Sortir aux périphéries du monde
La Semaine Sainte de François, vue par JL Restan. Traduction de Carlota (3/4/2013)
Sortir aux périphéries du monde
José Luis Restán
http://www.paginasdigital.es
01/04/2013
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Première Semaine Sainte avec François. En ces jours où le monde a regardé Rome avec une évidente expectative, peut-être comme on ne l'avait pas vu depuis longtemps; une autre affaire est d’avoir vraiment écouté ce qu’a dit le Successeur de Pierre.
Le phénomène est curieux : une lune de miel médiatique avec le nouveau Pape, comme on n’en a pas vu peut-être en cinquante ans, mais aussi une suspicion croissante dans des cercles ecclésiaux non négligeables, quoique pour le moment peu actifs.
Ce qui est curieux c’est que tant la lune de miel que l’irritation sourde ont leur origine dans une construction virtuelle. La réalité semble être l’unique chose qui n’importe pas.
Dans les jours qui ont précédé la Semaine Sainte a été diffusé le texte qu’a lu le cardinal Bergoglio au cours des Congrégations Générales précédant le Conclave (1), un texte bref mais fort qui révèle le vrai visage du Pape François.
L’homélie de la Messe Chrismale, prononcée en face du clergé de Rome, a été un premier développement de ces notes manuscrites qui, en pleine lumière, ont produit un choc authentique dans la salle. Celui qui était alors l’archevêque de Buenos Aires affirmait que « l’Église était appelée à sortir d’elle-même et aller vers les périphéries, non seulement géographiques, mais aussi les périphéries existentielles : celles du mystère du péché, celles de la douleur, celles de l’injustice, celles de l’ignorance et de l’abstention religieuse, celles de la pensée, celles de toute misère ». Et d’ajouter que « lorsque l’Église ne sort pas d’elle-même pour évangéliser elle devient autoréférentielle et alors elle s’enferme ».
Le Pape François veut une Église tournée entièrement vers la mission, mais en plus il considère que les maux dont souffrent les différentes réalités ecclésiales ont leur racine dans le narcissisme, dans un être continuellement replié sur ses problèmes propres. Et en pensant au profil du nouveau il le définissait de cette façon sans équivoque : « Un homme qui depuis la contemplation de Jésus Christ et depuis l’adoration de Jésus Christ aide l’Église à sortir d’elle-même vers les périphéries existentielles, qui l’aide à être la mère féconde qui vit de la douceur et la joie qui conforte d’évangéliser ».
Dans l’homélie de la Messe Chrismale, le Pape a expliqué à ses prêtres de Rome en quoi consiste ce « sortir vers la périphérie » qui est déjà une clef de voute de sa prédication. François a donné comme défi à ses curés d’ « expérimenter » le pouvoir et l’efficacité rédemptrice de la foi dans les périphéries où il y a souffrance, aveuglement et esclavage. Et il a introduit une correction radicale à beaucoup de styles pastoraux. : « Ce n’est pas précisément dans des auto-expériences ni dans des introspections réitérées que nous allons trouver le Seigneur…vivre notre vie sacerdotale en passant d’un cours à un autre, d’une méthode à une méthode, ce qui nous porte à nous faire pélagiens (2), à minimiser le pouvoir de la grâce qui s’active et croît dans la mesure où nous sortons avec foi pour nous donner et donner l’Évangile aux autres ».
À ceux qui pensent que nous sommes entrés dans une phase de relaxation ou d’adaptation au siècle, il serait bien de relire ce dur passage adressé aux prêtres qui se transforment en gestionnaires : « De là provient précisément l’insatisfaction de certains, qui finissent tristes, de tristes prêtres, et transformés en une espèce de collectionneurs d’antiquités ou bien de nouveautés ».
Et cela n’a pas qu’à voir avec les prêtres. Il y en a beaucoup ces jours-ci qui se fâchent ou hallucinent parce qu’ils agissent bien comme des collectionneurs d’antiquité (sans accepter que le Seigneur conduise son Église à travers le flux et le reflux des temps en suscitant toujours la surprise qui nous déconcerte) ou bien de nouveautés (en pensant que le futur dépend de plans extravagants qui conduisent presque toujours à ce que déjà signalait l’apôtre : « ne vous adaptez pas à ce monde).
