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Le printemps latin

Roberto de Mattei met en perspective deux évènements récents: la Marche pour la Vie (avec le salut du Pape) le 12 mai à Rome, et la Manif pour tous, en France (20/5/2013)

>>> Sur le même thème: Une contre-révolution française?

     

Marche pour la vie: le «printemps latin» et les problèmes du présent
http://www.corrispondenzaromana.it (ma traduction)

Roberto de Mattei
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Entre fin 2010 et début 2011, la grosse caisse médiatique du monde entier a annoncé l'arrivée du « printemps arabe », autrement dit d'une nouvelle ère de démocratie, de liberté et de développement socio-économique au Moyen-Orient et en Afrique du Nord. Certains, comme le ministre Andrea Riccardi (ndt: également président de Sant'Egidio), ont été jusqu'à déclarer que « la Méditerranée est devenue une mer entièrement démocratique», feignant d'ignorer que de la Libye à la Syrie, de l'Egypte à la Tunisie, les révolutions arabes ont produit crise économique, instabilité politique, montée des mouvements islamistes et violente répression anti-chrétienne. Ce n'était pas le printemps, mais un hiver difficile pour ces malheureuses régions.

Si le printemps arabe, soigneusement organisé par les centres de pouvoir occidentaux et les Frères musulmans a lamentablement échoué, un printemps très différent se développe au début de 2013 en Europe: c'est ce qu'on pourrait appeler un «printemps latin».

A Rome, la troisième Marche nationale pour la vie a rassemblé le 12 mai quarante mille personnes, qui ont défilé du Colisée à Saint-Pierre, où ils ont été accueillis par la bénédiction du pape François. Aucun des grands mouvements «ecclésiaux», de "Communion et Libération" au "Chemin Néocatéchuménal", aux "Charismatiques" et aux "Focolari", n'a participé à la marche, qui s'est donc imposée comme un «mouvement» différent de tous les autres, non reconductible au monde catholique officiel.

La Marche pour la vie italienne, a justement écrit Mario Palmaro «n'a pas de caractère ecclésial, ce n'est pas une procession, pas une réunion de prière: y participaient des catholiques et d'autres chrétiens, des fidèles d'autres religions, des croyants et des non-croyants. Beaucoup sont silencieux, d'autres prient, dans un climat de liberté. De cette façon, la Marche illustre le caractère raisonnable des raisons de vie. La Marche est autonome et indépendante, et se garantit une liberté qui échappe aux conditionnements, compromis, tactiques, censure interne, lâcheté déguisée en prudence».

En France, après la légalisation du soi-disant « mariage gay », le 23 Avril dernier, les 'Manifs pour Tous' (en français dans le texte) rassemblent à leur tour des centaines de milliers de personnes qui continuent à protester contre le gouvernement, avec une inventivité, lit-on sur L'Osservatore Romano du 8 mai (Plunkett), qui a surpris les médias: mobilisation via twitter, rassemblements spontanés dans les rues, campements devant l'Assemblée nationale, opérations «réveil matin» devant les maisons des Ministres, affichage de bannières sur les ponts autoroutiers.

Et il y a aussi le réseau des Veilleurs (en français dans le texte) et des mères veilleuses (idem) mais aussi, avec un jeu de mots, «merveilleuses», qui expriment en petits groupes leur protestation et leur indignation . Dans les deux cas, il s'agit d'un mouvement spontané qui part surtout de la base du monde catholique. Ce qui se passe est quelque chose de plus qu'une manifestation, c'est la reconstruction du tissu social: c'est un germe de santé et de vie qui se développe dans un organisme malade, comme en prévient Rémi Fontaine (ndt: journaliste à Présent) dans un beau livre consacré à ce phénomène (Les Enjeux du Printemps français, Editions de Paris, Versailles 2013).

