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La papauté informelle de François

Un vrai risque, dont pourraient chercher à profiter les ennemis de l'Eglise: les interrogations d'Andrea Gagliarducci (7/10/2013)

>>> Voir aussi: Bon retour, Professeur Ratzinger

C'est une analyse inédite, mais basée sur des faits, d'Andrea Gagliarducci, collaborateur du très bon site "Korazym. org", qui écrit ici sur son site en anglais "Monday Vatican".
Il n'est pas un "traditionaliste" borné, et même pas d'un traditionaliste tout court. Seulement un observateur attentif.

J'ai omis, volontairement, de traduire le passage (très technique...) sur l'IOR: mais régler le statut de la "banque du Vatican" pourrait bien être le nerf de la guerre, et c'est un défi redoutable que le pape devra affronter très bientôt, avec des intérêts puissants tapis dans l'ombre.

     

La papauté informelle et le risque d'un manque d'institutionnalité
Andrea Gagliarducci
6 octobre 2013
Texte original et complet en anglais: www.mondayvatican.com
Ma traduction
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Le Pape François a souligné à Assise son idée d'«une Eglise pauvre pour les pauvres.» Cela fait partie de la «réforme des attitudes» que le pape François considère plus importante que la réforme de la Curie, à savoir une réforme de la structure organisationnelle. Durant cette semaine, un certain manque d'institutionnalité a été ressenti. A première vue, il y a une sorte d'Église «divisée». Le pape a divorcé de l'institution qu'il représente. La salle de contrôle de la Curie est séparée de ceux qui veulent la contrôler. Même les communications sont «fragmentées», avec le Bureau de presse du Saint-Siège apparemment de plus en plus mis à l'écart, tandis que des conseillers en médias semblent diriger le pape François d'une manière déconcertante.

Ce sont les risques d'une papauté informelle. Dans un sens, le pape François est quelqu'un qui est habitué à vivre et continue à vivre comme si c'était sous une dictature. Pendant la dictature militaire en Argentine, il s'est distingué par son héroïsme (cf. Magister: la liste de Bergoglio), ce qui lui a valu quelques ennemis qui ont ensuite insinué qu'il était de connivence avec le régime militaire argentin. Ce sont des rumeurs qui à chaque fois se sont avérées totalement infondées.

Vivant au Vatican, le pape François semble être attaché à la même forma mentis qu'à l'époque où il vivait sous une dictature. Il est très méfiant envers la Curie (qu'il définit dans une récente interview comme «une peste»); il ne fait confiance qu'à ses amis, il a décidé de vivre dans la Sanctae Marthae Domus parce qu'il peut y être vu par tous, ce qui minimise le risque d'être victime de ragots malveillants. Puisque le pape est là, visible, il devrait être plus difficile pour certains de répandre des rumeurs sur sa façon de procéder, ou sur de la «corruption» dans la famille pontificale. Pour être en sécurité, le pape François gère son propre agenda, comme il le faisait toujours en Argentine, depuis l'époque de la dictature.

Mais l'Argentine était gouvernée par un régime, alors que le pape, au Vatican, est lui-même le régime. Ainsi, le pape devrait gouverner, organiser, déléguer. Pour gouverner de la façon la plus appropriée, il doit aussi utiliser la Curie. Un dicton du Vatican rappelle à tous, très à propos, que «vous ne pouvez pas réformer la curie sans la Curie.»

Il y a une autre problème, non moins important: la vision de la curie qu'a le pape correspond et nourrit l'image de la Curie dépeinte par les médias: un nid de complots, corruption et malversations. Involontairement, le pape François risque de donner une impulsion à une vieille campagne médiatique contre l'Eglise.

Pourtant, une autre conséquence est que les «Curiaux», qui sont «prudents comme les serpents, mais pas paisible comme les colombes», ont plus d'espace pour agir.

L'appel persistant du pape à arrêter le bavardage conduit à «terroriser» la Curie. Ce genre de sentiment paradoxalement inhibe ceux qui agissent honnêtement, et favorise ceux qui ont toujours habilement poussé pour leurs intérêts personnels.

En attendant que Pietro Parolin, secrétaire d'État désigné, prenne officiellement ses fonctions le 15 octobre, beaucoup dans la Curie sont occupés à essayer de renforcer leur propre influence, indépendamment de ce que le pape pourrait souhaiter. Un terrain particulier de ces «luttes cachées» est celui de la «gestion financière» du Saint-Siège.

