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Une messe d'anniversaire...

et une homélie riche, pour une fois, de confidences personnelles. C'était le 15 avril 2007, à la veille du quatre-vingtième anniversaire de Benoît XVI (20/4/2013)

Le Pape relisait avec nous, pour nous, avec la délicatesse qui le caractérise, quelques-unes des étape d'une vie toute entière placée sous le signe de la miséricorde divine.

Des dizaines de milliers de pélerins, parmi eux, des cardinaux, des évêques, des diplomates étrangers (et même le ministre-président du land de Bavière, Edmund Stoïber) se sont rassemblées ce dimanche 15 avril Place Saint-Pierre pour prier avec le Pape qui demain fêtera son quatre-vingtième anniversaire (cf. http://beatriceweb.eu/Blog )

Voici l'homélie du Saint-Père:

     

Chers frères et sœurs,

selon une antique tradition, le dimanche d'aujourd'hui prend le nom de Dimanche "in Albis". En ce jour, les néophytes de la veillée pascale revêtaient une fois de plus leur habit blanc, symbole de la lumière que le Seigneur leur avait donnée dans le Baptême. Par la suite, ils devaient déposer leur habit blanc, mais devaient introduire la nouvelle luminosité qui leur avait été conférée dans leur vie quotidienne; ils devaient préserver avec soin la flamme délicate de la vérité et du bien que le Seigneur avait allumée en eux, pour apporter ainsi dans notre monde un peu de la lumière et de la bonté de Dieu.

Le Saint-Père Jean-Paul II voulut que ce dimanche soit célébré comme la Fête de la Divine Miséricorde: dans la parole "miséricorde", il trouvait résumé et à nouveau interprété pour notre époque tout le mystère de la Rédemption. Il vécut sous deux régimes dictatoriaux, et, au contact de la pauvreté, de la nécessité et de la violence, il ressentit profondément la puissance des ténèbres, qui menace le monde également à notre époque. Mais il fit également l'expérience, avec tout autant de force, de la présence de Dieu qui s'oppose à toutes ces forces à travers son pouvoir totalement différent et divin: avec le pouvoir de la miséricorde. C'est la miséricorde qui met une limite au mal. En elle s'exprime la nature toute particulière de Dieu - sa sainteté, le pouvoir de la vérité et de l'amour. Il y a deux ans, après les premières Vêpres de cette fête, Jean-Paul II achevait son existence terrestre. En mourant, il est entré dans la lumière de la Divine Miséricorde, dont il nous parle à présent de façon nouvelle, au-delà de la mort et à partir de Dieu. Ayez confiance - nous dit-il - dans la Divine Miséricorde! Devenez jour après jour des hommes et des femmes de la miséricorde de Dieu! La miséricorde est l'habit de lumière que le Seigneur nous a donné dans le Baptême. Nous ne devons pas laisser s'éteindre cette lumière; au contraire, elle doit croître en nous chaque jour et apporter ainsi au monde l'annonce joyeuse de Dieu.

Ces jours particulièrement illuminés par la lumière de la divine miséricorde coïncident précisément avec une occasion pour moi significative: je peux porter mon regard en arrière sur 80 années de vie. Je salue tous ceux qui sont réunis pour célébrer avec moi cet anniversaire. Je salue avant tout Messieurs les Cardinaux, avec une pensée particulièrement reconnaissante pour le Doyen du Collège cardinalice, Monsieur le Cardinal Angelo Sodano, qui s'est fait l'interprète qualifié des sentiments communs. Je salue les Archevêques et les Evêques, parmi lesquels les Auxiliaires du diocèse de Rome, de mon diocèse; je salue les Prélats et les autres membres du clergé; les religieux et les religieuses, ainsi que tous les fidèles présents. J'adresse en outre une pensée respectueuse et reconnaissante aux personnalités politiques et aux membres du Corps diplomatique, qui ont voulu m'honorer de leur présence. Je salue enfin, avec une affection fraternelle, l'envoyé personnel du Patriarche oecuménique Bartholomaios I, Son Eminence Ioannis, Métropolite de Pergame, en exprimant ma satisfaction pour son geste cordial et en souhaitant que le dialogue théologique entre catholiques et orthodoxes puisse se poursuivre avec une énergie renouvelée.

