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L'Eglise et l'argent: que répondre?

Un argumentaire détaillé, qui reprend et complète un article traduit dans ces pages "Les paupéristes et il poverello" (6/5/2013)

Cf.
http://benoit-et-moi.fr/ete2010

>>> Le point n°3 est particulièrement savoureux.

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La "richesse" de l'Eglise

Corrado Gnerre, Il giudizzio Cattolico.com
Article reproduit sur le site www.corrispondenzaromana.it
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Une des questions les plus fréquemment proposées dans les rencontres de catéchèse est celle qui concerne la soi-disant «richesse» de l'Église. Mais comment est-il possible - vous demande-t-on généralement - que l'Église possède tant de richesses tout en prêchant la pauvreté?

Il est donc bon de clarifier certains points pour savoir comment répondre à cette question, qui, comme nous l'avons déjà dit, est très répandue.

Nous diviserons la discussion en quatre points:

1. La pauvreté ne doit pas être confondue avec le paupérisme.
2. La vérité ne peut pas être séparée de la beauté.
3. La richesse de l'Eglise ... n'est pas de l'Eglise.
4. L'Église n'est pas du monde, mais elle est dans le monde.

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1. La pauvreté ne doit pas être confondue avec le paupérisme

Commençons par le premier point. Tout d'abord, il faut dire que la pauvreté ne peut pas être confondue avec le paupérisme. La pauvreté est une valeur qui doit être prise en considération par tous les chrétiens. Tous sont tenus à être «pauvres», parce que la pauvreté, c'est se rapporter de façon correcte aux biens matériels, en ce sens que ces biens ne peuvent pas et ne doivent pas être considérés comme «fins» mais seulement «moyens». Dans les béatitudes (Luc 6) Jésus appelle les pauvres «bienheureux», alors qu'il dit: «Malheur à vous qui êtes riches».
Eh bien, cette pauvreté et cette richesse ne doivent pas être prises au sens économique.

Le «pauvre», évangéliquement parlant, n'est pas tant celui qui ne possède rien, que celui qui, tout en possédant, sait que la richesse doit être considérée seulement comme un moyen de faire le bien et de se rapprocher de Dieu. Au contraire, le «riche», au sens évangélique, n'est pas nécessairement celui qui possède, mais celui qui est si plein de lui-même qu'il ne sait pas faire de la place pour Dieu dans sa vie.

Paradoxalement, si quelqu'un a dans sa poche 10.000 €, mais fait de ce chiffre non pas la fin de sa vie, mais un moyen de faire le bien, il n'est pas riche mais pauvre. Si au contraire quelqu'un a dans sa poche un euro, mais fait de ce misérable euro le but de sa vie, se déclarant même prêt à fouler aux pieds la loi de Dieu à condition d'augmenter sa "richesse", celui-là n'est pas un pauvre, mais un riche. Bien sûr, il ne fait aucun doute que celui qui a beaucoup pourra plus facilement être tenté dans l'orgueil et la présomption; celui qui a moins choisira plus facilement l'humilité et la simplicité; mais de là à détecter un automatisme il y a loin.

En outre, comme nous l'avons mentionné précédemment, il faut dire qu'on ne peut pas confondre la pauvreté avec le paupérisme. Ce dernier est la pauvreté économique à tout prix. Mais c'est loin d'être une perspective chrétienne correcte. Prenons saint François d'Assise, le modèle de la vraie pauvreté. Ce grand saint tenait à faire comprendre à ses frères que le chemin de leur pauvreté devait être considéré comme l'un des nombreux pour aller au Paradis, mais pas le seul. La route nécessaire pour ceux qui choisissaient leur vie, mais pas pour les autres. Tant et si bien que ceux qui, parmi les Franciscains pensaient autrement que le séraphique fondateur, finirent par sortir de l'Église et mourir hérétiques.