Tout ce que dit François ces jours-ci est l’antithèse d’une Église conçue comme ONG pieuse, tranquillement affirmée dans la culture du relativisme. Au contraire il s’enfonce dans le sillon déjà ouvert par le Concile et labouré profondément pas les prédécesseurs de François, Jean Paul II et Benoît XVI. Il est important de rappeler sur ce point ce qu’a dit le Pape Ratzinger lors de sa visite au Portugal : nous contenter de ce que nous avons déjà est une forme anticipée de mourir et l’Église doit apprendre (et elle apprend chaque jour) de nouvelles formes de se faire présente dans le monde en changement permanent, inconséquent et hautain mais assoiffé de Dieu.
Le Pape François ne cache pas non plus que cette mission ne sera pas un chemin de roses, ni ne jouira de l’applaudissement du monde (malgré ce qu’il peut en paraître aujourd’hui).
Il l’a dit dès le début même de son pontificat, ce chemin, l’édification de l’Église, ne peut être mené à bien que sur la fondation de la croix.
Il l’a répété devant des milliers de personnes dans l’imposant cadre du Colisée : « La Croix de Jésus c’est la Parole avec laquelle Dieu a répondu au mal du monde…une parole qui est amour, miséricorde, pardon. Et aussi jugement : Dieu nous juge en nous aimant. Rappelons-nous cela : Dieu nous juge en nous aimant. Si j’accueille son amour je suis sauvé, si je le rejette je me condamne, non à cause de lui, mais de moi-même, parce que Dieu ne condamne pas, Lui seul aime et sauve ».
François a fait culminer cette première Semaine Sainte avec une belle prédication en la Veillée Pascale, en parlant au cœur dans le besoin des hommes de notre temps du Fait qui fonde l’espérance chrétienne: les femmes s’en allèrent au sépulcre mues par l’affection et la piété envers le Maître aimé, mais sous le poids de la déception et de l’angoisse.
Peut-être comme tant d’hommes et de femmes au cœur sincère qui cherchent à vivre d’une manière droite mais en pensant dans le fond que le cadre de l’échec et de la mort est le sceau définitif de toute aventure humaine. Mais en arrivant, ce « simple geste », - le fait d’aller au sépulcre - , se transforme en une affaire, en un événement qui change véritablement la vie. Rien n’est déjà plus comme avant, non seulement dans la vie de ces femmes, mais aussi dans notre vie et dans notre histoire de l’humanité. Jésus n’est pas mort, il a ressuscité, il est le Vivant. De cet « événement » est née cette histoire incroyable qui s’appelle l’Église, et qui malgré toutes les prophéties continue à dire à tous aujourd’hui, par la bouche de François : « Les problèmes, les préoccupations de la vie quotidienne tendent à ce que nous nous enfermions en nous-mêmes, dans la tristesse, dans l’amertume… et c’est là qu’est la mort. Nous ne n’y cherchons pas Celui qui vit. Accepte alors que Jésus Ressuscité entre dans ta vie, accueille-le comme un ami, avec confiance : « Lui, il est la vie ! Si jusqu’à maintenant tu as été loin de Lui, fais un petit pas : il t’accueillera les bras ouverts. Si tu es indifférent, accepte le risque : tu n’en resteras pas avec ta déception. Si cela te semble difficile de le suivre, n’aies pas peur, fais-Lui confiance, sois sûr qu’il est près de toi, qu’il est avec toi, et il te donnera la paix que tu cherches et la force pour vivre comme Il le veut ». L’aventure va continuer.
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Notes de traduction et remarques complémentaires
(1) La presse hispanique a révélé que le cardinal cubain Jaime Ortega avait demandé au cardinal Bergoglio s’il pouvait lui donner le texte de son allocution d’avant le Conclave, et lui a demandé l’autorisation de le diffuser, une allocution qui aurait eu toute son importance pour son élection ultérieure. Le cardinal Bergoglio, lui a remis le lendemain le document manuscrit que l’on peut voir ici dans un article du journal espagnol ABC .
Explications sur le blog de Jeanne Smits (ici).
