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Le temps de l'Armageddon

Une lecture eschatologique de la renonciation: "Le pontificat de Benoît a été comme un grand exorcisme". Réflexion d'un prêtre blogueur italien sur l'"effacement" de Benoît XVI (22/6/2013)

L'auteur est un prêtre et blogueur italien, le Père Ignazio La China, qui se présente ici: www.blogger.com/profile
Parmi les blogs qu'il suit, figurent au moins deux sites « amis » Fides et Forma et Senza Peli sulla lingua, du Père Scalese : il y a de pires recommandations !

Article ici: http://catholicaforma.blogspot.it/2013/06/ma-chi-pensa-queste-cose.html (ma traduction).

Mais qui pense à ces choses?

19 juin 2013
Père Ignazio La China
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On m'a demandé la raison de mon silence sur ce blog, ces dernières semaines.
Ce n'est pas facile à dire.
En deux mots, banalement, je pourrais dire que je ressens encore tout le bouleversement causé par le choc de la démission du pape Benoît XVI et l'élection du pape François.

Je m'explique.
Ce n'est pas une question de syntonie affective avec tel ou tel Pape. Le pape est le pape, qui qu'il soit, et cela suffit.
Et donc ce n'est pas un sentiment de moi, mais quelque chose que je qualifierais plutôt d'ecclésiologique, sinon vraiment théologique.
Le fait est que j'ai l'impression qu'il y a presque un désir de «normalisation» dans le milieu ecclésial (mais aussi dans une grande partie du monde extérieur à l'Église) comme si on voulait refermer rapidement la parenthèse du pontificat de Benoît XVI.
Comme si celui-ci n'avait jamais été.

Ce n'est pas un problème de continuité avec François: qui existe, au moins dans le rappel de son enseignement (ndt: il faut dire que chaque jour, d'aucuns s'évertuent à la souligner, comme si elle n'était pas si évidente!).
C'est comme si, en fait, même parmi ceux qui croyaient être parmi les plus proches de Benoît, on n'avait perçu de ce Pape que le fait qu'il «dérangeait».
Il ne s'agit pas de croix d'or ou de choix liturgiques différents, ou de sensibilités théologiques pré-ou post-conciliaire: je crois que Benoît XVI a été «indigeste» un peu à la majorité des gens (même les évêques et les prêtres, et même peut-être plus les évêques et les prêtres que les laïcs), car au lieu de présenter un christianisme tout sucre et miel et bon pour tout le monde, il a été au cœur du drame du monde contemporain: la disparition de Dieu dans le cœur de l'homme, et donc le devoir de l'Eglise de recentrer sa mission sur l'unique nécessité, la proclamation de l'Évangile. Et cela implique aussi le devoir de l'Eglise de se convertir et de renoncer au mal qui en défigure le visage et qui risque de nuire à son témoignage.

Benoît nous a ramenés au «réalisme chrétien», autrement dit à l'enseignement qui fonde la foi catholique: ce qui signifie mettre au centre l'homme et Dieu, le péché et la grâce.
C'est-à-dire qu'il nous a rappelé que le chrétien est dans le monde mais pas du monde.
Si le christianisme est ramené à un cadre seulement 'intramondain', il est réduit à une philosophie, à une morale, mais il n'est plus l'évènement qui sauve, et l'Église n'est plus le Corps du Christ dans le monde, mais seulement un club (divisé entre autre entre ceux qui le voudraient exclusif et ceux qui le pensent populaire, qui ne veulent que réduire la faim dans le monde).

Benoît était clairement dérangeant à la fois pour ceux qui ne pensent à la foi que comme fuga mundi, et pour ceux qui veulent que la foi soit seulement l'expression de la volonté d'améliorer ce monde.

Mais à quoi sert à l'homme (et à l'Eglise elle-même) de gagner le monde entier, si ensuite il perd son âme?
Voilà, Benoît nous a fait repenser à l'âme, aux efforts pour la sauver: c'est-à-dire à Dieu, au désir de contempler son visage. Parce que nous sommes faits pour cela.
Contre toute tentative de réduire le christianisme à une sorte de religion civile ou à un humanisme sans Dieu (ce qui, rien qu'à l'écrire, semble une absurdité tellement énorme qu'on se demande comment certains ne réalisent pas une telle évidence).
Ce qui m'étonne (mais vraiment), c'est à quel point, dans le monde catholique, il y a cette tentative de tout faire rentrer dans l'ordinaire et dans la «continuité», comme pour exorciser non seulement le scandale d'un pontificat entièrement vécu par le pape Benoît XVI au nom de la parrêsia (ndt: càd la liberté de parole), la franchise chrétienne, mais aussi le scandale même de sa renonciation à la papauté.