2. La vérité ne peut pas être séparée de la beauté

Venons-en au second point: la vérité ne peut pas être séparée de la beauté. Citons à nouveau saint François d'Assise. Celui-ci prétendait à la plus grande pauvreté pour ses frères, mais à la plus grande spledeur pour les édifices ecclésiastiques. Il disait que les églises devraient être pleines d'objets précieux, tant est grande la Grandeur qu'ils contiennent, c'est-à-dire le très Saint-Sacrement. Les vêtements liturgiques, que les Clarisses du temps de saint François cousaient, étaient brodés de fils d'or, ainsi le voulait le Père séraphique. La beauté, en effet, doit signifier la Vérité. Mieux: la vérité doit être signifiée par la beauté. Et la beauté est aussi majesté, elle est aussi «richesse».

Dans la Première Lettre aux Gardiens (référence non trouvée), il écrit: «Je vous prie, plus que si cela me concernait personnellement, lorsque cela vous semblera adéquat et utile, suppliez humblement le clergé de vénèrer par-dessus tout le très saint Corps et le Sang de notre Seigneur Jésus-Christ et les saints noms et les mots écrits par lui pour consacrer son corps. Les calices, les ornements de l'autel et tout ce qui sert au sacrifice, doivent être précieux. Et si en quelque endroit il se trouvait que le très saint Corps du Seigneur soit placé de manière misérable, qu'ils le placent et le conservent dans un endroit précieux, en vertu des dispositions de l'Église, et qu'il soit porté avec une grande vénération et administrés aux autres avec discrétion».

On trouve quelque chose d'intéressant notre propos dans la biographie de Saint Jean-Marie Vianney (le curé d'Ars) par François Trochu: « Don Vianney (...) par respect pour l'Eucharistie, voulait ce qu'il y avait de plus beau. (...) Ainsi, il enrichit une «garde-robe du Bon Dieu», comme il le disait, avec son langage coloré et imaginatif. Il visitait à Lyon les magasins de broderie, de bijoux, et y achetait ce qu'il y trouvait de plus précieux. « Dans les alentours - confiaient ses fournisseurs étonnés - il y a un petit curé tout maigre, qui a l'air de ne jamais avoir un sou en poche et qui pour son église veut toujours le meilleur». Un jour, en 1825, la comtesse d'Ars l'emmena avec lui en ville, pour acheter un parement pour la messe. A chaque nouveau modèle qui lui était présenté, il répétait: «Ce n'est pas assez beau ... Il faut quelque chose de plus beau que cela!».

Dans l'Evangile de saint Jean (chapitre 12), il y a un épisode qui sur ce sujet dit tout: «Six jours avant la Pâque, Jésus arriva à Béthanie, où était Lazare, qu'il avait ressuscité d'entre les morts. Là, on lui fit un souper et Marthe servait, et Lazare était un des convives. Marie, ayant pris une livre d'un parfum de nard pur, très précieux, en oignit les pieds de Jésus et les essuya avec ses cheveux, et toute la maison fut remplie de l'odeur du parfum. Alors Judas Iscariote, l'un de ses disciples, celui qui devait le livrer, dit: «Pourquoi n'avoir pas vendu ce parfum pour trois cents deniers et donné l'argent aux pauvres?». L'évangéliste ajoute que Judas ne dit pas cela parce qu'il se souciait des pauvres, mais parce qu'il était un voleur et qu'il voulait voler ce qu'il y avait dans la cassette. La réponse de Jésus est claire: «Laisse-la (...) Les pauvres, vous les aurez toujours avec avec vous, mais moi, vous ne m'aurez pas toujours». Donc, il y a des moments où il faut donner aux autres, mais il y a aussi des moments où on doit souligner avec la richesse la grandeur du divin.

La beauté affine les esprits, de les ouvre à la sensibilité et donc à la compréhension envers les autres. Créer la beauté est un acte d'amour naturel envers Dieu. On raconte qu'à Pise, avant qu'ils ne construisent la célèbre Place des miracles avec le Dôme, le Baptistère et le fameux Campanile (qui devint plus tard la Tour de Pise bien connue) manquaient les égouts. Les habitants de Pise, cependant, préfèrent construire d'abord la cathédrale et puis peut-être penser aux égouts ensuite. Le choix a certainement été imprudent ... mais d'une grande générosité envers Dieu. On pourrait penser, mais comment la Providence a-t-elle voulu rembourser la générosité des pisans d'alors? Contrairement à d'autres villes de Toscane, à Pise, si vous enlevez la Tour Penchée et la Place des miracles, il ne reste pas grand chose. La ville est devenue célèbre dans le monde entier pour un fait mystérieux: l'affaissement de terrain qui a permis au Campanile de pas s'écraser au sol, mais de rester étonnamment incliné. Et il vient à l'esprit: alors les études géologiques, ils savaient les faire ... si c'est vrai, et c'est vrai, que tout ce qu'ils avaient construit de grand est arrivé jusqu'à nous intact malgré les nombreux tremblements de terre.

