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Les cryptopapistes

Ceux qui ont passé huit ans à dégoiser sur Benoît XVI se découvrent soudain une sensibilité ultra-papiste chatouilleuse, et s'en prennent aux catholiques attachés à la tradition, qu'ils accusent de déloyauté. Une réflexion de don Ucciardo (11/4/2013)

     

Don Ucciardo est ce prêtre italien de sensibilité "tradi" dont j'ai déjà traduit plusieurs textes, et je l'aime bien.
Ce dernier article (il faut avancer assez loin dans la lecture pour voir où il veut en venir) dénonce les "hypocrites" qui ont décidé de rejeter comme non conformes les catholiques attachés à la tradition qui s'interrogent sur les premiers pas du Pontificat de François, au moins en matière liturgique. Ce sont eux les "cryptopapistes" qui en appellent à l'obéissance au Pape, mais qui pendant huit ans ou bien se sont "planqués" (d'où leur nom!), ou bien s'en sont pris frontalement à Benoît XVI.
Mais évidemment, le slogan "le Pape, c'est le Pape" se lit dans les deux sens, et sans doute ne faut-il pas l'oublier...

     

Les cryptopapistes
Don Antonio Ucciardo
http://www.daportasantanna.it/2013/04/i-criptopapisti/
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La prérogative du catholicisme est certainement représentée par sa capacité à composer en harmonie, à conduire à l'unité dans la vérité, et à ne pas imposer l'uniformité (si ce n'est pas dans la foi et dans ses expressions). C'est catholique de saisir les différentes nuances, y compris dans la personne du pape et dans son exemplarité. Personne ne peut s'étonner, par conséquent, qu'il y ait des opinions différentes, apparemment contradictoires, sur ce premier mois du règne de François. Bien sûr, je fais référence à des jugements sur ce qui ne concerne ni la foi ni la substance de la papauté. Commérages, rumeurs, soupçons et vilennies variées ne rentrent pas dans l'ordre de la charité, surtout quand il s'agit de juger l'action du Vicaire du Christ. Action qui, par ailleurs, peut être jugée, mais dans le sens de la confrontation, du discernement, de la pleine compréhension. Le Pape est bien conscient, comme tous les autres chrétiens, que des mots et des gestes peuvent se prêter à des lectures d'un genre différent. Et l'Eglise doit être consciente que ces mots et ces gestes doivent être intégrés dans un corps qui s'est développé au cours de deux mille ans, avec l'aide du Saint-Esprit. Parce que, bien au-delà du «sensus fidelium» et de l'assistance spéciale dont jouissent le Pape seul, et le Collège épiscopal avec le Pape, le divin Paraclet suscite des martyrs, des confesseurs, des docteurs.

Du reste, les paroles de Jésus sur l'Esprit qui conduit à la vérité toute entière, ne s'appliquent pas seulement aux dogmes et aux énoncés de foi. Sinon, on tomberait dans la possibilité de sectionner la foi, un peu comme si l'on voulait définir le mariage uniquement sur la base du lien contracté et de sa validité. Il est évident que cette donnée est le fondement de l'union conjugale. Mais le mariage est fait aussi de gestes et de mots qui transforment le principe en vie. Aujourd'hui, nous sommes très attentifs, et à juste titre, à cet aspect. Il est paradoxal que ce même principe, qui s'étend à tout ce qui est humain, soit délibérément ignoré quand il s'agit d'une réalité aussi complexe que notre foi. C'est aussi la vérité qui s'exprime dans la liturgie, dans la piété, dans la façon de comprendre la vie et de ses aspects. Appelez cela sensibilité de la foi, si vous voulez. En termes plus corrects, cela s'appelle la Tradition.

