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Loi sur l'homophobie: vers le totalitarisme

Une proposition de loi du gouvernement italien veut introduire un délit d'homophobie dans le pays. Mgr Negri répond aux questions de Riccardo Cascioli, sur la Bussola (27/7/2013)

Depuis le 22 juillet, le Parlement italien débat d'une mesure contre les discriminations envers les LGBT. Il s'agit de modifier une loi italienne en matière de lutte contre les discriminations, la loi Mancino. Cette loi adoptée en 1993 condamne les actes de discriminations, les violences et les incitations à la haine fondées sur la religion, de l'origine ou de la couleur de peau. Aujourd'hui, elle pourrait donc être modifiée afin que l'homophobie et la transphobie y soient incluses et traitées.

En France (1), où la législation remonte à 2003, sous le tandem Chirac/Raffarin (!), l'information n'a guère mobilisé que quelques sites "communautaires", mais elle fait du bruit en Italie, dans les milieux catholiques... enfin, sur les sites que je fréquente!

Parmi ces derniers, le site de La Bussola, qui propose même une pétition en ligne (http://www.lanuovabq.it/it/sottoscrizioneCampagnaRaccoltaFirme.php ).
Le directeur, Riccardo Cascioli, s'entretient ici avec Mgr Negri qui, comme d'habitude, ne mâche pas ses mots (mais j'ai bien peur que l'optimisme de la dernière réplique ne soit de pure forme).

Interviewe de Mgr Luigi Negri

http://www.lanuovabq.it
Riccardo Cascioli
26-07-2013
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«Cette loi sur l'homophobie est très grave, c'est la défaite de la laïcité et l'émergence d'une nouvelle tendance totalitaire. Et dans tout cela, la chrétienté semble être absente».
Propos de Mgr Luigi Negri, évêque de Ferrare-Comacchio, dans cette interview avec La Nuova Bussola, premier pasteur italien à prendre une position claire sur cette tentative de faire passer avec une procédure d'urgence la loi anti-homophobie qui est une loi contre la liberté d'expression et contre la liberté religieuse
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- Mgr Negri, pourquoi une loi contre l'homophobie est-elle un fait très grave?
- En attendant, cette loi est un aveu d'impuissance de la part de l'Etat.

- Dans quel sens?
- Dans toute cette histoire, il y a des questions de fond qui sont réduits, voire oubliées. La première est que dans la conscience de l'homme de la rue - dont je suis - il n'est pas clair du tout pourquoi l'Etat doit défendre particulièrement une certaine catégorie de citoyens. Cette loi, en substance, dit qu'il y a des citoyens qui doivent être protégés dans leurs droits au-delà des droits dont chaque citoyen italien bénéficie du fait qu'il fait partie de la société italienne. Il est alors évident qu'il y a une faiblesse de l'Etat: c'est comme si l'État disait qu'il y a besoin de quelque chose d'exceptionnel pour permettre à ces citoyens italiens de vivre convenablement leurs droits de que citoyens. Ce qui me semble objectivement absurde. En tout cas, personne n'explique en quoi ces citoyens homosexuels - qu'ils le soient en pratique ou en théorie - doivent être particulièrement protégés. Et nous voudrions savoir quelles sont les raisons de la nécessité objective, culturelle, historique et sociale qui font qu'on invoque cette situation d'exception. Parce que même des situations de fait, héritage du passé et qui, en tout cas en Italie, sont un phénomène assez réduit, sont plus qu'autre chose signe d'incivilité et de barbarie que l'on aide à résoudre avec l'éducation et non avec les lois.

- Par ailleurs, on le fait avec une procédure d'urgence, laissant derrière des situations que chaque citoyen peut juger bien plus importantes:. la crise économique, le travail, la lenteur de la justice
- Et en effet, on ne comprend pas ce caractère d'urgence, une urgence telle qu'elle autorise la présentation d'un projet de loi qui - on le voit aux réactions - ouvre des scénarios difficiles. Et voici un deuxième point de gravité extrême, le chemin que l'on a choisi pour cette défense d'une catégorie particulière.

