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Le christianisme sans peine

(*) A propos des 10 millions de "followers" du compte @pontifex, et autour d'une réflexion de Gnocchi et Palmaro (31/10/2013)

Voir aussi:
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Dures critiques catholiques contre le Pape
¤ Entretien avec Gnocchi et Palmaro

     

Hier (30 octobre), Il Foglio a publié une nouvelle tribune de Gnocchi et Palmaro, les deux intellectuels catholiques italiens qui se qualifient désormais de "sans-papiers de l'Eglise", après qu'un premier texte publié sur le même journal, où ils critiquaient durement le Pape, leur ait valu une réprobation presque unanime... mais aucune main tendue vers leur périphérie.
Partant du chiffre de 10 millions de "followers" atteint par le compte twitter @pontifex, le titre de l'article fait allusion à une expression utilisée par le Pape pour qualifier l'Eglise: "L'hôpital de campagne des followers".

L'accès à la totalité de l'article est en principe réservé aux abonnés, même si un site italien le reproduit en totalité.
J'ai traduit le début.

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Je n'oublie que le compte twitter @pontifex a été ouvert Benoît XVI régnant - même si je suppose que ce n'est pas son initiative
Je crois aussi que, pour lui, comme pour François aujourd'hui, l'important, ce n'était pas d'évangéliser via les réseaux sociaux (une utopie!), mais d'y être présent. Je n'ai rien à redire à cela.
Mais je n'oublie pas non plus que, comme quelqu'un l'a dit très justement, Benoît XVI a été envoyé sur Twitter "comme un agneau parmi les loups", accueilli par les injures de ceux qui avaient pour unique objectif de l'en chasser. Avec François, en revanche, il n'est plus question de critique, et c'est tant mieux. Mais quand je vois que dans les commentaires des médias, le Vicaire du Christ est comparé aux stars du ballon rond, et même à ... Lady Gaga, je me pose des questions.

Avec ce décompte, disent en substance Gnocchi et Palmaro, " le concept de conversion [est remplacé] par celui de succès, le seul que le monde soit capable de comprendre et de promouvoir."

Seul bémol - mais de taille!: le « christianisme sans peine » que les médias associent à la figure du pape François, et que le compte twitter contribue à accréditer dans l’opinion, apparaît de plus en plus comme une construction, et se heurte aux faits, ainsi qu’en témoigne la sévérité de ses prédications matinales à Sainte Marthe, dont nous avons parlé à plusieurs reprises.

     

L'hôpital de campagne des followers

Ce que coûte la tentation d'un christianisme sans effort et sans sacrifices, dans une Église qui compte ses adeptes sur Twitter. Mais une chose est de s'unir au Corps du Christ, une autre est de se sentir comme faisant partie de la "community".
Alessandro Gnocchi et Mario Palmaro
Il Foglio
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Il n'y a pas besoin d'être tellement vieux pour avoir une idée de ce que c'était un Cronicón (ndt: j'ignore si le mot français est le même, un exemple ici, en italien) et peut-être même y avoir jeté un coup d'oeil. C'était le journal dans lequel chaque prêtre notait les faits saillants de la paroisse qui avait été confiée à ses soins. Certains brillaient comme de petits bijoux littéraires, parce que les vieux prêtres, une fois achevée la lecture du bréviaire, ne se tenaient pas derrière la TV, Facebook ou Twitter. Ils priaient, étudiaient, lisaient et, s'ils avaient un talent pour l'écriture, ils le reportaient dans ces petites chroniques de la vie quotidienne de leur troupeau. En tout cas, chacun à sa manière, ils transmettaient la mémoire du mémorable, parmi lequel ils ne manquaient jamais de noter combien de communions ils avaient distribuées.

Aujourd'hui, en revanche, on recense les followers sur Twitter.
Mais une chose est de compter les communions d'un troupeau dont on connaît les brebis une par une, et une autre de compter les clics d'un univers inconnu. Une chose est de s'unir au Corps mystique du Christ se nourrissant physiquement de sa chair et de son sang, et une autre chose est de faire partie d'une 'community' sans la nécessité de montrer son propre corps.

L'accent mis sur les dix millions de followers, atteints sur Twitter par le Pape François ne contribue pas à maintenir les plans séparés. Ou plutôt, il finit par remplacer le concept de conversion par celui de succès, le seul que le monde soit capable de comprendre et de promouvoir. Les médias, qui sont, par nature, mondains, ne peuvent pas se permettre de traiter de "marchandises" qui impliquent un effort comme un changement radical de vie. Tout doit être facile et à la portée de tous: si l'Eglise catholique veut être présente, elle doit devenir un phénomène qui peut être traité comme tous les autres. La Pax mediatica ne s'étend pas au-delà des frontières et des lois de la médiasphère.

Mais l'idée qu'il soit consenti au catholique d'avoir avec le monde une relation pacifiée est une illusion que l'on ne peut même pas qualifier de pieuse. Elle est fondée sur la conviction qu'il n'y aurait pas d'hostilité du monde contre le Christ. Et même, le monde n'attendrait rien d'autre que l'annonce de l'Evangile, une annonce que jusqu'à ce jour, l'inadaptation de l'Église et de sa tradition avait rendue impossible. Cette équivoque naît du dépassement de la distinction classique des deux conceptions du monde qui cohabitent dans tous les Évangiles et dans la tradition. Il y a un monde objet de l'amour de Dieu, qui doit être aimé par le chrétien. Mais il y a aussi la parole "monde" utilisée par le Christ pour désigner le royaume de l'ennemi, qui a dans l'ange rebelle son prince incontesté. Un catholicisme qui oublie cette nature du monde n'est plus, à proprement parler, un vrai catholicisme. Il devient une religion de la «bonne volonté», destinée à se dissoudre dans la télé de manière indolore, parfaite pour un "prime time" à grande écoute.
(...)

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(1) Je fais allusion à un article de la revue Communio, dans le livre "Croire et célébrer", où Joseph Ratzinger étrillait Hans Küng, (cf. benoit-et-moi.fr/2013-II/benoit/correction-fraternelle).