Nous sommes rassemblés ici pour réfléchir sur le déroulement d'une longue période de mon existence. Bien sûr, la liturgie ne doit pas servir à parler de son moi, de soi-même; toutefois, notre propre vie peut servir pour annoncer la miséricorde de Dieu. "Venez, écoutez que je raconte, vous tous les craignant-Dieu, ce qu'il a fait pour mon âme" dit un Psaume (65, [66], 16). J'ai toujours considéré comme un grand don de la Divine Miséricorde que la naissance et la renaissance m'aient été accordées, pour ainsi dire, le même jour sous le signe du début de Pâques. Ainsi, le même jour, je suis né membre de ma propre famille et de la grande famille de Dieu. Oui, je rends grâce à Dieu car j'ai pu faire l'expérience de ce que signifie la "famille"; j'ai pu faire l'expérience de ce que signifie la paternité, de sorte que la parole sur Dieu comme Père est devenue compréhensible pour moi de l'intérieur; sur la base de l'expérience humaine m'a été dévoilé l'accès au Père grand et bienveillant qui est au ciel. Devant Lui, nous avons une responsabilité, mais dans le même temps, Il nous donne confiance, car dans sa justice transparaît toujours la miséricorde et la bonté avec lesquelles il accepte également notre faiblesse et nous soutient, de sorte que peu à peu, nous pouvons apprendre à marcher droit. Je rends grâce à Dieu car j'ai pu faire l'expérience profonde de ce que signifie la bonté maternelle, toujours ouverte à celui qui cherche un refuge, et précisément ainsi, en mesure de me donner la liberté. Je rends grâce à Dieu de m'avoir donné ma sœur et mon frère qui, par leur aide, ont été fidèlement proches de moi le long du chemin de la vie. Je rends grâce à Dieu pour les compagnons rencontrés sur mon chemin, pour les conseillers et les amis qu'Il m'a donnés. Je rends grâce en particulier car, dès le premier jour, j'ai pu entrer et croître dans la grande communauté des croyants, dans laquelle est grande ouverte la frontière entre vie et mort, entre ciel et terre; je rends grâce d'avoir pu apprendre tant de choses en puisant à la sagesse de cette communauté, dans laquelle ne sont pas seulement contenues les expériences humaines depuis les temps les plus reculés: la sagesse de cette communauté n'est pas seulement sagesse humaine, mais en elle parvient à nous la sagesse même de Dieu - la Sagesse éternelle.

Dans la première lecture de ce dimanche, nous est raconté que, à l'aube de l'Eglise naissante, les personnes portaient les malades sur les places, afin que, lorsque Pierre passait, son ombre les couvrît: on attribuait à cette ombre une force de guérison. En effet, cette ombre provenait de la lumière du Christ et comportait donc quelque chose du pouvoir de la bonté divine. L'ombre de Pierre, à travers la communauté de l'Eglise catholique, a recouvert ma vie depuis le début, et j'ai appris que c'est une ombre bonne - une ombre qui guérit, car, justement, elle provient en définitive du Christ lui-même. Pierre était un homme avec toutes les faiblesses d'un être humain, mais surtout, c'était un homme plein de foi passionnée dans le Christ, plein d'amour pour Lui. A travers sa foi et son amour, la force de guérison du Christ, sa force d'unification, est arrivée aux hommes, bien que mêlée à toute la faiblesse de Pierre. Cherchons aujourd'hui également l'ombre de Pierre, pour demeurer dans la lumière du Christ!

