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"Le Pape est un enfant"

Interviewe du journaliste et homme politique catholique - non 'adulte' - italien Renato Farina par Antonio Mastino, en 2011. Avant d'autres textes du même, issus de ce site (14/8/2013)

Le site Papalepapale et ses annexes est une pépite.
En y flânant, mon attention a été retenue (entre autres) par cette interviewe de Renato Farina (né en 1954, bio assez tourmentée, à lire précautionneusement sur wikipedia en italien). Comme je l'avais déjà cité dans ces pages, et qu'il avait écrit les choses parmi les plus belles et les plus sensibles que j'ai pu lire sur Benoît XVI (on peut ne pas apprécier, évidemment, et il faut garder à l'esprit ce qui apparaît immédiatement: Farina est un grand admirateur de JP II), je crois intéressant de re-proposer maintenant ces articles espacés dans le temps entre 2006 et 2011, et qui sont probablement passés inaperçus.

Je commence par un extrait (celui qui parle de Benoît XVI) de l'interviewe par Antonio Mastino. C'était en juillet 2011, juste avant les JMJ de Madrid. On était loin, alors, évidemment, d'imaginer que moins de deux ans plus tard, Benoît aurait démissionné. Mais les remarques sur son absence d'intérêt pour le gouvernement - qui sont évidemment un sentiment, pas un fait - ont rétrospectivement une valeur prophétique.

Le Pape est un enfant
Interviewe par Antonio Mastino

Renato Farina, entretien avec Il Mastino

http://www.papalepapale.com
22/7/2011
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- Des Papes, depuis le Concile, lequel préférez-vous?
- Wojtyla! Mais pour des raisons affectives. Je l'ai beaucoup aimé, je le connaissais, il nous a reçus, moi et ma famille. J'ai encore très présent à la mémoire le timbre de sa voix: cela semblait vraiment une voix venue du ciel et des profondeurs de la terre, de la profondeur de l'être... prenez par exemple sa première homélie Place Saint Pierre: j'étais là, et je me rappelle encore quand il a dit "ouvrez les portes au Christ, n'ayez pas peur", et la voix coïncidait avec le contenu, avec le témoignage. Et puis j'ai voyagé de nombreuses fois avec le Pape, quand il allait par le monde. J'étais frappé par la façon dont il priait: il faisait plier les genoux à tout le monde. J'étais vraiment ébloui par sa personnalité.

- Et la sainteté de Notre Seigneur régnante (sic!): vous l'avez déjà rencontré avant le Pontificat?
- Papa Ratzinger me plaît beaucoup, beaucoup. Je l'ai rencontré de nombreuses fois.

- Comment était-il?
- Lui, il est un enfant. Un enfant extrêmement intelligent. Il s'approche de Dieu avec la simplicité d'un enfant. Et sa logique est une logique enchanteresse, celle avec laquelle il parle des vérités de la foi. Alors que Wojtyla était un poète, qui faisait impression par sa force, la force de ses gestes et de son esprit, par la totale confiance qu'il avait en Dieu et que rien ne pouvait casser.

- Vous revenez toujours à Wojtyla, moi, je voudrais revenir à Ratzinger...
- J'utilise une expression qui n'est pas de moi. Papa Wojtyla étonnait, le cardinal Ratzinger s'étonne. Oui, c'est quelqu’un qui continuellement s'émerveille, s'étonne. Tu dis que je cite constamment Wojtyla: mais sans Ratzinger, il n'y aurait pas eu Wojtyla. Il avait une grande confiance dans le jugement de Ratzinger sur les choses, pour donner un cadre à ses pensées, parce que le polonais n'était pas un théologien, c'était un philosophe et un poète, et Ratzinger intégrait cela magnifiquement.

- Où Benoît XVI mène-t-il la barque de Pierre?
- Selon moi, il ne veut la mener nulle part. Il veut obéir jour après jour à ce qui lui a été confié par la Providence. Il a été choisi déjà âgé, et je crois qu'il a pensé que si Dieu l'a choisi, c'est pour qu'il mette à profit ses qualités dans la vie de l'Eglise: sa qualité est la doctrine. Evidemment, il a pensé qu'il ne devait pas s'improviser timonier de gouvernement, et en effet, il délègue beaucoup sur cela, sauf pour les grands choix. Il avait pour tâche d'être lui-même. Papa Ratzinger est l'homme qui est devenu pape en ayant derrière lui, en qualité et quantité, le plus grand nombre de contributions scientifiques du point de vue théologique.

- Donc, de fait, le Pontificat n'est pas seulement cela, il est aussi cet autre....
- Mais le pape continue à le dire dans ses interventions qu'il se sent en continuité avec le précédent pontificat. Bien que le tempérament soit différent. Lui, maintenant, du point de vue doctrinal, mais aussi du langage... dialoguant, didactique, il remet en place le langage de la foi.

- Comment parler à nouveau de Jésus, c'est cela qu'il fait...
- Ce qui me frappe beaucoup, c'est comment il le fait. Surtout quand il parle a braccio. J'ai été très frappé par la lectio divina qu'il a faite en rencontrant les curés de Rome: un discours a braccio, merveilleux (ndt: s'agit-il de la rencontre avec les séminaristes ici: http://benoit-et-moi.fr/2011-I; ou alors la rencontre avec le clergé http://www.vatican.va/). Il parlait justement de ce que cela signifie se convertir, et ce qu'est vraiment l'amour du Christ, avec une simplicité et une profondeur touchantes. Qu'est-ce qu'une vocation? Et il répond: "C'est quand quelqu'un est porté à faire ce qu'il n'aurait pas fait".

Bertone porte un poids que personne d'autre n'a eu
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- Et de sa curie, de la secrétairerie d'Etat, de la salle de presse de Benoît, avec toutes ses gaffes hallucinantes, quelle opinion vous-êtes-vous faite?
- Comme quelqu'un l'a dit: je ne pleure pas Wojtyla, mais je pleure Navarro Valls...

- ... Et Ruini (ndt: qui a précédé Bagnasco à la présidence de la CEI) ... et d'autres.... le passé qui est toujours plus rose?
- Je ne sais pas: il est facile d'être peu généreux. Disons que le cardinal Bertone a sur le dos des fardeaux que les autres n'avaient pas. Parce que le Pape ne sait pas, ne peut pas, ne veut pas s'occuper de certaines choses, et il délègue beaucoup.
Le gouvernement temporel ne l'intéresse pas, l'administration de la Curie, aujourd'hui comme aussi quand il était préfet ... et s'il devait vraiment s'y intéresser, même en intellectuel qu'il est, il ne saurait peut-être même pas le faire...
Bertone, naturellement, dans les grandes questions, entend Ratzinger, mais le Pape lui fait confiance, parce qu'il sait qu'en ces choses, il ne fera rien qui ne sera hors de l'enceinte de la foi et de l'orthodoxie. Et puis sans doute, il est facile de critiquer Bertone, parce que c'est un salésien, il ne jouit certes pas de la grande sympathie des intellectuels, en bon prêtre salésien. Pourtant, selon moi, il est très sous-évalué: les fruits positifs de son travail se verront bientôt.