Donc, tout est lu comme si son pontificat avait été une parenthèse de nostalgie ecclésiale un peu rétro, et sa démission comme s'il s'agissait de la retraite d'un vieil homme qui obtient finalement le repos convoité.

Mais le pontificat de Benoît va briller de plus en plus dans l'avenir - l'histoire est un juge impartial - (ndt: ???) comme l'un des plus modernes de l'histoire, où la modernité est à juste titre une confrontation avec la contemporanéité et les instances de la sécularisation, et donc comme un pontificat prophétique (et comme toutes les prophéties, ce sera son dévoilement, dans le futur, qui le révélera dans toute la grandeur).

Et c'est pourquoi sa renonciation à la papauté a tous les contours d'une prophétie qu'à l'instar de Eglise, l'on a peut-être du mal à comprendre (ou que l'on renonce à comprendre) et qui a pourtant une valence qui reste entièrement à déchiffrer.
Curieusement, ce que la théologie a renoncé à comprendre (à ce jour, je n'ai connaissance d'aucune tentative de la part de théologiens de lire théologiquement la renonciation - et le pontificat tout entier - de Benoît XVI: peut-être par hâte de clore l'affaire) a été objet de réflexion de la part de penseurs laïques, et pas seulement le journaliste catholique Socci ou l'athée dévot Giuliano Ferrara. Je me réfère au laïc Massimo Cacciari avec son "Il potere che frena" et l'autre laïc Giorgio Agamben avec "Le mystère du mal. Benoît XVI et la fin des temps" (ndt : à préciser…).

Ce n'est pas le lieu d'entrer dans les mérites de deux documents qui à partir d'opinions opposées arrivent pourtant à la même conclusion: que le geste du pape doit être lu dans une perspective eschatologique. C'est-à-dire qu'il devrait être encadré dans la lecture que l'Apocalypse (mais pas seulement, Paul également) fait de l'histoire comme du lieu où le conflit est concentré entre le Christ et les puissances du mal. En dernière analyse, entre le Christ et l'Antéchrist. Et l'Antéchrist, bien qu'animé par l'esprit du monde, qui est Satan, naît toujours d'un contexte ecclésial, comme si l'esprit du monde avait réussi à entrer dans l'Église et presque à triompher.
Ce n'est pas par hasard que Benoît XVI a toujours rappelé que les vrais ennemis qui attaquent l'Eglise naissent de son intérieur et en provoquent toute la saleté. Pédophilie, corruption, attachement démoniaque à l'argent et au pouvoir, dans l'Eglise, naissent comme une expression de l'antéChrist: on ne peut pas les lire comme des facteurs sociologiques mais comme l'expression de la longue apostasie de son Seigneur par l'Église, et donc à décrypter théologiquement. En cela Benoît, comme tous les prophètes, a été incompris et ignoré (ou devrions-nous dire délibérément mal compris?).

C'est comme si l'Église ne se comprenait plus elle-même, et qu'à ceux qui voulaient la ramener à son identité d'origine, elle opposait un net refus.
Parce qu'en fait, il n'y a plus une Église mais beaucoup d'églises, autant que de têtes qui la pensent, qu'ils soient évêques, prêtres ou laïcs!
Le problème se complique quand on pense qu'une mauvaise compréhension du rôle de l'Église et du christianisme conduit aussi à l'incapacité de lire l'histoire du monde, ou au moins en provoque une lecture déformée. Et le rôle du chrétien dans le monde.
C'est comme si la lecture "buoniste" du monde qui a eu lieu dans la période postconciliaire avait provoqué la renonciation à une lecture théologique, et donc eschatologique, de l'histoire.
Parce que c'est une chose de dire que l'on attend le retour du Seigneur et la venue de son royaume, c'est une autre chose de dire que nous sommes ici sur terre pour construire la civilisation de l'amour et rendre le monde meilleur, et c'est tout.
Parce que le royaume de Dieu n'est pas simplement ce monde rendu meilleur par la volonté des hommes (sinon, qu'est-ce que Dieu viendrait y faire?).

