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La fin ne justifie pas les moyens

Une réflexion du Pr De Mattei, et en écho, un billet de Jean Mercier (4/10/2013)

A lire

Le dernier billet de Jean Mercier, (presque toujours très intéressant) sur l'hebdomadaire "La Vie" s'intitule de façon très explicite "Malaise dans la communication".
Il s'agit bien sûr de celle de François. Un comble pour un Pape qui semble faire de la "communication" le mur porteur de son Pontificat.

En gros, Jean Mercier soulève les mêmes perplexités que celles exprimées depuis maintenant de nombreuses semaines dans ces pages, et pas uniquement par moi (dont la voix ne compte pas) mais à travers de nombreuses traductions, choisies, je l'admets, à dessein: mais ces doutes n'ont-il aucun droit de cité, et leurs auteurs seraient-ils forcément d'affreux extrêmistes (de droite, bien sûr) ou de méchants sédévacantistes, avec lesquels on ne débat en aucun cas (il en va tout autrement avec les Scalfari et consort) mais pour lesquels on admet, non sans dégoût, qu'il faut juste "prier" (je n'invente rien!). De préférence derrière un mur, pour ne pas risquer d'être incommodé par des effluves pestilentielles. Je n'ai pas souvenir que les attaques (d'une toute autre ampleur) contre le Pontificat de Benoît XVI, venant de certains milieux qui n'étaient pas tous athées, aient suscité la même réprobation unanime que les timides critiques émises contre son successeur.

Donc, Jean Mercier est de plus en plus embarrassé. Etant à Rome ces jours-ci, il admet que le Père Lombardi lui-même n'était pas vraiment à l'aise pour répondre aux questions impertinentes (eh oui!) des journalistes accrédités auprès du Vatican, à propos des dernières improvisations papales.
Mais comme (je l'ai déjà écrit quelque part, parce que la référence vient spontanément à l'esprit), il faut à tout prix "sauver le soldat François", voilà l'explication, aasez tirée par les cheveux, que donne Jean Mercier. Il n'est pas le seul à la proposer. Et selon cette interprétation, pour François, "la fin justifie les moyens":

Jean Mercier

Pour l'instant, il manque à certains le logiciel qui nous permettrait de comprendre la volonté profonde du pape quand il en fait des tonnes et semble se distancier de son prédécesseur.
D'autres observateurs ont trouvé le logiciel. Ils soulignent au contraire que le pape, qui est très « politique » (=stratégique), sait très bien ce qu'il fait avec son plan média apparemment erratique, quitte à créer l'émoi chez certaines de ses troupes... La multiplication des interviews et autres coups de fil correspondrait à une très forte volonté chez François de se garantir un très fort capital de confiance et de sympathie auprès de la presse profane italienne avant de réellement passer à l'attaque pour faire le grand ménage : il est question que le pape frappe très fort au niveau de la Curie, « coupe » des têtes sans faire de sentiments, et démantèle au passage le lobby gay (paraît-il très nocif en raison des menaces de chantage qui peuvent faire s'effondrer le système). Les adversaires en interne de ce grand coup de nettoyage pourraient se déchaîner à travers la révélation des scandales, de façon à déstabiliser son entreprise. Pour se faire, le pape a besoin d'un très fort soutien médiatique pour limiter les dégâts, d'une Francescomania à toute épreuve, afin de réussir son opération « mains propres ». C'est ce qui expliquerait que ce jésuite fasse sa casuistique au grand jour, et non pas dans le secret d'un parloir, quitte à décontenancer les cathos classiques. Ceux-ci au fond, n'auraient guère de soucis à se faire, parce que le pape n'a guère l'intention de mener une politique ultra progressiste, et, même si sa rhétorique le laisse imaginer, il sera très fidèle à Benoît XVI sur le fond des choses.
Qui vivra verra.

En effet...
* * *

Je me rends régulièrement sur le site Corrispondenza Romana, pour y guetter les contributions du Pr De Mattei.
J'étais sur le point de traduire la dernière, mais... le travail était déjà fait, sur le site associé "Correspondance Européenne".
Pour ce que je comprends, il me semble que sa réflexion est une réponse aux "sauveurs du soldat François".
Le billet s'intitule "La fin et les moyens", et il est daté du 1er octobre, donc simultanément à la publication de l'interviewe de François par Scalfari.