3. La richesse de l'Eglise n'est pas à l'Eglise ...

En fait, la richesse de l'Eglise n'est pas à l'Eglise. La richesse de l'Église se compose principalement d'œuvres d'art qui non seulement ne sont pas aliénables (dans le sens qu'elles ne sont pas vendables), mais existent grâce à la générosité des fidèles.
On peut raconter à cet égard cet épisode significatif. Dans l'Emilie de l'après-guerre, les années de grande lutte entre catholiques et communistes, dans une petite ville, il y eut une conférence organisée par le Parti communiste d'alors. Parmi les intervenants, il y avait un professeur (bien sûr communiste) qui a commencé à attaquer l'Eglise surtout pour sa richesse présumée qu'elle gardait pour elle-même sans la donner aux pauvres. Dans le public il y avait deux prêtres instruits qui ont tenté de prendre la parole pour lui porter la contradiction, mais ils aggravèrent la situation car ils intervenaient en utilisant un langage trop théorique et théologique, de sorte que les gens simples et ignorants qui assistaient ne pouvaient pas comprendre. La providence voulut que prenne aussi la parole un simple curé de paroisse, qui parlait dans le dialecte des personnes présentes. Il s'est borné à raconter aux habitants de cette ville quelque chose qui s'était passé il y a des années et dont tous se souvenaient très bien. Il s'agissait d'un ouvrier communiste, athée, dont la fille unique était tombée gravement malade. Sa femme, qui était croyante, décida de demander à la Vierge Marie, à qui était dédié un célèbre sanctuaire de l'endroit, la grâce de la guérison. Le miracle arriva: l'enfant fut guérie. L'ouvrier voulut alors se rendre chez le meilleur bijoutier de la ville pour réaliser un bel ex-voto en or. Le travail fut effectué et l'homme le porta au recteur du Sanctuaire. Mais, quelques jours après, l'ouvrier, passant devant la boutique de bijoux, vit dans la vitrine l'objet qu'il avait commandé et remis au Sanctuaire. Impatiemment il demanda une explication. Il lui fut dit que le recteur l'avait mis en vente pour construire un oratoire pour les enfants. L'homme, à juste titre, se mit dans une colère noire: «Et voilà, nous offrons à la Vierge et les prêtres ... revendent ce que nous lui offrons». Et il avait raison. Pour bonne que fût l'intention du prêtre, il ne pouvait pas revendre ce qu'un fidèle avait donné directement à la Vierge. Il a suffi du souvenir de cet épisode, pour que tout le monde présent comprenne la vraie signification des nombreuses richesses de l'Eglise.

4. L'Église n'est pas du monde, mais elle est dans le monde

Sur ce point, nous dirons très peu.

Il est vrai que le caissier était Judas Iscariote (car apparemment, il y avait une certaine inclination), mais Jésus lui-même voulut que les apôtres eussent une caisse. Et c'est parce que l'évangélisation, tout en n'étant pas du monde, se fait dans le monde. Si l'Église n'avait pas d'autonomie financière, elle devrait dépendre d'une réalité du monde. Mais, si c'était le cas, elle ne serait plus libre dans ses jugements. Un petit exemple: une chose est d'avoir son propre salaire, une autre d'être totalement dépendant de quelqu'un qui vous donne à manger et à boire. Dans le second cas, si vous vous apercevez que celui dont vous dépendez est un pas grand chose, il pourrait facilement vous venir la tentation de fermer les deux yeux, en vous convaincant: «si la personne qui me donne de quoi vivre va en prison, qui va me soutenir?».

L'autonomie économique est toujours un gage de liberté.
(Corrado Gnerre)