- Vous pensez au délit d'opinion?
- Exactement. Parce que le chemin que l'on a choisi finira plus ou moins par dissimuler dans notre pays le délit d'opinion. Et quiconque étudie, même rapidement, la réalité sociale et politique de l'Europe sait que le délit d'opinion n'est un signe ni de démocratie, ni d'une conception ample et sérieuse de la vie sociale. Dans ce cas spécifique, il arrivera que le seul fait d'expliciter les raisons pour lesquelles, en raison de convictions personnelles, sociales, culturelles, religieuses, on considère que l'homosexualité est une réalité non partageable, vous mettra dans une position de discrimination. Le catholique, par exemple, qui croit en toute bonne foi selon son expérience personnelle d'appartenance à la grande tradition de l'Eglise catholique que l'homosexualité est un désordre objectif, peut même être poursuivi car il mettrait en crise les droits de la minorité-majorité homosexuelle.

- En substance, vous dites que les discriminés, ce seraient par exemple ceux qui considèrent injuste le mariage entre personnes du même sexe.
- On ouvrirait une discrimination très grave de nature théorique, bien qu'aussi pratique, entre les différentes opinions présentes dans notre pays. Et cela nous ramènerait à une situation plus ou moins implicite de dictature. Je rappelle que la laïcité de notre vie sociale est confirmée explicitement par la Constitution, qui a mis fin à une période de dictature où les délits d'opinion étaient à l'ordre du jour. Aujourd'hui, on voudrait qu'une opinion, que des options de nature sociale, soient de fait privilégié par l'Etat, au point que ceux qui d'une certaine façon ont des objections de caractère culturel et religieux courent le risque d'être considérés comme coupable de crimes ou délits d'opposition à une croyance qui ne peut pas et ne doit pas être remise en cause. Dans une situation véritablement laïque et démocratique, il ne doit pas y avoir de positions qui ne peuvent être discutées, mais au contraire, elles doivent vécues en toute liberté dans une société qui précisément dans la diversité des positions trouve sa richesse.

- Pourtant, la Constitution interdit aussi des opinions.
- Certes, la Constitution a établi bien avant ce projet de loi qu'il y a des opinions qui peuvent et doivent être contestées par l'Etat, mais il s'agit de celles qui mettent parmi leurs principes et leurs objectifs la destruction de la situation culturelle et sociale dans notre pays. Ce n'est certainement pas le cas. Il semble donc évident que ces super-apôtres - si l'on peut utiliser cette expression - ces citoyens dont les convictions ne peuvent pas et ne doivent pas être remis en question, représentent une anomalie et presque une métastase dans la vie de notre société. Notre société vit si tous les citoyens italiens peuvent être vraiment libre de vivre, d'expliciter, de mettre en œuvre dans la vie sociale ces croyances - même les plus diverses - qu'ils ont rejoint par un chemin personnel de conscience, d'approfondissement, d'éducation, qui constitue leur identité profonde.

- En somme, vous pensez que cette loi, si elle est adoptée, nous ferait glisser dans une nouvelle forme de totalitarisme.
- Cela me semble un fait objectif qu'une tendance totalitaire dans la vie sociale de l'État est en train de se réveiller, parce que chaque fois que dans une situation sociale et politique, on privilégie une position au détriment des autres, qui sont en quelque sorte réduites lorsqu'elles ne sont pas niées, on crée une blessure dans la vie démocratique et laïque du pays. Je voudrais rappeler à ces messieurs, qui ont présenté ce projet de loi, et à plus forte raison à tous ceux qui se préparent à le discuter que le XXe siècle est terriblement riche d'expériences sociales dans lesquelles des citoyens ont été privés de leur liberté de vivre explicitement les convictions profondes de leur existence, et ont même été privés de la vie parce que leurs croyances étaient considérées comme négatives ou menaçantes pour l'état, qu'il soit fasciste ou communiste.

- Aujourd'hui, le laïcisme domine ... ...
- ... qui a un double visage: le visage d'un réalité qui a entrepris une longue lutte pour l'affirmation des principes fondamentaux de la laïcité du pays, de la société et de l'Etat; mais - et c'est indéniable historiquement, à moins de nier l'évidence - le laïcisme a aussi fait émerger cette tendance à caractère totalitaire sur le plan idéologique et politique, par laquelle des gens ont été privés de la possibilité d'exprimer leurs propres droits. Ceci tout simplement parce que leurs convictions ne coïncidaient pas avec les convictions de certains, que l'État - ou le Parti - avait faites siennes et considérait comme absolument indiscutables. Et ces croyances s'imposaient à tous les citoyens par la force de la violence d'Etat.

