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Le Pape m'a téléphoné

Un ami argentin, et ex-élève de Jorge Mario Bergoglio, raconte une conversation avec François. Il est question de Benoît XVI, et de la difficulté de casser le protocole au Vatican. (12/7/2013)

Image ci-contre: Jorge Milla et le cardinal Bergoglio

L'écrivain et journaliste Jorge Milla, qui fut élève de Jorge Bergoglio à l'époque où celui-ci enseignait la psychologie et la littérature, raconte en détail un coup de téléphone qu'il a reçu de son ancien professeur en réponse à une lettre de 11 pages qu'il lui avait envoyée! La nouvelle est issue du site Terre d'America (un site en italien dédié à l'Amérique Latine), et c'est Salvatore Izzo qui s'en fait l'écho (via Raffa)

Décidément, les gens à qui le Pape écrit ou téléphone (tout comme ceux qui le rencontrent pour des entretiens informels) ont pris l'habitude de courir immédiatement se confesser auprès des médias. Une indiscrétion qui n'est pas exempte de risques de malentendus, et source de rumeurs invérifiables (et ici, on verra qu’il y a matière…).

Je n'aime pas vraiment (et même vraiment pas!) entendre appeler Benoît XVI "El viejo", fût-ce sur un ton affectueux (même si je sais que François ne se soucie pas des formes, j’avoue que mon humour s'arrête là... et je n'imagine pas Benoît XVI évoquant JP II en l'appelant "le vieux"); je m'étonne qu'un professeur soit tutoyé par un ancien élève, surtout quand ce professeur est aujourd'hui le Pape ; mais tout cela ne m'empêche pas de me réjouir d'entendre - même indirectement - des nouvelles de notre cher Pape émérite.
Sans compter que la conversation rapportée par Jorge Milla brosse un portrait assez surprenant de Jorge Mario Bergoglio, et surtout apporte des informations inédites (qui risquent de ne pas plaire à tout le monde...) sur son apprentissage de Pape et sa vie au Vatican.

     

Le Pape m'a téléphoné. Et même il m'a rappelé. Je comprends que cela semble manquer d'humilité de dire cela, mais pour une chose de ce type, il n'y a pas d'euphémismes.
Terre d'America(ma traduction)
Jorge Milia


C'est un privilège que m'a offert la providence, et c'est peut-être pour cela que je dois le partager avec ceux qui sauront l'apprécier, parce que le bien, quand il est mis en commun, se multiplie.
"Douze pages. Une lettre de douze pages!" - s'est-il plaint, se référant à une lettre que je lui avais écrite.
"Mais tu ne peux pas nier qu'elle t'a fait rire..." - lui ai-je répondu.
Il a ri. Pour ces raisons que personne ne peut expliquer, encore moins moi, il tolère encore ma prose, comme il y a tant d'années, quand nous étions professeur et élève (1). Je lui ai dit que j'avais commencé à lire l'encyclique Lumen fidei, et lui a décliné tout mérite personnel. Il a commenté que Benoît XVI avait fait la plus grande partie du travail, que c'était un penseur sublime, méconnu ou incompris de la majorité des gens.

"Aujourd'hui, j'étais avec el viejo, le vieux.... - il l'a appelé ainsi, à l'argentine, avec ce caractère affectueux que nous donnons au mot - nous avons beaucoup bavardé; pour moi, c'est un plaisir d'échanger des idées avec lui".

Et vraiment, quand il parle de Ratzinger, il le fait avec gratitude et tendresse. A moi, il fait un peu l'effet de quelqu'un qui un retrouvé un vieil ami, un ex-camarade de classe, de ceux que l'on voit de temps en temps, qui à l'école étaient une ou deux classes au-dessus de nous, et que d'une certaine façon nous admirions, peut-être avec des différences que le temps avait lissées, adoucies.

"Tu ne t'imagines pas l'humilité et la sagesse de cet homme" - m'a-t-il dit.
"Alors, garde-toi le près de toi...", lui ai-je répondu.
"Je n'imagine même pas renoncer aux conseils d'une personne comme ça, ce serait idiot de ma part!".

Je lui ai dit que la différence entre eux était que lui, les gens le voyaient plus humain, ils pouvaient le toucher, ils pouvaient lui parler....
"Et pourquoi pas? Bien sûr qu'ils doivent pouvoir le faire! C'est mon devoir de les écouter, de les réconforter, de leur serrer les mains pour qu'ils sentent qu'ils ne sont pas seuls...", mais il m'a assuré qu'il n'avait pas été facile de le faire accepter par tous ceux qui sont autour de lui.
Il s'est mis à rire de nouveau quand je lui ai dit que si mes grands-parents étaient encore en vie et venaient à savoir que je le tutoyais, ils cesseraient de prier pour moi, et me considèreraient comme définitivement perdu. Eux avaient l'idée d'un pape inaccessible, distant, la même image que leurs parents et grands-parents.

Et puis, il a répété: "Cela n'a pas été facile, Jorge, ici, il y a beaucoup de 'patrons' du Pape, et avec beaucoup d'ancienneté de service"
Et il a commenté que chaque changement qu'il a introduit lui a coûté des efforts (et, je suppose, des ennemis...). Parmi ces efforts, la chose la plus difficile a été de ne pas accepter qu'on lui gère son agenda. C'est pour cela qu'il n'a pas voulu vivre dans le Palais, parce que beaucoup de Papes ont fini par devenir "prisonniers" de leurs secrétaires.

"C'est moi qui décide qui je vois, pas mes secrétaires... Parfois, je ne peux pas voir qui je voudrais, parce que je dois voir ceux qui me demandent".
Cette phrase m'a beaucoup frappé. Je ne suis pas le Pape et je n'ai pas son pouvoir, je sens mon coeur qui s'accélère quand j'attends un ami cher, et je ne sais vraiment pas si je donnerais la priorité à un autre à sa place. Lui, au contraire, se prive de la rencontre qu'il voudrait pour voir quelqu'un qui le réclame. Il m'a dit que les Papes ont été isolés pendant des siècles, et que cela ne va pas, la place du Pasteur est avec ses brebis... Puis nous avons parlé de deux ou trois choses personnelles.

Inquiet comme toujours de la situation dans le pays, il ne pouvait croire qu'il manquait du blé pour le pain (en Argentine, la production de blé s'effondre, voir ici). Je me suis souvenu, comme un paradoxe, de ces vers que nous déclamons: "On ne peut pas mourir de faim/ dans la patrie bénie du pain". Lui a acquiescé avec une certaine amertume, mais il n'a fait aucun commentaire.
A la fin, il m'a demandé, comme toujours, de prier pour lui. A dire la vérité, nous étions encore en train de parler, et je ne voulais pas que ce soit moi qui mette fin à la conversation quand à l'improviste, il m'a dit:
"Eh bien, on se verra, ou plutôt je te lirai. Ciao. Porte-toi bien, et prie pour moi".
Je reste avec le téléphone en main. Et je pense: François m'a parlé. Le Pape m'a parlé.
Je suis un peu confus. Heureusement, je me rappelle de sa phrase: "Ne te monte pas la tête, Jorge, c'est juste un ami qui t'a parlé"

© TERRE D’AMERICA

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(1) Voir ici. (extraits du livre "Je crois en l'homme, Conversation avec Jorge Bergoglio")