Si la culture relativiste produit la décomposition de la société, la culture pro-vie et anti-homosexualiste revitalise le corps social. Les potentats internationaux qui contrôlent ou conditionnent les choix politiques des gouvernements nationaux, suivent avec inquiétude ce réveil inattendu. Leur crainte est l'émergence de nouvelles formes de présence sociale et politique et de nouvelles classes dirigeantes, capables de provoquer des soulèvements populaires contre le système de culture et de pouvoir établi en Europe depuis l'époque de la Révolution française. La tentative à laquelle nous assisterons sera d'essayer de «reconvertir» et de «normaliser» le mouvement d'opposition à l'establishment. Mais s'il est possible de tromper les hommes, il est impossible d'«acheter» la grâce de Dieu, qui, quand elle se manifeste, déclenche un processus irréversible.

Derrière le printemps latin, en plus de l'action invincible de la grâce, il y a une conception du monde qui plonge ses racines dans les racines latines de la culture occidentale. En Grèce, est né le concept d'humanitas , l'idée qu'il existe une nature humaine, caractérisée par des lois constantes et universelles que la philosophie a pour tâche de reconnaître.

L'homme, en effet, n'est pas seulement un animal social, mais il est d'abord et avant tout un animal rationnel. L'humanitas , ce n'est pas le 'moi' subjectif de l'humanisme moderne, mais la conscience de ces lois universelles de la nature humaine. Ce cadre de lois et de principes absolus et universels, c'est la loi naturelle du Décalogue qui, après la philosophie grecque, est reconnue par le droit romain. Le nouveau Catéchisme de l'Église catholique (n° 1956, www.vatican.va/archive/FRA0013/_P6O.HTM ) rappelle les paroles de Cicéron, selon lesquelles «Il existe certes une vraie loi, c’est la droite raison ; elle est conforme à la nature, répandue chez tous les hommes ; elle est immuable et éternelle ; ses ordres appellent au devoir ; ses interdictions détournent de la faute ... C’est un sacrilège que de la remplacer par une loi contraire ; il est interdit de n’en pas appliquer une seule disposition ; quant à l’abroger entièrement, personne n’en a la possibilité (Cicéron, rép. 3, 22, 33)». Saint Thomas d'Aquin nous rappelle, à son tour, que la loi établie par les parlements, et par toute autre instance législative humaine, ne peut pas être en contradiction avec la loi éternelle de Dieu. La loi naturelle, en effet«n'est rien d'autre que la lumière de l'intelligence infusée en nous par Dieu. Grâce à elle, nous connaissons ce qui doit être fait et ce qui doit être évité. Cette lumière, ou cette loi, Dieu nous l'a donnée à la création»(Saint Thomas d'Aquin, In duo praecepta caritatis et in decem Legis praecepta expositio, c. 1).

Jean-Paul II, dans son dernier livre, Mémoire et identité , a marqué du sceau d'infamie «l'extermination légale des êtres humains conçus mais pas encore nés (...) une extermination décidée même par des Parlements élus démocratiquement, dans lesquels on en appelle au progrès civil de la société et de toute l'humanité. ..
Il ne manque pas non plus d'autres violations graves de la loi de Dieu, je pense, par exemple, à de fortes pressions du Parlement européen pour que soient reconnues les unions homosexuelles comme une forme alternative de la famille, à laquelle reviendrait également le droit d'adopter. Il est licite, c'est même un devoir, de se demander s'il n'y a pas là à l'oeuvre une nouvelle idéologie du mal, peut-être plus insidieuse et cachée, qui tente d'exploiter contre l'homme et contre la famille, jusqu'aux droits de l'homme. Pourquoi tout cela se passe-t-il? Quelle est la racine de ces idéologies post-illuministes (lumières)? La réponse, finalement, est simple: c'est parce que l'on a rejeté Dieu comme Créateur, et donc comme source de détermination de ce qui est bien et ce qui est mal. (...) Si nous voulons parler de manière sensée du bien et du mal, nous devons revenir à saint Thomas d'Aquin, c'est-à-dire à la philosophie de l'être».

La Marche pour la vie italienne et la Manif pour Tous française se fondent sur cette «philosophie de l'être» à laquelle le monde moderne a tourné le dos, avec les résultats désastreux qui sont devant nos yeux. Derrière le printemps latin, il y a la ferme conviction que la loi divine et naturelle ne peut rester confinée à la sphère privée, mais doit se projeter dans la sphère publique et constituer la base de l'ordre social chrétien, qui est la seule solution possible aux dramatiques problèmes du présent.