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Nadal et les hommens

Une réflexion de Carlota autour de l'irruption d'opposants au "mariage pour tous" sur le court central lors de la finale de Roland Garros. Nadal est l'un des contributeurs à l'ouvrage collectif en espagnol "Hablando con el Papa". (12/6/2013)

Les hommen

Je devrais dire "Nadal et les Hommen", car je vais parler du mouvement spontané et non structuré qui depuis quelques mois “perturbe” pacifiquement non sans panache et imagination le quotidien de forces de l’ordre en tous genres, pour protester contre la loi Taubira et tout ce qui va avec.

Hommen, bien sûr, par analogie à Femmen. Mais là s’arrête la comparaison, et ne serait-ce que par une petite différence de chromosomes, n’en déplaise aux idéologues du genre et à leurs supplétifs.
Certes l’on peut plus ou moins apprécier ce qui a fait au départ la « marque de fabrique » des Hommen, qui est celle de prendre le langage de l’ennemi, comme le « mariage pour tous » a « engendré » la « manif’pour tous ». En effet j’ai toujours tendance à penser qu’utiliser le langage de l’adversaire, c’est déjà perdre au moins une bataille, la bataille culturelle. Mais d’un autre côté, quand le langage a été réduit, par l’ennemi, à sa plus petite expression pour faire taire l’adversaire, il faut peut-être au départ repartir de ce langage-là pour retrouver l’autre ?
Cette restriction ne m’empêche pas d’approuver ce qu’ils font pour faire entendre la voix de ceux qui ne peuvent pas parler, et en particulier leur dernière intervention sur l’enceinte « sacrée» de Roland Garros, au moment de l’affrontement final entre les deux grands joueurs du moment, les Espagnols David Ferrer et Rafael Nadal.

Et donc la dernière action hommenesque était médiatiquement géniale ! Oser pénétrer dans la « sacro-sainte » enceinte de Roland Garros, où certes s’affrontent des sportifs plein de talents et qui ne ménagent pas leurs efforts, mais qui a perdu depuis longtemps les caractéristiques des sports antiques où, outre la trêve entre deux guerres, la récompense des vainqueurs étaient une simple couronne de laurier. Je dirais donc plutôt la « sacro-sainte » enceinte du fric et du m’as-tu vu, de cette civilisation de l’homo utilis (produis, consomme, tais-toi et fais-nous gagner beaucoup d’argent) dans toute sa splendeur, avec en prime la retransmission mondiale, au prix de droits exorbitants, de l’échange d’une « baballe » entre deux quasi surhommes.

Entendons-nous bien, ce n’est pas aux joueurs de tennis que j’en veux, ni à ceux qui aiment regarder les joueurs de tennis à la télé; c’est à cette bulle financière sportive qui a pris des proportions inimaginables et même si nous savons que depuis les « circenses » antiques à Rome, les sesterces étaient loin d’y être absentes.

Bref voir arriver dans ce « temple sportif du fric » des Hommen hués par des spectateurs nantis appartenant pour beaucoup au Système, des hommes sortis de l’ombre, qui n’ont pas de nom, pas de visage, qui ne se battent ni pour la gloire, ni pour l’argent mais pour la famille traditionnelle et pour les enfants, et dont la récompense à court terme va être la garde à vue, voire peut-être un casier judiciaire et des problèmes d’emploi, cela mérite vraiment d’être salué bien bas.

On peut lire sur le site des Hommen (http://hommen-officiel.tumblr.com/) la lettre ouverte qu’ils ont adressée à leurs contemporains, David Ferrer (31 ans) et Rafael Nadal (27 ans) et qui commence ainsi :

Ami Ferrer, ami Nadal, merci pour ce match mémorable !
Nous sommes intervenus sur le court aujourd’hui pour défendre l’avenir des enfants de France en nous opposant au mariage et à l’adoption pour les couples de même sexe. Nous ne cherchions pas à déconcentrer les champions mondiaux que vous êtes. Votre match est mémorable ! […]

« Ami Nadal »

Je reviens plus particulièrement sur Rafael Nadal car il a fait récemment partie des 50 Espagnols qui ont accepté de réfléchir sur le legs de Benoît XVI dans le livre « Hablando con el Papa » que j’ai déjà eu l’occasion d’évoquer ici (En parlant avec le Pape).
Or sans doute sa participation n’est-elle pas la plus longue, ni la moins conventionnelle voire la moins politiquement correcte. Son nom plus que la teneur de son texte, est sans doute plus un « produit d’appel » pour faire découvrir le livre, mais ce joueur fameux a néanmoins accepté de laisser son nom.