Une preuve de la renonciation à une lecture eschatologique de l'histoire, et donc à l'incapacité de lire théologiquement l'histoire même de l'Église et un événement faisant date comme le pontificat et le renoncement de Benoît, a été la marginalisation de toute une littérature non seulement catholique, mais aussi anglicane et orthodoxe, qui - prophétiquement - au début du XXe siècle, avait décrit avec une incroyable lucidité l'apostasie de l'Église et de l'Occident chrétien, jusquà voir les signes de la venue de l'Antéchrist. Je me réfère à Soloviev et au "Trois Dialogues et le récit de l'Antéchrist" (écrit en 1900) et au roman (écrit en 1903) de Robert Benson, "Le Maître de la terre" (cf. Le maître de la terre ), où l'apostasie de l'Église est introduite par le triomphe du naturalisme, de l'animalisme, du pacifisme, de l'humanitarisme, de l'union européenne selon des principes anti-chrétiens ... jusqu'à la mise en place d'un gouvernement mondial style "Big Brother" ante litteram: choses écrites il y a un siècle, qui semblent être la chronique de ce qui se passe en fin de compte à ce jour. Où le sort final sera celui du triomphe, après la très dure épreuve, de la Catholica et de la papauté.
Pourquoi a-t-on perdu ce regard catholique? Pourquoi, alors qu'un Russe orthodoxe et un Anglais anglican (chef de file des intellectuels éminents qui après Newman, au XXe siècle, se convertirent au catholicisme, comme Chesterton, Graham Green) voient-ils le salut dans l'Eglise catholique, en Pierre, les catholiques ont-ils aujourd'hui presque peur de se dire tels? On se dit seulement chrétiens, où chrétien est déformé en un vague sentiment buoniste qui comprend un peu de tout, mais désormais parfois sans même le Christ!
Benoît XVI a dit que ces livres ont été parmi ceux qui ont contribué à sa formation théologique (parce que parfois, un bon roman est mieux qu'un livre de théologie scolastique), tout comme ils ont nourri les grands esprits du XXe siècle, y compris laïcs.
Maintenant, c'est comme si ce fil s'était rompu.
Je ne sais pas - et qu'on m'excuse l'audace, il ne s'agit pas d'un jugement - si ces livres contribuent encore à la formation du sens catholique de nos prêtres et de nos évêques, qu'ils devraient éduquer à la forme catholique du 'vivre' la foi chrétienne.
Si je sens la joie d'avoir pu me former à l'école de cette grande tradition catholique, aujourd'hui je ressens de la douleur et de la solitude de ne pas pouvoir communiquer ce sentiment avec d'autres catholiques, même engagés dans l'Eglise, s'agissant de prêtres et d'évêques (et si ce n'est pas avec eux, comment pourrais-je le faire avec de simples laïques, bons mais bourrés d'idées «moderniste»?).
Aujourd'hui, je ressens presque ce qu'un grand épistémologue appelé l' «incommunicabilité de l'évidence». Comme s'il y avait une sorte de folie collective qui empêche de voir ce que nous devrions pourtant voir: "peut-être étiez-vous aveugles ..."

La renonciation de Benoît nous interpelle et nous ramène à la lutte contre l'Antéchrist que chacun de nous doit mener.

Le pontificat de Benoît a été comme un grand exorcisme, qu'il a conduit sur le corps malade, possédé, de l'Eglise; et comme le sait tout exorciste, chaque rencontre avec l'ennemi affaiblit les forces de celui qui lutte contre. Benoît XVI a épuisé ses forces dans ce combat contre les forces du Mal qui ont déversé sur lui toute la saleté de l'Église jusqu'à lui faire éprouver le désespoir de l'abandon et de la trahison. Pour cette raison, il s'est mis de côté, pour continuer à lutter avec la seule arme efficace qui est la prière, et pour donner l'opportunité à des forces nouvelles et fraîches de prendre le relais dans cette lutte: n'oublions pas qu'il n'y a pas de prédication quotidienne où le pape François ne rappelle les tentatives du diable pour renverser l'œuvre du Christ et de l'Église.
Une chose qu'on voudrait nous faire oublier: que la plupart des miracles du Christ étaient des exorcismes.
Le diable a trompé beaucoup de monde en faisant croire qu'il n'existe pas. Mais son jeu a été découvert.
Ce sont ses coups de queue, les plus dangereux, avant la défaite finale, nous ne pouvons plus être naïfs.
C'est le temps de l'Armageddon (ndt: Armageddon, petit mont en Galilée dans la région nord de l’état d'Israël, terme biblique mentionné dans le Nouveau Testament, est un lieu symbolique du combat final entre le Bien et le Mal).