A cette sensibilité appartiennent également la fidélité au Pape, la prompte obéissance, la traduction diligente de ses désirs et de ses exemples en pratique de vie chrétienne; de la Basilique de Saint- Pierre à la paroisse la plus reculée de la Terre de Feu. C'est cela, le catholicisme! Il me plaît de rappeler non pas les mots célèbres de Sainte-Catherine de Sienne sur le doux Christ sur la terre, mais ceux moins connus, d'un jeune Angelo Giuseppe Roncalli, futur Jean XXIII, élevé au niveau de maître d'une pensée qu'il n'a jamais nourri ni cultivé.
Il a écrit dans son «Journal de l'âme »:« Si le Seigneur me donne une longue vie et manière d'être un prêtre de quelque profit pour l'Eglise, je veux que l'on dise de moi, et je m'en glofierai plus que de tout autre titre, que j'ai été un prêtre de foi vive, simple, d'un seul morceau, avec le Pape et pour le Pape, toujours, même dans les choses qui ne sont pas définies, même dans les plus petits moyens pour voir et entendre. Je veux être comme ces bons vieux prêtres de bergamasques (Roncalli était originaire de Bergame) d'autrefois fois, dont la mémoire vit dans la bénédiction et qui ne voyaient pas et ne voulaient pas voir plus loin que ce que voyaient le pape, les évêques, le bon sens, l'esprit de l'Église »(n. 407).
À ces propos, il est resté fidèle toute sa vie.
Comment a-t-il pu alors devenir l'image même de la rupture, cela reste à comprendre. Mais c'est une autre histoire.

Quel est donc le discours que je veux faire?
Depuis un mois, une bataille s'est déclenchée contre des catholiques les plus sensibles à la Tradition. J'admets que l'on est en présence d'un univers, souvent fragmentée, et que les positions ne sont pas toutes respectables. Les sots se disqualifient d'eux-mêmes! Mais cette volonté de tirer dans le tas a quelque chose de peu catholique, surtout adossée à un pontificat comme celui du pape Benoît.

Le discours qui est fait est très simple, mais aussi simpliste: si avant vous étiez enthousiasmés par le pape Benoît, maintenant vous êtes contre le pape, si seulement vous témoignez de la perplexité à l'égard de François.
Ce discours ne devrait pas faire un pli. Le Pape est le Pape, un point c'est tout! Mais cela ne convainc pas ceux qui l'énoncent. Jusqu'à il y a deux mois, en fait, ceux-ci étaient sur le pied de guerre contre le pape, qui plus ouvertement, qui moins effrontément. Certains ont même profité du récent Synode pour s'enlever quelques cailloux de leurs chaussures.
Se seraient-ils convertis? Il semble (la prudence est de mise) qu'avec ce pontificat, beaucoup de gens simple, les pauvres pécheurs, qui avaient des préjugés contre l'institution, revoient leurs jugements. Si cela est vrai, nous ne pouvons que chanter avec le psalmiste: «Grandes sont les œuvres du Seigneur». Mais nos accusateurs, qui n'ont jamais été simples, nous inspirent d'autres mots. Par exemple les sages propos d'un de nos vieux politiciens (ndt: Giulio Andreotti): «A penser mal, on pèche, mais presque toujours, on est deviné». Ils ont même eu recours à l'expression «papiste», la même utilisée par certains chrétiens pour condamner à mort les catholiques.

Mais où étaient-ils donc, ces «papistes» de la dernière heure? Dans quelles catacombes se cachaient-ils? N'étaient-ce pas eux qui s'opposaient au Magistère? N'ont-ils pas écrit des articles enflammés contre la fixation de Benoît sur la continuité? Pourtant, ils auraient dû remercier le Seigneur, étant donné leur papisme.
Aujourd'hui, ils devraient nous aider à distinguer qui de ces traditionalistes est catholique et qui ne l'est pas; à ne pas confondre les catholiques qui pensent comme le jeune Roncalli et ceux qui adoptent les mêmes critères de raisonnement qu'eux: qu'il s'appelle Benoît ou François, n'a pas d'importance. Ce qui importe, c'est qu'il raisonne comme moi! Une division de plus, et aussi marquée, n'édifie certainement pas l'Église. Je ne pense pas, toutefois, que ces cryptopapistes l'aient fait jusqu'à présent.
Il ne nous reste plus qu'à donner raison à notre Andreotti. On n'a même pas besoin d'aller se confesser, parce que dans ce cas, le péché n'est rien de plus que la lecture de ce qu'ils ont dit et écrit sans la moindre crainte de heurter la sensibilité de la foi et scandaliser les simples.