Naissance et renaissance; famille terrestre et grande famille de Dieu - tel est le grand don des multiples miséricordes de Dieu, le fondement sur lequel nous nous appuyons. En poursuivant sur le chemin de la vie, je rencontrai ensuite un don nouveau et exigeant: l'appel au ministère sacerdotal. En la fête des saints Pierre et Paul de 1951, lorsque, avec quarante compagnons, nous nous trouvâmes dans la Cathédrale de Freising, étendus sur le sol et que tous les saints furent invoqués sur nous, la conscience de la pauvreté de mon existence face à ce devoir me pesait. Certes, le fait que la protection des saints de Dieu, des vivants et des morts, soit invoquée sur nous était un réconfort. Je savais que je n'aurais pas été seul. Et quel réconfort me procuraient les paroles de Jésus que, par la suite, au cours de la liturgie de l'Ordination, nous pûmes entendre des lèvres de l'Evêque: "Je ne vous appelle plus serviteurs, mais amis". J'ai pu en faire l'expérience profonde: Lui, le Seigneur, n'est pas seulement Seigneur, mais également ami. Il a posé sa main sur moi et ne me quittera pas. Ces paroles étaient prononcées alors que l'on conférait la faculté d'administrer le Sacrement de la réconciliation et ainsi, au nom du Christ, de pardonner les péchés. C'est la même chose que nous avons écoutée aujourd'hui dans l'Evangile: le Seigneur souffle sur ses disciples. Il leur accorde son Esprit - l'Esprit Saint: "Ceux à qui vous remettez les péchés, ils leur seront remis...". L'Esprit de Jésus Christ est la puissance du pardon. C'est la puissance de la Divine Miséricorde. Elle donne la capacité de recommencer depuis le début - toujours à nouveau. L'amitié de Jésus Christ est l'amitié de Celui qui fait de nous des personnes qui pardonnent, de Celui qui nous pardonne aussi, nous relève continuellement de notre faiblesse et précisément ainsi, nous éduque, diffuse en nous la conscience du devoir intérieur de l'amour, du devoir de répondre à sa confiance avec notre fidélité.

Dans le passage évangélique d'aujourd'hui, nous avons également écouté le récit de la rencontre de l'apôtre Thomas avec le Seigneur ressuscité: il est accordé à l'apôtre de toucher ses blessures et ainsi, il le reconnaît - il le reconnaît, au-delà de l'identité humaine de Jésus de Nazareth, dans son identité véritable et plus profonde: "Mon Seigneur et mon Dieu!" (Jn 20, 28). Le Seigneur a apporté avec lui ses blessures dans l'éternité. C'est un Dieu blessé; il s'est laissé blesser par l'amour pour nous. Les blessures sont pour nous le signe qu'Il nous comprend et qu'il se laisse blesser par l'amour pour nous. Comme nous pouvons nous aussi toucher ses blessures dans l'histoire de notre temps! En effet, il se laisse toujours blesser à nouveau pour nous. Quelle certitude de sa miséricorde et quel réconfort celles-ci signifient pour nous! Et quelle certitude nous donnent-elles sur ce qu'Il est: "Mon Seigneur et mon Dieu!". Et combien elles constituent pour nous un devoir de nous laisser blesser à notre tour pour Lui!

Les miséricordes de Dieu nous accompagnent jour après jour. Il suffit que nous ayons le cœur vigilant pour pouvoir les percevoir. Nous sommes trop enclins à ressentir uniquement la difficulté quotidienne qui nous a été imposée en tant que fils d'Adam. Si toutefois, nous ouvrons notre cœur, alors, nous pouvons, même plongés en elle, constater sans cesse également combien Dieu est bon avec nous; combien Il pense à nous précisément dans les petites choses, nous aidant ainsi à atteindre les grandes.
Avec le poids accru de la responsabilité, le Seigneur a apporté également une nouvelle aide dans ma vie. Je vois constamment avec une joie reconnaissante combien est grande la foule de ceux qui me soutiennent par leur prière; qui, avec leur foi et leur amour, m'aident à accomplir mon ministère; qui sont indulgents avec ma faiblesse, reconnaissant également dans l'ombre de Pierre la lumière bénéfique de Jésus Christ. C'est pour cela que je voudrais en cette heure rendre grâce de tout cœur au Seigneur et à vous tous. Je voudrais conclure cette homélie par la prière du saint Pape Léon le Grand, cette prière qu'il y a trente ans précisément, j'ai écrite sur l'image-souvenir de ma consécration épiscopale: "Priez notre bon Dieu, afin qu'il veuille en nos jours renforcer la foi, multiplier l'amour et accroître la paix. Qu'il me rende, moi, son misérable serviteur, apte à accomplir son devoir et utile à votre édification et qu'il m'accorde d'exercer mon service de telle sorte que, avec le temps donné, s'accroisse mon dévouement. Amen".
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