(2) Ce mot « pélagien » semble souvent employé par le Pape François, de Pélage, moine d’origine « bretonne », - Bretagne romaine (Saint Augustin en parlant de lui emploi l’adjectif « Britto »), né vers 350, d’origine modeste, il arriva à Rome alors qu’il avait entre 30 et 40 ans, il connut alors un véritable engouement de la part de l’aristocratie romaine, en prêchant l’ascétisme .Dans un monde en décadence, il apportait sans doute aux personnes qui avaient tout mais aussi encore quelques vertus, un souffle de pureté…et peut – être aussi d’ « ostensible pauvreté ». Mais, mais le message de Pélage était que tout Chrétien peut atteindre la sainteté par ses propres forces et par son libre arbitre, une définition qui pouvait effectivement plaire aux fiers et élitistes Romains mais une hérésie qui niait la grâce et le péché originel. Et pourtant l’homme n’est que créature de Dieu et pas Dieu…
(3) En lisant ce texte de José Luis Restán, je reviens à deux actualités de notre pauvre pays qui s’appelle encore France.
¤ L’affaire Cahuzac : Il est assez comique de voir les « ligues de vertu » y compris présidentielle s’évanouir d’indignation à l’évocation de ce ministre français « félon », du budget par-dessus le marché, ce Cahuzac, un abominable menteur qui a nié avoir un compte bancaire en Suisse et avoir fait de l’évasion fiscale (est ce choquant pourtant de vouloir quitter un enfer pour gagner un paradis ?!). Ces mêmes indignés aux salaires (le plus souvent tirés de nos impôts) de députés, de ministres ou d’élus locaux, voire de vedettes ou de journalistes, font depuis toujours la promotion des mensonges les plus gros et les plus éhontés, afin de détruire par idéologie ou cupidité notre pays, en s’attaquant aux familles de France (lois anti natalité et anti-préservation du socle familial), en vendant son patrimoine, en bradant sa justice, son armée, sa système monétaire et bancaire, en reniant sa civilisation millénaire, en luttant sans relâche contre sa Religion, bref tout ce qui pourrait lui permettre de survivre. Grotesque ! L’affaire Cahuzac est une non-affaire !
¤ La manif’ pour tous le 24 mars à Paris : c’était dans mon esprit d’abord la marche pro-famille bien plus que la marche contre la loi Taubira stricto sensu qui n’est que l’un des derniers avatars de la culture de mort déjà prônée depuis plusieurs décennies par les politiques et bien pensants évoqués ci-dessus (une culture de mort mondialiste). Les organisateurs, et plus particulièrement Frigide Barjot, ont dit et redit que toutes les confessions étaient présentes mais n’ont fait monter sur leur podium que des représentants es-confession, qui n’étaient pas catholiques ou « ne montaient pas en tant que catholiques ». Or il est évident que l’immense majorité du million et demi de marcheurs étaient de culture catholique, voire des catholiques pratiquants. De nombreux prêtres, religieux (et des évêques) étaient là aussi bien visibles. Personnellement, - je n’ai pas connu la marche pour l’école dite libre de 1984, mais je n’avais jamais vu de ma vie autant de religieux catholiques en habit (soutane ou col romain) que le 24 mars dernier, pour une manif bien politique ou pour le moins qui revendiquait de s’opposer à une décision totalement politique ou alors notre gouvernement et nos parlementaires, ils sont quoi ?!
Alors ? Une Eglise autoréférentielle ou une Eglise dans la rue, avec de pointes de lance acérées et bien reconnaissables, mais aussi d’autres plus émoussées mais pouvant encore et aussi participer à la mission d’évangélisation, des pointes qui doivent sans doute être ré-aiguisées mais qui existent.
Les catholiques sont dans le monde mais pas de ce monde, sinon ce sont des imposteurs ou des personnes ignominieuses trompées. Dans ce dernier cas, elles doivent être protégées et averties des faux prophètes par leurs pasteurs … Que ces pasteurs qui ne s’en étaient pas encore rendu compte se réveillent ! La vérité doit continuer à être proclamée et elle ne doit pas se contenter de succédanés. Et ceux qui trompent, ont été trompés ou se sont trompés ont toujours la possibilité de faire machine arrière, par la grâce de Dieu.