Entre les pages 281 et 284, du livre « En parlant avec le Pape », sous le titre « La responsabilité d’éduquer », on trouve son témoignage, après l’extrait suivant d’un texte de Benoît XVI (discours du 23 février 2008 – réf Pensées sur la famille, Parole et Silence, Paris, p 66)

« Quelles règles devons-nous transmettre aux enfants pour les maintenir dans le droit chemin […]? Le problème est devenu plus difficile que jamais car nous ne plus sûrs des règles à transmettre ; parce que nous e savons plus quel est le juste usage de la liberté, quelle est la façon juste de vire […]. La désorientation de l’esprit moderne nous empêche d’être les indicateurs du chemin juste pour les autres […]. En réalité nous ne pouvons transmettre la vie de manière responsable si nous ne sommes pas en conditions pour transmettre quelque chose de plus que la simple existence biologique, c'est-à-dire un sens qui résiste aux crises de l’histoire, comme une espérance ferme qui soit plus forte que les nuages qui assombrissent l’avenir. »

Rafael Nadal, terminait sa réflexion ainsi (il ne fait aucune allusion particulière à sa vie spirituelle) ainsi :

« Je vais confesser un secret : dès mon enfance alors que je débutais comme joueur de tennis et que j’avais même gagné quelques tournois importants, ma "tribu" (*) a su m’inculquer que la seule chose que je savais bien faire c’était de faire passe une balle au dessus d’un filet avec force et quand c’était nécessaire avec précision. Et que j’avais besoin de quelque chose de plus. J’ai appris la leçon et je l’ai intériorisée, et elle m’a servi de guide tout le long de ma vie personnelle et professionnelle. J’ai su que l’important n’était pas seulement de bien jouer au tennis et faire passer la balle au dessus du filet. L’important c’était de se respecter et de respecter l’adversaire, prendre sur soi et s’entraîner chaque jour, être solidaire et décent, être patient et, quand c’est nécessaire, prudent, aider les autres, surtout les plus défavorisés, et s’engager solidairement, sans oublier la famille, les compagnons et les amis. En définitive, chercher le bonheur (**) de ceux qui vous entourent et à travers l’éducation contribuer à obtenir le bien être des individus qui font partie de la société. C’est cela l’avenir ».

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(*) De façon très politiquement correcte, R. Nadal a introduit son texte par un proverbe africain disant qu’à l’heure d’éduquer il faut d’abord éduquer toute la tribu, c'est-à-dire, toute la famille et le groupe social entier : parents, grand-parents, maîtres, frères, amis, voisins, compagnons, oncles et cousins….
Rafael Nadal est né à l’île de Majorque (Baléares) et est entraîné par son oncle. Après le tournoi de Roland Garros, la presse espagnole, a précisé qu’il allait se reposer dans son île natale.

(**) Nous en sommes toujours à cette utopie contemporaine qui parle de bonheur temporel et non pas de salut éternel, néanmoins, et évidemment, n’en voulons pas trop à notre joueur de tennis espagnol d’employer le langage d’aujourd’hui, celui des médias et même parfois de certains membres de l’Église catholique, même si c’est de cette erreur fondamentale que, sans doute, viennent beaucoup de nos maux d’aujourd’hui.

Sic transit gloria mundi

Je ne sais pas si David Ferrer et Rafael Nadal, liront la lettre des Hommen.
Mais cette lettre m’amène à me poser une question: jusqu’à quel point peut-on garder sa neutralité par rapport à un point crucial de civilisation ? Quand le déclic du non, « je ne peux plus admettre cela », devient-il assez fort pour que l’on rejette sa neutralité et tous les avantages qui vont avec, pour se jeter dans la bataille ? Mystère qui réside en chacun d’entre nous ? Et pourtant le non d’un seul homme peut entraîner le non de quelques autres, et puis et puis…

Ces hommes illustres de notre temps, s’ils disaient non et s’engageaient avec les Hommen, perdraient-ils à tout jamais leur renom de joueurs de tennis ou bien gagneraient-ils une célébrité plus grande encore et bien moins temporelle ? Est-il plus difficile d’aller se faire insulter comme « veilleurs » contre la loi « Taubira » quand l’on est un discret petit étudiant, un notable de village, une grand-mère sans histoire, et que l’on a toujours été très respectueux de l’ordre établi, que quand l’on appartient au monde médiatique ? C’est peut-être dans les deux cas, le premier pas qui est le plus dur. Après l’on commence à être porté par le sens de son engagement.

Il y a différents exploits, différents héroïsmes, ceux des stades et d’autres lieux bien éclairés par la notoriété et les livres d’histoire, et ceux des inconnus. Pouvons-nous penser que l’héroïsme des hommes célèbres est plus important que celui des inconnus, peut-être. Mais si la gloire peut s’acquérir, ce n’est pas celle que nous voyons durant notre passage terrestre, mais l’autre.

Loin de moi l’idée d’attaquer Rafael Nadal, lui qui a écrit quelques mots dans un livre rappelant l’immense legs de Benoît XVI, et dont le pays natal a adopté une loi « version Taubira » dès 2005, mais je constate que cet illustrissime sportif a peut-être été rappelé, l'espace de quelques secondes, à une autre réalité, par un Français sans nom et sans visage, un simple Homme(n)!