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Premiers jours de François

Le regard d'un allemand, Paul Badde, vaticaniste de Die Welt (31/3/2013)

A lire aussi entre les lignes, et peut-être avec la distance de l'humour.....

>>> D'autres articles de Paul Badde ici.

Pourquoi le Pape François ne peut pas s’agenouiller.
Il ne peut pas vraiment chanter, il ne s’agenouille pas, mais depuis son élection, le nouveau pape François n’a fait aucun faux pas ni émis de fausses notes.
Texte en allemand: http://www.welt.de.
Traduction Anne-Claire
(Paul Badde – Die Welt, 30 mars)
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Jean-Paul 1er, au début de l’automne 1978, est entré en 33 jours dans l’histoire comme le Pape «du sourire».
François est apparu depuis le 13 mars aux yeux du monde comme le Pape rieur.
Dans ce froid printemps, il n’a fait aucun faux pas, et n’a prononcé ni chanté aucune fausse note.
Parce qu’il n’a pas d’oreille, comme il dit, et qu’il ne peut donc pas chanter, lors des temps forts de la messe, il parle. Il réserve le chant uniquement aux moments pour lesquels c’est incoutournable pour un pape.
En raison de problèmes d’articulations et de dos, il ne peut pas s’agenouiller durant les moments les plus sacrés, notamment la communion. Aussi, s’incline-t-il très profondément dans ces moments, comme nous ne l’avons vu faire encore à aucun pape. Juste après son élection, il s’est présenté à la loggia de Saint-Pierre devant la foule des catholiques, dont il était devenu le pasteur suprême, et a demandé leur bénédiction.
Il n’est pas aussi à l’aise que ses érudits prédecesseurs avec les langues étrangères et s’en tient donc à l’Italien, lorsque cela est possible. Mais lorsqu’il s’agit des textes sacrés de la liturgie, tout comme ses prédecesseurs, il ne s’écarte pas d’un iota du Latin. « Le renard a sa tanière, et chaque oiseau, son nid », dit-il en citant l’évangile lors de sa première audience générale du mercredi sur la place Saint-Pierre, « mais le Fils de l'homme n'a pas où reposer sa tête. » Sa conclusion : Dieu habite avec son peuple. « Le peuple est la vraie maison de Dieu. » C’est la théologie de Joseph Ratzinger dans le texte, mais avec un ton nouveau.

Elevé côte à côte avec les Juifs
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Après un prédecesseur venu de la patrie de la Réforme et un autre de ce pays « lointain », dont les cardinaux ont fait venir Karol Wojtyla à la suite de Saints Pères latins, c’est à Jorge Mario Bergoglio d’être appelé maintenant de l’autre bout du monde au sommet de l’Eglise. Et ce, bien qu’il n’ait jamais cherché à devenir Pape. Cependant, depuis son élection, il remplit sa fonction avec un grand naturel.
Après ces prédecesseurs issus de deux pays européens, dans lesquels l’Holocauste a été planifié et exécuté, il vient d’un pays, où il a grandi côte à côte avec les Juifs. Dans le « barrio » (quartier) Once de Buenos Aires, ces derniers ont leur foyer dans ce qui est sans doute le quartier juif le plus important en dehors d’Israël. En conséquence, ses bons vœux au Grand Rabbin de Rome pour la fête de Pessa'h étaient tout naturels.

Il sait commander
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De Buenos Aires vient la réputation d’un homme toujours affable mais qui sait aussi commander.
Cela devrait être très utile au Vatican pour l’ancien Provincial des Jésuites d’Argentine. Il l’a déjà mis en avant le 13 mars avec un de ses tout premiers actes de gouvernement. Quelques minutes après son élection – encore dans la Chapelle Sixtine et devant les yeux et sous les applaudissements de tous les cardinaux – à 19 heures, il a remis (virtuellement) la barrette pourpre de cardinal à l’archevêque Lorenzo Baldissari, 72 ans, qui a été nonce au Brésil, au Népal, en Inde, au Paraguay et à Haiti et qui a été le secrétaire du Conclave (ndt: cf. Magister ici) . « Tu es déjà à demi cardinal », lui aurait dit le Pape François. Sur la Loggia, Baldissari se tient juste derrière lui.
Depuis, plusieurs observateurs voient dans le néo- cardinal « provisoire » et diplomate globe-trotter un successeur idéal au cardinal Bertone, le très loyal et pieux, quoique bien malchanceux Secrétaire d’Etat de son prédecesseur, que Benoît XVI a dû si souvent défendre. Le nouveau Pape venu de la Pampa devra très vite être à même de retourner ce type de situations.
Il a quelque chose d’un leader de groupe musical, sur la Papamobile, qui arrive à diriger les basses avec une de ses jambes et les violons du bout des doigts. Il a le sens instinctif du geste qui sera compris automatiquement. Le jeudi saint, il a fêté la veille du 44ème anniversaire de son ordination avec de jeunes prisonniers et d’anciens dealers, femmes et hommes, dont il a lavé et embrassé les pieds dans une maison d’arrêt en banlieue. Il plaisante avec le pompiste et présente aux gardes suisses, qui le protègent dans sa résidence du Vatican, une chaise pour se reposer devant la porte.

Un atout dans sa manche : le pape émérite
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C’est là que l’archevêque Gänswein, en qui il a toute confiance, devra lui organiser très prochainement de petites audiences. L’entente entre les deux semble parfaite. Le secrétaire de son prédecesseur est la courroie de transmission entre François et Benoît XVI, auquel Gänswein a juré la loyauté jusqu’à la mort dans la chapelle Sixtine le 19 avril 2005.
Il devra se tenir à ce serment, et diriger, avec loyauté et sans aucune ambition, la Préfecture de la Maison Papale avec autant de souplesse qu’une Jésuite expérimenté. Il sert de passeur. Il connaît tout un chacun au Vatican et, en tant que collaborateur privilégié de Benoît XVI la totalité du Dossier des Cardinaux légué par Benoît XVI, que François doit étudier en priorité.
L’atout maître dans la manche du nouveau pape est bien le pape émérite. La rencontre, l’entretien et le déjeuner de Castel Gandolfo samedi dernier étaient profonds et chaleureux – et ce ne sera sans doute pas les derniers. C’est cependant une absolue nouveauté.
Evidemment, comme le montre l’histoire de l’Eglise, il y a déjà eu plusieurs papes, cependant ils étaient toujours en conflit l’un avec l’autre. Jamais auparavant, il ne s’est trouvé la situation où le successeur s’est montré amical avec son prédecesseur.
Maintenant, nous devons attendre une sorte de papauté à deux sièges en interne, comme cela ne s’est jamais produit avant, lorsque Benoît XVI reviendra au Vatican à l’été, invisible aux yeux de tous, sauf très certainement de son affable successeur (cf. Changement de "communication").
Joseph Ratzinger apparaît déjà, comme il le fut il n’y a pas si longtemps pour Jean-Paul II, comme le meilleur conseiller à ses côtés.
Ce service mis à la disposition du Pape François encore une fois aujourd’hui est absolument sans précédent.