Roberto de Mattei

Extraits
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Dans le monde déséquilibré dans lequel nous vivons, bien des erreurs de comportement naissent de la confusion des idées et des concepts. L’une des principales équivoques concerne le rapport entre la fin et les moyens des actes humains. Nous avons eu la possibilité d’expliquer pourquoi, pour un catholique, la fin, aussi bonne soit-elle, ne justifie jamais l’emploi de moyens illicites pour y parvenir. Il n’est pas possible d’accomplir le mal pour obtenir un bien. Le respect de la loi morale doit être absolu et ne peut tolérer d’exceptions.
Il existe cependant un autre principe fondamental de la vie chrétienne : celui selon lequel les moyens, aussi nobles et élevés soient-ils, ne prévalent jamais sur la fin, mais doivent toujours être subordonnés à cette dernière. Dans le cas contraire, on assisterait à une inversion de valeurs entre la fin et les moyens.

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La personne même du Pape, en tant que Vicaire du Christ, est la plus noble des créatures mais elle est un instrument et non une fin en soi. C’est en tant que telle qu’elle doit être utilisée si nous ne voulons pas renverser le rapport entre les moyens et la fin.

Il est important de le souligner à une époque où il existe, surtout parmi les catholiques les plus fervents, une grande confusion à cet égard. Le catéchisme nous enseigne qu’il faut obéir au Pape parce que l’obéissance est une vertu morale qui nous lie à la volonté du supérieur et, parmi toutes les autorités sur la terre, il n’en existe de plus haute que celle du Pape. Mais l’obéissance au Pape est aussi un instrument et non une fin en soi.

L’obéissance au sein de l’Église comporte pour le sujet le devoir d’accomplir non pas la volonté du supérieur mais uniquement celle de Dieu. C’est pourquoi l’obéissance n’est jamais aveugle ou inconditionnée. Elle a ses limites dans la Volonté de Dieu qui s’exprime au travers de la loi naturelle et divine et de la Tradition de l’Église, dont le Pape est le gardien et non le créateur.
La tendance aujourd’hui si largement répandue de considérer comme infaillible toute parole et tout comportement du Pape, naît d’une mentalité historiciste et immanentiste, qui recherche le divin chez les hommes et dans l’histoire et est incapable de juger les hommes et l’histoire à la lumière de cette loi divine et naturelle qui est le reflet direct de Dieu.
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Ceux qui utilisent vis-à-vis du Pape des paroles sarcastiques ou irrévérentes se trompent. Mais le respect dû au Vicaire du Christ ne s’adresse par à l’homme mais à Celui qu’il représente. À l’homme, au docteur privé, il est même possible, dans des cas exceptionnels, de résister. Les fidèles catholiques se sont glorifiés d’être « papolâtres » ou « papistes », titres qui leur avaient été attribués de manière méprisante par les ennemis de l’Église. Mais aucun vrai catholique n’est jamais tombé dans la « papolâtrie » qui consiste à diviniser le Vicaire du Christ au point de le substituer au Christ Lui-même.

La papolâtrie exprime la confusion entre les moyens et la fin et constitue une attitude psychologique reposant sur une erreur doctrinale.
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Le critère selon lequel le fidèle peut résister à un ordre injuste de la suprême autorité ecclésiastique ne se fonde pas sur le libre examen, qui affirme par principe l’indépendance de la raison humaine par rapport à toute autorité, mais sur le sensus fidei commun à tout baptisé, c’est-à-dire sur cette foi qui fait de tout catholique un homme libre dans le service de la Vérité.

Si un Pape voulait, par exemple, imposer la prière commune avec les musulmans, abroger le Rite romain antique, introduire le mariage des prêtres, il serait nécessaire d’opposer une résistance respectueuse mais ferme. Le sensus fidei s’opposerait à cela mais plus forte serait l’opposition, plus elle devrait être accompagnée d’un amour renouvelé envers la Papauté, l’Église et son Fondateur, Jésus Christ.

     

Post-scriptum

J'imagine que certains lecteurs critiques de mon site - je ne doute pas qu'il en existe - pourraient très bien m'objecter que je suis particulièrement mal placée pour ce genre de considérations, ayant fait de l'amour de Benoît XVI l'objet de milliers de pages sur ce site depuis plus de sept ans. N'est-ce pas précisément un exemple-type de papolâtrie aggravée?
Il y a une différence de taille avec celle décrite par Roberto De Mattei: d'abord, je n'ai jamais prétendu que ce site était un site "catholique", au sens d'oeuvre d'un catholique - laïc ou religieux, peu importe - "engagé", et je n'ai à cet égard aucune prétention d'aucune sorte, même pas d'évangélisation, même si j'ai pu y contribuer involontairement. Je m'en suis déjà expliquée, et je me sens nullement schizophrène sur ce plan. Et surtout, je n'ai jamais eu le sentiment que Benoît XVI "errait". J'ai même eu à chaque instant le sentiment qu'il me guidait d'une main sûre. Je ne suis plus certaine que ce soit le cas aujourd'hui...