- Il faut toutefois dire que même parmi les catholiques, il ne semble pas y avoir un jugement clair et univoque.
- Il ne fait aucun doute que, tandis que le pays s'est engagé, par la volonté des législateurs et du Parlement dans un carrefour très délicat de sa vie sociale, il semble que la chrétienté italienne ne soit pas présente. Et par chrétienté, je veux parler de la réalité institutionnelle de l'Église, les groupes laïcs, les associations, l'ensemble du peuple de Dieu qui vit maintenant en Italie, sans désigner de responsabilité plus ou moins grande. La chrétienté n'est pas présente avec une clarté de motivation, avec une clarté d'identité. La liberté est une valeur absolument unique et indivisible, il faut travailler pour sa propre liberté - Jean-Paul II nous y a invités - parce que travailler pour sa propre liberté, c'est travailler pour la liberté de tous, accepter de réduire ou de perdre sa propre liberté, c'est perdre ou réduire la liberté de la société tout entière.

- Vous dites qu'il n'y a pas une clarté de motivation, mais la Doctrine sociale de l'Église est très claire sur ces points.
- Nous aurons en effet toute la force du Magistère social qui n'a jamais consenti de remise face aux prétentions des institutions, quelles qu'elles soient, d'intervenir dans l'espace de la liberté de conscience. Les préférences culturelles, les préférences sexuelle, les pratiques sexuelles sont une réalité qui tient à la liberté de la conscience individuelle, personnelle, de groupe, elles ne sont pas de la responsabilité de l'État. Si l'Etat intervient, peu importe si c'est pour défendre ou attaquer les conceptions et les pratiques de caractère personnel ou sexuel, il commet l'erreur de placer son action dans les domaines où il ne peut pas et ne doit pas intervenir. Dans cet épisode de la loi sur l'homophobie, ce qui est en jeu, c'est la liberté de conscience personnelle et sociale, c'est la laïcité de l'Etat. Pour la chrétienté italienne, c'est une grande opportunité pour un témoignage commun.

- Vous voulez parler de la nécessité d'une bataille?
- Il ne faut pas être gênés par des termes qui suscitent une idiosyncrasie absolue et motivée - bataille, confrontation, et ainsi de suite - mais il faut certainement un témoignage commun de la chrétienté. C'est justement la passion pour notre identité de foi qui nous rend passionnés pour la vie et la démocratie du pays. Comme l'a rappelé Jean-Paul II dans l'extraordinaire troisième partie de Redemptor hominis, c'est justement par l'expérience de foi ecclésiale que nous vivons, que nous sommes de bons chrétiens et d'authentiques citoyens de notre pays, sans aucune réduction et sans aucune discrimination.

- Vous croyez que le Parlement peut encore changer d'avis?
- Ce qui est en jeu est fondamental, et j'espère donc que ce qui l'emportera, c'est cette chose fameuse que Manzoni disait s'être perdue ou s'être cachée pendant la grande controverse sur la peste à Milan: le bon sens. Il me semble que nous avons besoin d'une forte injection de bon sens de la part de tous ceux qui sont impliqués dans cette affaire, qu'il n'y ait pas de déséquilibres de caractère démagogique, populiste, qui ne sont pas bons pour notre pays, déjà si éprouvé du point de vue de l'identité culturelle et sociale.

* * *

Note:

(1) Rappelons quelle est la situation en France.

Depuis le début des années 2000, plusieurs lois protègent les personnes homosexuelles. La loi de modernisation sociale, votée en 2002, interdit officiellement toute discrimination à l'embauche et dans le monde du travail basée sur le rejet des homosexuels. La loi du 18 mars 2003 introduit l'homophobie dans le Code pénal comme circonstance aggravante d'un crime ou d'un délit : "constitue une discrimination toute distinction opérée entre personnes (?) à raison de leur sexe, de leurs mœurs, de leur orientation sexuelle". C'est d'ailleurs sur ce même argument que la France a été condamnée, en janvier 2008, par la Cour européenne de Justice, pour avoir refusé l'adoption à une femme homosexuelle. Enfin, la loi du 30 décembre 2004 pénalise les propos liés au sexe ou à l'orientation sexuelle de la personne.

En cas de discrimination, les sanctions encourues peuvent atteindre trois ans d'emprisonnement et 45 000 euros d'amende. Les peines maximales pour injures homophobes sont de six mois de prison et 22 500 euros d'amende. Le député UMP du Nord Christian Vanneste a par exemple été condamné en appel en 2007 à 9 000 euros d'amende et de dommages et intérêts pour avoir tenu des propos homophobes dans des journaux. Sept des quatorze meurtres de personnes homosexuelles depuis 2002 ont fait l'objet d'un procès. Cinq ont abouti à des peines allant de douze à vingt ans de réclusion criminelle.