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Une lettre d'un lecteur canadien

"J’aimerais partager deux réflexions personnelles. La première sur la question de la communication du nouveau pontificat, la seconde sur la question de la rupture"... (1er/4/2013)

     

Je reçois d'un lecteur canadien un message (apprécié!) dans lequel je crois percevoir quelques reproches - ou au moins quelques nuances de correction - au billet publié avant-hier sur la nouvelle communication du Vatican (cf. Changement de "communication"). J'accueille bien volontiers les nuances, même si je ne change pas d'avis sur le fond.
Le message en question est remarquablement argumenté, et surtout positif, et je le reproduis ci-dessous, pour offrir matière à réflexion, - et surtout pas pour alimenter un quelconque "débat": je crois que c'est seulement l'avenir qui nous apportera les réponses aux questions que certains se posent sur les premiers pas de ce Pontificat déroutant par quelques aspects (1), que le grand diviseur a manifestement choisi, à travers ses supplétifs des medias, d'utiliser pour faire ce que son nom indique!
Il est certain que c'est seulement quand (et si...) François passera aux choses sérieuses, que l'on saura si la francescomania persiste. Je peux me tromper, mais je pense qu'elle se diluera dans l'indifférence des mêmes medias si (comme c'est hautement probable) l'enseignement moral du Pape reste ce qu'il doit être. Si les réformes de gouvernance vont dans le sens souhaité par les libéraux, il sera encensé. Dans tous les cas, il m'étonnerait beaucoup qu'il y ait dans l'avenir des campagnes de haine comme celles dont Benoît a été la cible, pour des raisons que j'ai déjà exposées à différents endroits.

Si le pape François est villipendé pour des raisons que je crois mauvaises, il trouvera en moi le plus loyal de ses défenseurs.
Pour le moment, il n'a vraiment pas besoin de moi: d'autres y pourvoient.

     

Bonjour Madame,

J’aimerais partager deux réflexions personnelles. La première sur la question de la communication du nouveau pontificat, la seconde sur la question de la rupture.

Je ne suis pas convaincu qu’il faille voir, de la part du Vatican, une forme de traitement discriminant entre Benoît XVI et François I dans la réactivité nouvelle et évidente du bureau de presse du Saint-Siège. Bien sûr, rapidement, on pourrait croire que l’appartenance à la Compagnie de Jésus que partagent le nouveau Pape et le directeur des communications, le père Lombardi, puisse avoir un lien. Certes, le Père Lombardi est certainement fier de voir un membre de son ordre accéder au siège de l’Évêque de Rome – rien de plus naturel – mais cela n’explique rien sur le fond.

Par contre, quand on tient compte des expériences malheureuses sous le pontificat de Benoît XVI et toutes les critiques qui ont été faites sur l’appareil des communications, n’est-il pas heureux de voir que les leçons commencent à porter fruit et que la « machine communicatrice » va désormais mieux faire son travail? N’est-ce pas ce que nous avons été plusieurs a appeler de tous nos vœux? À ce titre, l’arrivée du prêtre canadien Tom Rosica et de l’organisation Sel et Lumière n’y est pas pour rien. C’est un combattif aguerri aux techniques des réseaux sociaux et des média. Un article récent, du chroniqueur Raymond J. De Souza, apporte un autre éclairage que je vous invite à découvrir: http://www.catholicregister.org/columns/item/16069-let-the-communication-begin

Quant a la question d’un pontificat de rupture, pour l’instant, après le premier choc, j’accepte sans broncher la différence de style de notre nouveau Saint-Père, tout en chérissant le formidable (et providentiel) patrimoine légué par Benoît XVI (dont vous avez raison de dire que nous n’avons pas su en profiter assez). Chacun son charisme : François qui exerce naturellement sa charité sur le terrain; Benoît, exerce la sienne dans son œuvre littéraire. Les deux, au fond, n’étaient pas plus faits pour la gouvernance mais ils l’assument jusqu’au don de soi et en acceptant leurs limites personnelles (leur humilité a tous deux en témoigne). C’est l’essentiel.

J’aimerais vous donner un exemple de la continuité dans la diversité de leurs charismes. Le Pape François revient volontiers sur un thème qui lui est apparemment cher : aller vers les périphéries de l’existence pour servir et rendre témoignage à la vérité. Ce thème, il l’aborda plus tôt et plus en détail lors de la première audience générale le 27 mars dernier.

