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Pie X, un vrai grand réformateur

Sandro Magister revient sur un récent article de l'OR - inspiré par lui - qui établit un parallèle entre Pie X (*) et François. Est-ce vraiment légitime? (26/8/2013)

Parmi les spécialistes des affaires vaticanes, Sandro Magister fait décidément bande à part. Il ne cède pas à la "françoismania", il a même, pour le nouveau Pape, un regard de plus en plus critique qui contraste avec son admiration pour Benoît XVI - une admiration-loyauté témoignée sans faille tout au long du Pontificat, et qui s'est concrétisée par la publication de trois livres rassembant et annotant les homélies du Pape émérite.
C'est lui qui a soulevé en premier (à ma connaissances) les lièvres fâcheux entourant la nomination de deux collaborateurs du Pape (un choix personnel de ce dernier, insiste-t-il), le prélat de l'IOR impliqué dans des relations homosexuelles Ricca, et la chargée de relation publique de la commission de contrôle de cette même IOR, l'italo-marocaine Chaouqui. Nous en avons parlé à plusieurs endroits.

Son dernier billet (chiesa.espresso.repubblica.it) ne déroge pas à cette ligne. Il y qualifie le prélat et le jeune femme d' "ennemis de l'intérieur"... "deux nominations qui ont été voulues et décidées par le pape François mais qui sont la négation vivante de son programme de nettoyage et de réforme".
Il affirme qu'après avoir plus ou moins botté en touche dans sa conversation avec les journalistes, dans l'avion au retour de Rio, "le pape François a été plus clair. Il a fait savoir à la secrétairerie d’état que Mgr Ricca 'restera à son poste' ".

Quant à la Chouaqui, c'est encore pire. Elle pourrait avoir été impliquée directement dans l'affaire des Vatileaks.
Tout est à lire ici, et j'ose imaginer que Sandro Magister n'affirme rien qui ne soit dûment documenté.

Ceci dit, le prestigieux blog multilingue <www.chiesa> est la version aboutie d'un autre, uniquement en italien, plus confidentiel mais d'autant plus intéressant, <Settimo Cielo> que je consulte régulièrement, et traduis parfois.
Voici le dernier article qui y est publié. Il fait écho à un article de <Chiesa>, publié le 8 août dernier, et intitulé La "segretariola" de François, le pape qui veut tout faire lui-même, où il revenait déjà sur " les malencontreuses nominations de Mgr Ricca et de Francesca Chaouqui".
L'article de l'OR doit être lu comme un nouvel épisode de la révolution hagiographique (à défaut de réformatrice) actuellement en cours dans les médias catholiques (sur Vatican Insider, Tornielli fait aujourd'hui un article sur les points communs entre François et Jean Paul Ier, à loccasion du 36e anniversaire de l'élection de Papa Luciani).

     

Voici un pape grand réformateur. Mais il ne s'appelle pas François
http://magister.blogautore.espresso.repubblica.it/
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Dans "L'Osservatore Romano", le 21 Août, l'historien Gianpaolo Romanato a tracé un profil de Pie X qui enrichit et complète une grande partie de ce qui a été publié il y a deux semaines dans "L'Espresso" et <www.chiesa>, sur les similitudes entre ce pape et l'actuel:

> La "segretariola" de François, le pape qui veut tout faire lui-même

"Ce qui rapproche les deux Papes - commence Romanato - ce sont les humbles origines, la provenance périphérique par rapport à Rome, l'éloignement de l'ambiance curiale, l'intolérance pour le triomphalisme ecclésiastique, le trait direct et immédiat, le style de vie sobre et humble, l'interprétation plus pastorale que magistèrielle du rôle pétrinien".
A l'époque aussi - dit l'historien - "l'élection d'un homme qui avait été curé de paroisse pendant près de vingt ans, venait du peuple, ne connaissait que les périphéries de l'Église et parvenait à mettre à son aise n'importe quel interlocuteur, fut une nouveauté qui bouleversa les habitudes paisibles du Vatican et fascina ses contemporains".

Mais outre les similitudes, les cinq mois écoulés à ce jour du pontificat du pape François - cinq mois riches d'annonces et d'attentes mais pauvres en réalisations et marqués par des acccidents - ont également fait entrevoir des différences significatives entre les deux papes.
Romanato écrit:

"Les onze années du pontificat de Pie X furent en fait un cyclone réformateur qui modifia profondément l'Eglise, l'équipant en vue des problèmes qui devaient se poser après la guerre, avec l'avènement des régimes totalitaires. Il abolit le droit de veto au conclave, révolutionna la curie, approuva le «Codex iuris canonici», réforma les séminaires et la musique liturgique, modifia profondément la piété chrétienne, encouragea la communion fréquente abaissant à six-sept ans l'âge minimum pour s'approcher de l'Eucharistie, laissa aller à son destin le Concordat avec la France (..) pour reprendre le contrôle total de l'épiscopat transalpin. Avec Pie X s'éteignit définitivement la tradition gallicane et commença cette saison heureuse de l'intelligentsia catholique française qui a duré jusqu'à Vatican II".

"A ces réformes de structure, qui enterrèrent définitivement l'Église de l'Ancien Régime, s'ajouta un coup de volant disciplinaire non moins énergique, commençant d'en haut: il envoya des visites apostoliques (c'est-à-dire des inspections) dans tous les diocèses et les séminaires d'Italie, il destitua de nombreux évêques déposés, il nettoya Rome des prêtres oisifs qui s'y étaient embusqués, les renvoyant dans leurs diocèses d'origine, il fit du cardinalat une titre de mérite et non une promotion automatique pour des rôles curiaux ou des sièges prédisposés (au cours de son pontificat, l'évêque de Padoue devint cardinal et l'archevêque de Florence ne le devint jamais), il redimmensionna la Curie romaine, dont il se méfiait, gouvernant l'Eglise à travers son secrétariat personnel.
"Sous la bonhomie vénitienne et les fréquentes boutades en dialecte se cachaient en somme un caractère de fer et une volonté indomptable, qui surent toujours tenir sous contrôle oppositions et résistances, beaucoup plus fortes qu'il n'y paraît de la littérature hagiographique surabondante qui a prospéré après sa mort".

La nomination du nouveau secrétaire d'Etat a été décidé par le Pape Pie X à la vitesse de l'éclair, et même le soir de son élection en tant que pape.
Rompant avec toutes les règles, Giuseppe Sarto Pape appela à ce rôle un prélat de trente-huit de noble famille anglo-espagnole, Raphaël Merry del Val, dont la très haute figure, décrite magistralement par le même Romanato dans un précédent article de "L'Osservatore Romano", suscita d'autres comparaisons avec l'actualité, ici aussi au profit de ce saint pape du début du XXe siècle. (ndt: il a déjà fait l'objet d'un article de Magister, dont j'avais parlé ici benoit-et-moi.fr/2010-I)

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Note
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(*)
Pie X (1835-1914), né Giuseppe Melchiorre Sarto à Riese en Vénétie (alors en Autriche-Hongrie) succèda à Léon XIII en 1903. Il a été béatifié par Pie XII en 1951, et canonisé en 1954