La commission nommée par le pape François afin de superviser les finances du Vatican a eu sa part de scandales. Ils évoluent autour de l'un de ses membres, Francesca Immacolata Chaouqui.

Chaouqui était très critique de la curie de Benoît XVI. Elle a également accusé le cardinal Bertone de corruption, dans un tweet. Elle a soutenu Ettore Gotti Tedeschi quand il a été confronté (en vain) à un vote de confiance du Conseil d'administration laïc de l'IOR et est censée être une des sources agressives du portail italien de rumeurs Dagospia. Chaouqui a également été considéré comme l'un des «corbeaux» du Vatican, c'est-à-dire l'une des personnes responsables des fuites de documents confidentiels du Palais apostolique.

[Ici, le passage sur l'IOR, non traduit: www.mondayvatican.com]


Et pour finir, il y a une sorte de «folie de publicité» qui affecte presque tout le monde au Vatican.

Cette folie pourrait être accrue par le comportement du pape François, qui appelle qui il veut quand il le veut, et parle souvent au pied levé. On a beaucoup parlé d'une interview qu'il a accordée à Eugenio Scalfari, fondateur du grand journal italien La Repubblica . L'interview (plutôt une conversation) n'est pas une première. Déjà en 1959, Jean XXIII avait demandé à son secrétariat d'appeler le Corriere della Sera pour dire qu'il était prêt pour une interviewe, qu'il devait accorder au célèbre journaliste italien Indro Montanelli.

La conversation libre de Scalfari avec le pape François a été rapportée par le journaliste d'une manière si générale, que l'on peut encore se poser des questions quant à savoir si les paroles du Pape peuvent être citées comme des positions officielles ou non.

L' Osservatore Romano , le journal du Vatican, a pris la décision de reproduire l'interviewe dans son intégralité, rendant en quelque sorte officiels les propos du Pape. La décision autonome de l'Osservatore Romano (ce n'est pas la première) a de facto privé au Bureau de presse du Saint-Siège de toute stratégie de communication. Le père Lombardi n'avait pas d'autre choix que de souligner que le contenu de l'interviewe devait être fidèle aux paroles du Pape, puisque le pape ne s'était pas plaint, mais qu'il ne pouvait pas confirmer que c'étaient ses mots exacts.

Tel est le Vatican aujourd'hui. Une Vatican toujours plus enclin à sous-traiter (externaliser), tandis que les institutions centrales sont repoussés, dans une sorte de guerre contre Rome. Les cardinaux de la commission que le pape François a nommés pour réformer la Curie semblent vouloir repousser la Curie, plutôt que de la réformer. Ils songent à ré-écrire Pastor Bonus, la Constitution pastorale, mais toutes les propositions qui sont sorties de leur première réunion (le Secrétariat d'État doit être un Secrétariat du pape; plus de place pour les laïcs; un modérateur de la Curie, autrement dit une une sorte du directeur du personnel) sont déjà dans Pastor Bonus. Les Eglises locales ont pris le relais et veulent pousser de côté toute institution centrale .

Sera-ce juste un démantèlement de tout ?

Dans la Curie, dans les diocèses, dans les paroisses, il y a de bons catholiques, qui aiment leurs missions et accomplissent un magnifique travail. Mais au Vatican, il semble maintenant que ce que les gens pensent en dehors de l'Eglise est plus important que ce que les gens pensent à l'intérieur de l'Eglise. Le Vatican s'adresse aux VIP pour promouvoir ce qu'il fait, et ne pense jamais à valoriser les hauts professionnels dont il dispose déjà.

Tandis que le Bureau de Presse du Saint Siège travaille pour expliquer cette papauté, le Pape fait les gros titres des journaux avec des initiatives dont le Bureau de presse du Saint-Siège n'est tout simplement pas au courant. Tandis que le Secrétariat d'Etat du Vatican continue à faire son travail, il est également contesté par les décisions papales soudaines, prises sans aucune coordination.

Ce genre d'anarchie n'est pas quelque chose de nouveau dans l'histoire de l'Eglise. Le problème est qu'auparavant, l'institution gérait cette anarchie. Aujourd'hui, l'institution elle-même alimente l'anarchie. Le Vatican informel du pape, un pape en état d'esprit permanent de "sous une dictature", risque de donner du crédit à l'avis de ceux qui pensent que l'Eglise est seulement une «confluence» d'intérêts puissants. L'objectif de ces derniers est de démanteler l'Eglise. Est-ce que le Vatican informel les aidera à y réussir?