiller ce gars-là de près parce que c'est un bon exemple pour moi.
Je me mets aussi à penser à mon mode de vie, parce que c'est une assez belle maison, celle où je vis. À certains égards, ce que je pourrais faire à ce sujet n'est pas clair, parce que c'est la résidence historique, traditionnelle des archevêques de New York, et ce n'est pas comme si nous pouvions la vendre. [Note: La résidence est attachée à la cathédrale Saint-Patrick.]
En général, je me surprends à penser à certains des avantages, du confort, que nous associons à la condition d'évêque. Il me pousse à me demander s'ils sont nécessaires, et s'ils pourraient réellement être contre-productifs.