« Vivre la Semaine sainte en suivant Jésus pas seulement avec émotion, cela veut dire apprendre à sortir de nous-mêmes... pour aller à la rencontre des autres, pour aller vers les périphéries de l'existence, nous bouger, nous les premiers, vers nos frères et nos sœurs, surtout ceux qui sont les plus éloignés, les oubliés, ceux qui ont le plus besoin de compréhension, de consolation, d'aide ».

http://visnews-fr.blogspot.ca/2013/03/premiere-audience-generale-du-pape_27.html

S’agit-il d’une rupture avec ce que disait Benoît? Absolument pas et bien au contraire. Dans « Jésus de Nazareth », second tome de son triptyque (chapitre 2, le discours eschatologique du Christ, section « Le temps des Nations ») il rappelle un important conseil de Saint Bernard de Clairvaux au Pape Eugène III (je ne dispose que de l’édition américaine (c’est moins cher en anglais au Canada!):

« He reminds the Pope that his duty of care extends not only to Christians, but: “You also have obligations toward unbelievers, whether Jew, Greek, or Gentiles”».

Benoît XVI, Jesus of Nazareth – Holy Week, Ignatius Press, p. 44.

Pour en saisir la continuité, il faut lire et relire en méditant lentement ces deux textes – l’audience du 27 et le chapitre 2 du Jésus de Nazareth– en tenant compte du contexte suivant : nous sommes dans le « temps des Nations ». Ce conseil de Bernard de Clairvaux vaut toujours et ces deux pontifes s’y appliquent. Ici aussi, c’est l’essentiel.

Ce conseil s’adresse à l’Église, Peuple de Dieu de la nouvelle alliance dont la mission est d’avancer au large et d’évangéliser dans le cadre du concept de « temps des Nations ». Évangéliser donc, encore et à nouveau si nécessaire, à temps et à contretemps. Pour Benoît c’est prendre la plume plus souvent que le bâton du pèlerin. Sa voie, son charisme, est littéraire. Pour François c’est aller aux extrémités (physiques mais surtout spirituelles), à l’extrême bord de la frange du manteau du Christ qui couvre l’Humanité entière. Son charisme est son abaissement prononcé et médiatique. Les deux sont humbles et simples, et prennent soin de tous, croyants ou non, chrétiens ou non. Les deux rendent proche le Christ.

Bref, François le fait à sa manière. Entre les deux il y a continuité, bien que le style soit naturellement différent. Et si François nous demande maintenant de sortir de notre zone de confort et d’aller au-delà de nous-mêmes pour aller au devant de l’autre, c’est faire ce que nous demande Benoit dans son œuvre littéraire. Servir pour rendre témoignage à la vérité. Être le sel et la lumière du monde. Tout change avec le temps mais c’est toujours la même mission, supportée par la Tradition et le dépôt de la Foi.

Dans ces circonstances, notre vigilance de fidèles – fruit du don de prudence, de force et de conseil – doit quand même s’assurer que des forces obscures ne détournent l’arrivée du pontificat de François à des fins (herméneutique de rupture plutôt que de continuité) que François lui-même n’approuverais pas. En contrepartie, ne l’oublions pas, notre devoir est aussi de chercher la volonté de Dieu dans le pontificat actuel et d’être fidèles au Souverain Pontife puisqu’il nous est donné comme pasteur. Évitons les divisions.

Et surtout ne pas aller à contre courant de l’œuvre du Saint-Esprit, mais plutôt garder confiance et accueillir ce que nous apporte le Pape François dans la joie et l’espérance, la confiance et la charité. Et en plus nous avons tout l’œuvre de Benoit pour nous y aider!

Bref, quoique moi aussi je me sente poussé hors de ma zone de confort, je ne vois aucune herméneutique de rupture en François. Prions pour lui comme nous le faisons et l’avons fait pour Benoît, afin que le vrai Concile soit mis en branle. C’est l’occasion plus que jamais d’en redécouvrir tous les trésors. Pas ceux d’un certain « esprit du Concile » - véritable fumée de Satan – mais de l’Esprit Consolateur. Ces pontificats se complètent et s’enrichissent mutuellement.

« (…) [L’Église] ne vise qu’un seul but : continuer, sous l’impulsion de l’Esprit Consolateur, l’œuvre même du Christ, venu dans le monde pour rendre témoignage à la vérité, pour sauver non pour condamner, pour servir, non pour être servi. »

Vatican II, L’Église dans le monde de ce temps, section le service de l’Homme. Edition Fides, Montreal, 1967, page 175.

Courage! Avançons au large!

Jean-Paul V.

     

(1) Je m'en voudrais d'instrumentaliser les propos d'un ami, mais "Belgicatho" se pose lui aussi des questions: http://belgicatho.hautetfort.com/archive/2013/04/01/un-temps-de-repos-et-de-reflexion.html